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[Plonger dans l'âme de...] Tristan Petitgirard. Le théâtre ou la musique des mots

Dernière mise à jour : 25 mai 2020

Nous devions nous parler l'année dernière pour la première de "Des plans sur la comète" au Festival Off d'Avignon, mais l'effervescence des derniers préparatifs avait eu raison de notre rendez-vous téléphonique (qui réclame du calme et du temps), nous avions donc pris date. A un mois des Molières 2020, l'occasion était rêvée de parler avec celui qui en a obtenu la distinction suprême en 2019 pour sa mise en scène de "La Machine de Türing" (pièce de Benoît Solès récompensée 4 fois). Tristan Petitgirard est né dans le monde du théâtre, de la musique et des comédiens. C'est sa vie: "ma place, déjà, c'est d'être dans un théâtre". Vous ne serez donc pas étonnés s'il en parle magnifiquement bien! Bonne lecture


Tristan Petitgirard, Cérémonie des Molières 2019 (C)

Bonjour Tristan. On va essayer de comprendre ensemble, ce qui, à un moment en vous, a fait que le théâtre devienne le centre de votre vie. Le théâtre, mais pas seulement, puisque vous avez aussi monté un opéra, vous êtes très intéressé par la musique... Connaissez-vous les racines de cette passion?


Je crois que je les ai un peu décodées, oui. Elles sont multiples. Déjà, j'ai la chance d'avoir grandi dans une famille d'artistes, je pense donc que j'étais un peu conditionné à un métier artistique. En tout cas orienté. J’étais dans le bain comme on dit avec un père musicien et une maman costumière, auteure..., j'étais bercé de ça. Après, il y a plein de gens qui ne prennent pas ce chemin-là. Moi, ce qui m'a toujours frappé, ce sont les mots, certainement les mots, leur musique. La vibration, qu'elle soit sonore ou celle des mots, m'a toujours passionné. Et j'ai vécu une enfance où j'étais beaucoup avec des grands. J'ai tout de suite vécu les spectacles, les après-spectacles... j'étais dans les coulisses. Mon papa est à la croisée de plusieurs chemins aussi: il est à la fois compositeur, chef d'orchestre, il faisait des musiques de film, j'ai aussi été baigné dans le monde du cinéma. Je côtoyais des acteurs, beaucoup, et dans les rencontres qui ont été très importantes aussi pour moi, pour le théâtre, il y a une période de ma vie d'enfant où j'habitais Rue Condorcet. Au premier étage, il y avait Daniel Russo, au deuxième, il y avait mon père et au troisième, il y avait Olivier Lejeune! Pendant les trois, quatre années où j'ai été là bas, mon père était en tournée, j'étais beaucoup avec Daniel Russo et sa femme Lucie, avec Amanda, qui est une amie d'enfance, et donc j'ai vécu beaucoup le parcours d'acteur de Daniel. C'est vrai que ça m'a très, très vite, intéressé, ça m'a plu.

"Tristan c’est ma famille c’est le grand frère de mes filles... Il est le parrain de Milan mon petit fils et je suis tellement fier de lui  !!! Amitiés, Daniel Russo"

Le père (Laurent) et le fils (Tristan)

Tristan et Laurent Petitgirard (C)

Après, j'ai toujours aimé raconter des histoires, écouter des histoires, vraiment. Je ne suis pas quelqu'un qui fait un théâtre politique. Je suis quelqu'un qui aime raconter des histoires. Il y a des gens qui font ça formidablement, le théâtre politique, et c'est très bien. Mais, pas moi... Ce qui me touche depuis toujours, c'est “il était une fois”. Je suis un amoureux fou de “Il était une fois”: qu'on me raconte une histoire à travers des personnages, des émotions... Parfois, ces personnages peuvent avoir des destins politiques ou penser des choses politiques, mais je ne suis pas quelqu'un qui va faire un théâtre pour revendiquer, je fais un théâtre pour divertir, émouvoir, toucher... Ca ne veut bien évidemment pas du tout dire que ce que je n'apprécie pas le théâtre politique. Il est nécessaire, mais, moi, j'aime raconter des histoires avant tout. Je ne sais pas si j'écrirai un jour du roman. Ce n'est pas du tout dans mes optiques pour l'instant, parce que j'aime la transformation. Quand j'écris ou que je mets en scène ou que je joue, j'adore le prisme de l'interprète. Ça me fascine. Or, le prisme de l'interprète sur un roman, c'est le lecteur lui même. On n'assiste pas à la transformation. On ne voit jamais comment un roman est lu. C'est pour ça que, même si c'est formidable, la lecture d'un roman à voix haute, je dois vous avouer que c'est quelque chose que je n'écoute jamais. Parce que, quand on lit un roman, l'avantage, c'est qu'on est la seule personne à pouvoir s'imaginer la voix, le décor... Et c'est fantastique! Après, ça permet en voiture à plein de gens de découvrir des textes, enfin bref. Mon travail, c'est la musique des mots et la musique tout court. Pour moi, c'est lié: mon travail est tout le temps musical. Musical, musical...


Donc c'est la vibration alors?

Benoît Solès et Amaury de Crayencour dans "La Machine de Türing" (C)

C'est vraiment ça, la vibration. Et je l'ai d'autant plus ressenti, ça a été une évidence pour moi, quand j'ai mis en scène l'opéra avec des autistes. J'avais des jeunes qui ne parlaient pas, mais qui chantaient et certains parents ont entendu pour la première fois la voix de leur enfant dans ce spectacle. C'est là, j'ai compris la force de la vibration musicale ou même de jeu, elle va toucher très très profondément. Donc, oui, je suis très attentif à ça. Par exemple, dans une distribution, à l'accord des voix. Comment une vibration se crée? Il m'est arrivé de ne pas prendre d'excellents comédiens, seulement parce qu'il y avait déjà dans la distribution quelqu'un qui, selon moi, était sur la même vibration sonore, le même timbre. Du coup, j'aurais eu l'impression de l'anéantir. Quand j'ai besoin d'un violon et d'un violoncelle, si je mets deux violoncelles sur scène, je n'ai plus de contraste et je ne peux plus construire comme j'ai envie. Sur “La machine de Türing”, par exemple, Benoît est baryton, Amaury est ténor. Je ne serais jamais allé chercher un baryton pour se mettre en face de Benoit. Ce qui est drôle, d'ailleurs, c'est que quand j'ai fait la deuxième équipe, ça c'est un peu inversé: Matthias Simon a une voix plus légère, il va être ténor, on va dire, Eric Pucheu a une voix plus grave... Donc, c'est un équilibre entre les deux. Je suis très attentif à ça. Je crois que l'équilibre vibratoire sur un spectacle, c'est vital.


C'est un travail de chef d'orchestre, en fait...!


On ne renie pas complètement ses origines et je ne cherche même pas du tout à les renier, au contraire! L'immense différence, c'est que le chef d'orchestre est encore là au moment de l'exécution. Donc, il peut contrôler. Le metteur en scène, lui, n'est plus là.


Ce que vous dites est très, très beau. On peut utiliser la vibration des mots pour aller en soutien au handicap...

Oui. Sur “Les amants de Séville”, on savait que certains jeunes étaient plus sensibles à tel instrument, qui pouvait l'éveiller. Mais, moi, je faisais du spectacle, pas de l'art-thérapie. Mon but était de faire un spectacle. C'est vrai que les gens qui font de l'art thérapie, de la musicothérapie, s'en servent bien sûr. On avait même trouvé que la voix de Nolwenn Leroy apaisait: elle était diffusée en boucle dans certains hôpitaux... La voix est une chose d'incroyable. Pourquoi tout d'un coup, il y a des gens qu'on aime entendre parler. Ils ont une résonance. La résonance, la vibration est essentielle.


Vous êtes à la fois auteur, comédien et metteur en scène, est ce que vous avez une place où vous préférez être?


Alors, j'ai la chance de pouvoir exercer différents métiers. Ma place, déjà, c'est d'être dans un théâtre. Vraiment, mais vraiment. Après, que je sois auteur, metteur en scène ou acteur, je me sens tellement bien dans un théâtre! J'adore jouer la comédie. Ce n'est plus mon activité principale, mais je n'arrêterai jamais de jouer. Parce que j'adore ça, j'ai encore des projets de pièces, mais il y a cette difficulté qui est que, quand on est un metteur en scène qui a la chance d'avoir un certain succès, on pense beaucoup plus à vous que comme metteur en scène, que comme comédien. Sauf, et c'est là où c'est formidable, sauf certains amis metteurs en scène, qui sont aussi comédiens qui, tout d'un coup, se retrouvent dans la même situation et peuvent envisager que vous êtes pareil. Par exemple, j'ai un projet de pièce de Sophie Deschamps, mise en scène par Panchika Velez, dans lequel je devrais jouer si on arrive à la monter. Panchika a pensé à moi, elle m'avait vu jouer. Il y a des gens qui ont connu mon parcours au départ, j'ai commencé comme comédien, qui ne m'ont connu que comme comédien. Parfois aussi, certainement, même, un metteur en scène - acteur, ca peut faire peur. Alors que, honnêtement, on est vraiment les plus disciplinés! J'adore faire la mise en scène, c'est une passion absolue, mais, c'est une charge de travail mental conséquente. Et pour moi, quand je fais l'acteur, ce sont les vacances. Je n'ai plus qu'à penser: "tu vas là"... Je ne suis que dans une espèce de plaisir immédiat. Je n'ai aucun problème à gérer à part moi même: c'est extrêmement agréable.

Tristan Petitgirad nominé en 2015 aux Molières comme auteur pour "Rupture à domicile" (C)

Mais la place, sans doute, reine, c'est celle de l'auteur. C'est à dire que la pièce que moi, je ne joue pas, la pièce que je ne mets pas en scène... quelqu'un pourra toujours le faire à ma place. Tandis que la pièce que vous n'avez pas écrite, qui n'est pas sortie de vous, n'existe pas... Donc je dirais que je en sais pas si c’est ma place préférée, mais c'est la plus unique. La création pure, absolue, c'est la création de l'auteur. On part de rien. Après, je ne fais pas de hiérarchie. Dans mon métier de metteur en scène, si vous regardez mon parcours, je ne mets en scène quasiment que des oeuvres contemporaines et que des créations. J'adore ça. Pour plusieurs raisons. Comme je suis auteur à côté, je n'ai pas de velléité de construire une œuvre de metteur en scène. Me dire: "il faut qu'on voit à quel point mon univers est incroyable: je vais révolutionner la vision de Bérénice!" - même s'il y a des classiques que j'adore. Pour le plaisir des mots, j'en mettrai en scène sans doute un jour, mais je me sens beaucoup plus utile à défendre les auteurs contemporains et à faire découvrir des histoires (on y revient toujours!), d'autant qu'on a forcément besoin de moins d'artifices. Quand vous venez voir une pièce pour la première fois, vous ne connaissez pas la fin. Vous êtes vraiment sur le “Il était une fois”. Voyez “Rupture à domicile”, “La machine de Turing”... Alan Türing, c'est un peu différent parce que c'est un personnage historique, mais les gens ne connaissent de toute façon pas tout de sa vie. Et moi, j'adore créer ce sentiment d'attente chez les spectateurs et jouer avec ça. Ca me fascine.


Créer des surprises.

"Rupture à domicile" Anne Plantey, Benoît Solès, Jean-Baptiste Martin. Photo: Fabienne Rappeneau (C)

La surprise! Oui. Et pas la surprise de: "ah tiens, voyons comment il a mis en scène cette fameuse tirade!"... Même si c'est absolument essentiel de continuer à monter des classiques, notamment pour le jeune public. Ils nous interrogent sur l’état du monde tel qu’il est en le passant au crible de thématiques intemporelles. Je continue régulièrement d'en voir. Mais dans mon travail, là où je le sens le plus utile, c'est de mettre en scène un auteur contemporain, de faire découvrir une pièce à des gens, une histoire, et qu'ils se plongent dedans. Si on a fait une bonne distribution, bien travaillé sur la dramaturgie, sur le texte avec l'auteur en amont, si on s'est bien entourés... C'est... Après, évidemment, vu que je suis acteur, je suis passionné par la direction d'acteur. Le plus beau compliment, c'est quand on me dit que ma mise en scène ne se voit pas. Ca peut parfois être spectaculaire, mais en tout cas, toujours au service de l'histoire, que ça ait du sens. Un exemple très concret de ça, c'est le travail sur la vidéo dans “La machine de Turing”. Dans l'absolu, énormément de spectacles se font avec de la vidéo. Je n'en ai pas mis pour en mettre. Ce n'est pas ce qui m'intéressait. Je me suis dit qu’il serait intéressant que cet écran soit la vision du monde d'Alan. C'est pour cela qu'on a travaillé une réalité déformée des images avec Matthias Delfau. Et c'est pour ça que je crois que beaucoup de gens en ont parlé, parce qu'il avait une cohérence entre la pensée du personnage et ce qui était projeté... Ca n'était pas projeter une image pour que ça soit joli tout d'un coup. A un moment donné, il y a une scène à Cambridge et Benoît-Alan est en train de jouer aux échecs. L’image représente l’extérieur de Campbridge et les cases de la machine bougent en même temps qu’Alan bouge une pièce. A partir d'une vision qui était réaliste, on retrouve une vision déformée de la nature. Un peu comme si Alan Turing l'avait dans la tête et qu'il essayait de la décoder. Tout ce travail de mise en scène me passionne! Et, dans la mise en scène, ce qui est absolument extraordinaire, ce sont les acteurs... Faire découvrir un auteur et puis, tout d'un coup, faire découvrir des acteurs que les gens ne connaissaient pas. Avec certains d'entre eux, j'ai des relations privilégiées. Benoît, les gens le connaissent très bien comme acteur, mais ils ne le connaissaient pas dans un certain répertoire. Quand on a fait “Rupture à domicile”, les gens le voyaient plutôt dans un rôle dramatique et personne n'imaginait qu'il allait avoir ce pouvoir comique. J'adore ça. C'est très drôle parce que, c'est en l'ayant vu dans une pièce ultra dramatique, “Bash” (de Neil Labute) avec Sarah Biasini, que j'ai pensé à lui: il y jouait un infanticide... J'aime bien pouvoir bouger comme ça. Pareil avec Anne Plantey. On a fait 3 pièces déjà ensemble. On en a une quatrième en préparation... J'aime beaucoup mettre en avant un acteur. J'adore jouer la comédie, mais je ne ressens pas le besoin de me mettre en avant absolument. Je suis encore plus heureux de faire briller les autres, mais je conserve parfois le grand plaisir de jouer. Juste jouer. Le jeu.


On va parler du travail de metteur en scène. Vous avez effleuré le sujet tout à l'heure en disant qu'il y avait un vrai travail de confrontation avec le metteur en scène sur les intentions. Comment ça se passe, combien de temps ça dure?

Benoît Solès et Amaury de Crayencour, séance de travail(C)

Déjà, ça dépend de l'auteur, du répertoire... Je mettrais une grande différence entre les auteurs qui sont acteurs et ceux qui ne le sont pas. Et les auteurs qui sont dans la pièce et les auteurs qui ne le sont pas. C'est à dire que plus un auteur est acteur, plus c'est facile. Benoit, par exemple, a un sens inné du plateau. Je dois inscrire ma mise en scène dans ce qu'il écrit, mais il me donne des pistes . Après, on travaille ensemble sur la dramaturgie: qu'est ce qu'on a envie de raconter dans ce spectacle? Parfois, ça fait un peu bouger l'écriture en cours. Après, Benoît, est vraiment l'exemple le plus facile du monde! On se connaît tellement, on s'apprécie tellement... Le travail est tellement en symbiose, tellement facile. Il n'y a jamais d'accrocs, on se comprend. Il comprend complètement là où je veux l'emmener et je crois comprendre son écriture. On est de la même école. Il y a des auteurs, parfois, qui sont plus littéraires: ils écrivent pour le théâtre sans en être autant charnellement, complètement, imprégnés. On ne va pas dire que ce ne sont pas des auteurs de théâtre, mais ce ne sont pas des acteurs. Là, on fait un travail pour arriver à retrouver la respiration de l'acteur dans le texte. Par exemple, je fais toujours un gros travail sur le sens: qu'une information ne soit jamais donnée parce que l'auteur avait besoin de la donner à ce moment-là. Que pense le personnage de cette information, comment il la ressent et pourquoi il a besoin de la dire? Je vais rayer dans un texte tout ce qui est purement informatif. Qu'est ce qui fait que le personnage le dit? J'ai besoin de savoir que La Poste ferme à 17h, parce que je dois y aller. Ok, mais je m'en fiche. Ca, c'est l'auteur qui a besoin de le savoir. Le personnage, pourquoi il le dit, lui? C'est ça qui compte au théâtre.

"Dites à Tristan que j’ai hâte que la Machine redémarre et aussi de débuter notre nouveau projet. Amitiés ! Benoit Solès"

Après, l'autre travail aussi, mais ça, pour le coup, une fois de plus avec Benoît, on est hyper raccord là dessus, c'est de ne pas tout expliquer. De laisser le spectateur acteur. Je dis toujours, il y a acteur dans spectateur. Faire attention de ne pas le perdre, mais lui donner des vides à combler. Moi, j'aime qu'il reste de l'espace pour le spectateur. Mon métier de metteur en scène, c'est d'arriver jusqu'au bord de ce vide et que lui arrive à combler, à penser ce vide, à sentir et à construire la suite de la pensée. Ne pas donner du prêt à manger, du prêt à mâcher... Certains appellent ça "le sous-texte", moi c'est pas exactement comme ça que je le définis, mais j'aime vraiment maintenir le spectateur dans un état d'éveil. Après, je suis très attentif à la courbe dramaturgique du spectacle. Les temps forts, les temps faibles, comment on repart, comment on ré-accroche? Je fais vraiment attention à ça. C'est un travail collectif de table et puis on retravaille encore à côté tout seul. C'est un travail d'échange et de lecture avec l'auteur. Là, par exemple, on travaille sur la prochaine pièce de Benoît : "La maison du loup". Il est arrivé à une version qui est absolument formidable. Le travail maintenant va être de faire une lecture avec des acteurs pressentis ou des acteurs amis pour entendre dans leur bouche les petites choses à affiner encore. Moi, quand j'écris, avant de faire ma version finale, je demande toujours à des amis acteurs de venir me la lire. Je parle de ça quand je suis sur une V2 ou une V3, j'ai bien bossé, je crois que cela tient la route, j'ai besoin de l'entendre. Les acteurs me la lisent et après je repars pour retravailler. Je le fais toujours avant de faire une lecture publique, de passer en répétition, toujours.


Ca vous aide à sentir là où il faut faire les modifications.


En fait, c'est une histoire de vibration. J’espère que je suis un bon lecteur avec un bon instinct de metteur en scène, mais à un moment donné, une pièce, ce sont des vibrations d'acteurs qui se rencontrent. On a besoin d'entendre comment ça s'entrechoque ou pas, comment ça doit respirer, est-ce qu'il y a trop de mots...


On repart encore sur la musique: si les mots se percutent trop les uns les autres, ça brouille l'écoute...


Oui. Grâce à la lecture, je me dis, à ce moment, je n'ai pas besoin de ça: un regard peut suffire et on comprendra.

Montage de "Signé Dumas" (C)

D'accord! Et c'est marrant, d'ailleurs, la manière dont vous avez parlé de la mise en scène se rapproche beaucoup de la manière dont vous avez parlé de vous même en tant que lecteur de romans.


J'imagine la mise en scène dans ma tête et je travaille beaucoup en amont avec mes collaborateurs. La façon dans laquelle j'aime travailler, mais l'immense majorité des metteurs en scène fait ça, je n'ai rien inventé, c'est que je n'aime pas que chacun travaille dans son coin. Très tôt, je fais des réunions avec tous les corps artistiques du spectacle : costume, vidéo, musique, déco, son... Très tôt. Même souvent le (ou la) régisseur du théâtre pour que tout soit en harmonie et qu'on parte tous dans la même direction. Après, chacun repart travailler dans son coin. Il n'y a rien de pire que d'arriver au dernier moment et que tiens tiens, j'ai fait telle musique pour tel moment... Oui, mais le décor, je ne peux pas placer une enceinte-là, ça fait une réverbération. Des questions vont partir de ça: imaginer un endroit pour diffuser le son. Ce sont des choses aussi bêtes que ça. Pour être un bon metteur en scène, il faut savoir anticiper. C'est absolument crucial, vraiment.


Préparer, travailler avec les autres, ensemble...

Séance de lecture aux EAT (C)

...en harmonie. Anticiper et, après, être vraiment à l'écoute une fois qu'on est sur le plateau. Je n'arrive pas avec une mise en scène figée de A à Z, sinon, c'est horrible! Et puis, j'ai besoin de me laisser surprendre. Evidemment qu'on est obligés d'avoir imaginé son décor, d'avoir fait beaucoup de choix en amont. Beaucoup. Mais j'aime pouvoir changer tout d'un coup... Je dis toujours qu'un metteur en scène tire des fils. Les acteurs et les auteurs, quand ils écrivent ou jouent des choses, souvent - et c'est pour ça qu'on les prend-, il y a des fils d'humanité qui dépassent dont ils n'ont pas toujours conscience. Ils les ont mis dans leur pièce, ils les incarnent en jouant le rôle et, d'un coup, le metteur en scène, c'est son œil de les voir. Je vais prendre le fil et tirer un peu plus loin, on va tirer ce fil ensemble. C'est pour ça que je ne peux pas arriver avec une construction finie, absolue, parce que sinon, je ne laisse aucun espace de création aux gens qui sont avec moi. Pareil, quand je vais travailler une scénographie, bien sûr que j'ai une idée, souvent assez précise, de là où je veux aller. Sur “la Machine de Türing”, quand j'ai parlé pour la première fois au scénographe, je ne lui ai rien dit. Je demande: “qu'est ce que toi ça t'inspire?” Parce qu'il se pourrait qu'il / elle ait une idée qui me plaise plus que ce que j'avais et, surtout, ça arrive souvent que nos deux idées se confrontent. Si vous dites tout de suite à un acteur: “joue le comme ça”, "fais-ci", "fais-ça"... ou à un-e scénographe ou un compositeur, ils vont vouloir se conforter dans ce que vous leur avez dit... Après, il faut avoir un peu de temps. Parce que si on se retrouve à devoir monter une pièce très rapidement, on est obligé d'être un peu plus dirigiste. Ca n'est pas ce que j'aime. Je préfère prendre du temps sur le projet.


Votre dernière pièce, c'est “Des plans sur la comète”. Il y en a eu une autre après?

Pas encore. "Des plans sur la comète" devait être cet été à Avignon, mais tout est arrêté. Je devais mettre en scène Françoise Cadol dans l'adaptation d'un roman de Grégoire Delacourt, “La femme qui ne vieillissait pas”, qu'on doit faire au Buffon... Ce sera l'an prochain du coup. Un très, très beau seul en scène que Françoise a adapté.


Du coup, on revient au début, quand vous parliez du roman et de votre rapport au roman. Là, c'est l'adaptation d'un roman.


Françoise m'a fait lire le roman avant de l'adapter. Je lui ai dit oui avant d'avoir lu son adaptation tellement j'ai aimé le roman. J'ai vu, comme elle, qu'il y avait un potentiel théâtral formidable. Elle a fait une adaptation géniale. C'est un spectacle que j'ai vraiment hâte de reprendre...


Vous avez trouvé ensemble la musique des mots de ce roman?


Oui, alors c'est elle qui l'a adapté. Je suis intervenu comme j'interviens toujours quand je travaille avec des auteurs en lecteur, en orientant. Sauf que là, il y avait une contrainte particulière, c'est que Grégoire Delacourt lui a dit: “tu fais l'adaptation que tu veux, mais tu ne changes pas un mot”. C'est à dire, tu ne rajoutes pas un mot. Tu peux couper, tu fais tout ce que tu veux, mais tu ne rajoutes pas un mot. Et on a fait des choix. Là où on était assez vite d'accord, par exemple, sur le fait que dans un roman, il y a beaucoup de sous-intrigues... Des choses qu'on ne peut pas mettre pour adapter un roman de 400 pages et en faire 1h10 au plateau. Dès le début pour le coup, on s'est parlé (avant même qu'elle écrive). En gros, on s'est dit la pièce va commencer à la page 100 du roman, sinon, on ne pourra pas tout installer. Dans toutes les adaptations de romans, on est obligés d'avoir un vrai parti pris.


On va maintenant parler "famille". Vous en avez une magnifique tout autour de vous: Anne, Benoît et beaucoup d'autres... Vous avez l'habitude de travailler ensemble.

Amaury de Crayencour, Benoît Solès, Tristan Petitgirard, Thibaud Houdinière (C)

J'ai beaucoup de chance. On a beaucoup de chance! Vous pouvez rajouter une famille de production aussi avec Fleur et Thibaud Houdinière … et au delà de ça, on a même une famille de metteurs en scènes. Je mettrais dans cette famille là des gens aussi comme Johanna Boyé, Jean-Philippe Daguerre, Sébastien Azzopardi, Xavier Lemaire... On est une génération qui pouvons faire des spectacles, qui ont du succès, sans vedettes, avec nos amis acteurs et avec des producteurs, qui croient en nous. C'est absolument formidable. Le succès des spectacles d’Alexis Michalik y a beaucoup œuvré. J’ai aussi la chance d’avoir pour compagnon de route Stéphane Roux dans notre compagnie : Label Compagnie. Après, les familles sont plus élargies. Au sein des familles, il y a des fratries plus proches. On a vécu une aventure incroyable avec Olivier Sitruk, Benoît, Anne sur "Rupture à domicile". On est tous très, très proches, c'est vrai. J'ai beaucoup de chance de faire du théâtre, d'avoir créé des succès avec des amis intimes c'est quand même assez rare et beau. L'histoire de "La machine de Turing", c'est beau, parce qu'avec Benoît, quand j'ai lu la pièce, j'ai dit, je veux absolument la mettre en scène et on s'est tapé dans la main. Au départ, on avait une salle de 50 places à Avignon, il n'y avait pas de producteur, il n'y avait rien. On est partis, on s'est dit, on le fait quand même et au final, on a vécu la belle histoire que vous connaissez. Donc, c'est d'autant plus chouette. Et puis il y a eu la rencontre avec Amaury de Crayencourt. Je voulais travailler avec lui depuis longtemps. Amaury et Benoît ensemble, c'est d'une beauté magnifique. On en a souvent parlé avec Benoît, je crois que le succès des pièces qu'on peut faire ensemble, c'est certainement que à un moment donné, et ça on n'y peut rien, il y a un bout de cette humanité, de ces amitiés, de ces affections qui s'échappe sur le plateau. Qui va bien au delà... Il y a le rôle, tout le travail qu'on fait autour de la pièce et à un moment donné, il y a certainement un bout de notre belle histoire commune qui arrive sur le plateau et qui touche peut-être aussi les gens d'une certaine manière. Parce qu'il y a une vraie humanité. Moi, je le ressens très, très fort quand je vois Amaury et Benoît jouer ensemble, par exemple. Ou Benoit et Anne. Benoit et Olivier. Je le vois. Il y a des façons de se regarder quand on a une profonde affection les uns pour les autres qui, tout d'un coup, sont chargés d'une humanité un peu supplémentaire, sûrement. Et ça, pour un metteur en scène et un acteur, c'est beau à voir, honnêtement.


On en arrive à ce qu'on disait au tout début: les vibrations. Les bonnes vibrations.


Oui, c'est ça. L'indiscible.


Un mot pour conclure?

"Rupture à domicile" Saluts...

Oui. Je savais à quel point j'étais un amoureux fou et drogué au théâtre, mais cet arrêt forcé, ce confinement, ne fait que me le rappeler à chaque instant. Je rêve du jour où le rideau va de nouveau se lever sur les scènes de France, en étant bien sûr le plus prudent sur les conditions sanitaires, parce que la santé est évidemment la priorité dans ces moments-là. Mais voilà, le numérique c'est bien, les séries, les films, mais ne vous habituez pas trop à ça... Et dès que ce sera sécurisé, l'émotion du spectacle vivant, c'est toujours ce qu'il y a plus fort. Et pourtant, je suis un amoureux du cinéma, jamais eu des émotions aussi fortes qu'au théâtre ou à l'opéra. Jamais.


Merci Tristan.

"Au delà de sa fidélité en amitié, Tristan est un formidable auteur, avec un sens du rythme presque musical assez rare, un tout aussi formidable directeur d'acteur, précis et délicat, et un rassembleur de talent avec qui je souhaite à tout acteur de travailler un jour" Anne Plantey

Merci à tous pour ces échanges magiques! Propos recueillis par #PG9


Benoît Solès, Anne Plantey, Amaury de Crayencour, Tristan Petitgirard( C)

Pour en savoir plus sur la "famille" proche...


[Théâtre] “La Machine de Turing”. Formule magique, entretien avec Benoît Solès


[Plonger dans l’âme de...] Anne Plantey, comédienne. Sur la route des mots


...sur la "famille" élargie...


[Plonger dans l’âme de...] Jean-Philippe Daguerre. Le sacre d’un passionné


[Avignon 2019] Kamel Isker, comédien: son parcours, ses projets... et "La Famille Ortiz


[Avignon 2019] Charlotte Matzneff pour "Arlequin, serviteur de deux maîtres" et "La Famille Ortiz"


[Plonger dans l’âme de...] Isabelle de Botton. Le théâtre comme seconde nature


[Plonger dans l’âme de...] Flore Vannier-Moreau, comédienne. Un(e) pour tous, tous pour le théâtre!


Et sinon...




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