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  • Photo du rédacteurCulture Etc

[Plonger dans le monde de...] Niqolah Seeva, explorateur nomade et humaniste

Les artistes ont chacun leur univers et leur parcours. La série [Plonger dans l’âme de...] propose de rentrer dans leur processus créatif. Elle pourrait s’appeler “Pourquoi créez-vous?”. Aujourd’hui, je vous propose de plonger dans le monde fascinant de NIQOLAH SEEVA. Un explorateur nomade et humaniste qui déconstruit/re-construit les sons, les instruments et jusqu’au langage lui-même. L’échange a été encore une fois passionnant... Bon voyage!




Bonjour Niqolah. Comment pourrait-on définir ce que tu fais?


Je porte une identité musicale très singulière, que je nomme "new world music", entre les musiques du monde et les musiques actuelles. Je cherche à mêler intimement les influences, à combiner plein de matières différentes: musiques orientales, arabes, indiennes, et musiques rock, electro ou jazz... Il y a un croisement de styles, un franchissement de frontières musicales. J'aime ces mots: "croisements", "frontières". Ca ramène au voyage, c'est assez évocateur sur une idée politique d'aller au delà des frontières. Ma musique, même si elle est artistique, est un engagement: mélanger des choses qu'on n'a pas souvent l'habitude de mélanger pour la beauté et la richesse des rencontres interculturelles que cela provoque. J'ai déjà fait du rock très rock ou des musiques purement expérimentales, mais là, je cherche à symboliser la richesse des rencontres. On est dans un monde qui a plutôt tendance à diviser, j'ai envie de montrer ce qui nous rassemble.


Tu veux unir?


Unir plutôt que diviser. La "Guit°arabia", cet instrument né du croisement avec un oud et une guitare, que nous avons créée avec deux luthiers français et marocains, Jean-Yves Leray et Abdellah Mourid, en est le symbole. C'est vraiment les approches réunies des musiques occidentale et orientale, même si leurs procédés sont très différents, voire parfois antinomiques. Il était passionnant de faire le lien entre les apports positifs de l'une et l'autre de ces cultures.


D'où es-tu?


Je suis originaire du Finistère... mais les frontières et les territoires sont faits pour être traversés! J'étais d'abord, ici en France, musicien de musiques actuelles, donc je jouais de la guitare et de la guitare électrique, dans le style vraiment rock, mais aussi électro ou jazz. J'ai commencé les concerts à 15 ans. J'ai commencé très tôt à m'ouvrir à plein de musiques: Jazz, expérimental, musiques du monde. Quand j'ai découvert les voyages, j'ai élargi ma pratique instrumentale et je suis devenu multi-instrumentiste. J'ai intégré le Oud, le Saz, un instrument turc... Je suis allé étudier les tablas, le chant indien, les percussions indiennes...


D'où te vient ce besoin?


C'est un besoin de m'enrichir musicalement, culturellement et humainement. Pour moi, un artiste doit toujours se nourrir pour continuer à faire vivre sa musique. C'est un chemin perpétuel. Quand tu finis un projet, il y a forcément un après. Comment le nourris-tu? Comment continuer à nourrir sa musique pour franchir l'étape d'après, pour poursuivre le chemin?...


On continue à retracer ton parcours?

Artwork Gérald Bastard

La 1ère étape, c'est donc mon passé de musicien rock. La 2ème, c'est l'ouverture aux musiques du monde. La 3ème, c'est le fait d'être parti au Maroc. Je suis resté un an sur place, c'est là que j'ai appris la langue arabe. Je me suis vraiment immergé dans la musique orientale. C'est à la suite de ça que le Oud, luth oriental, est devenu mon instrument principal. A partir de là, musicalement, j'avais des projets qui étaient soit sur les musiques traditionnelles, soit sur les métissages avec musiques actuelles et musiques orientales. C'est à partir de là que j'ai créé le projet "Niqolah Seeva".


Que faisais-tu au Maroc?


Je faisais de la musique. Je suis parti là-bas pour un projet de création de spectacle mélangeant jazz et musique berbère: "Jazzamazigh". "Amazigh" c'est en fait le mot officiel pour dire berbère. On faisait le lien. Il a été créé à l'Institut Français de Casablanca avec neuf musiciens: quatre français, dont moi, et cinq berbères: Mathieu Desbordes, Camille Secheppet, Nicolas Le Moullec et les Frères Akkaf. Il a très peu tourné, c'était pas ça le but, c'était vraiment une expérience. L'idée était de mettre en situation de création des artistes avec des pratiques musicales étrangères l'une à l'autre, et d'observer comment il allait pouvoir communiquer, s'agencer, créer... C'était la première fois que je mettais en place une création avec des musiciens de cultures différentes et ça a été une étape importante pour mon parcours.


“A Jazzamazigh Experience : croisements entre langage contemporain et traditionnel” (Le Matin, 30/04/2004) http://lematin.ma/journal/2004/A-Jazzamazigh-Experience--croisements-entre-langage-contemporain-et-traditionnel/40011.html

Les musiciens français, ils étaient venus exprès où tu les avais rencontrés au Maroc?


C'était des musiciens de Jazz que j'avais connus avant, à Tours. J'ai mis 2 ans pour monter ce projet... Ils sont venus pour la création elle-même. Ca a duré un mois à l'Institut Français de Casablanca.


Cette expérience a provoqué quelque chose de particulier en toi?


Je m'étais ouvert à plein d'instruments, mais, quand je suis revenu du Maroc, j'ai choisi de faire du Oud mon instrument principal. C'est un moment très important, parce que c'est vraiment là que j'ai commencé à explorer à fond les musiques du monde, les musiques orientales surtout.


Et le langage?

Niqolah Seeva et la Guit°arabia (Photo: la Réaction)

A l'origine, j'étais musicien de musiques actuelles en anglais et français. A partir du moment où je suis revenu du Maroc, j'ai commencé à composer aussi en arabe. C'est le début de mon projet "Niqolah Seeva". J'ai commencé en solo avec un Oud adapté: je jouais de l'électro-oud, cablé sur un multi-effet avec des pédales de sample. J'ai mélangé le côté acoustique du Oud avec le côté électrique des effets, des chants. C'est la 1ère création de Niqolah Seeva. Et, effectivement, la langue, c'était un mélange entre français, anglais, arabe et phonèmes indien... Puis, j'ai été invité aux Escales de Saint-Nazaire. J'ai mélangé mon oud avec le violoncelle de Daniel Trutet, les tablas indiens d'Anne-Laure Bourget, les machines électro de Florent Exmelin, le chant d'Aicha Lebgaa. Ce projet-là s'appelait "Niqolah Seeva & electroriental orchestra". Avec cette idée de métissage: le violoncelle, instrument classique, le oud, instrument oriental, des percussions ethniques indiennes, un DJ qui mixe de l'électro entre tradition et modernité! Ce mélange-là, cette recherche, c'est ma marque de fabrique.


Niqolah Seeva & Electroriental Orchestra au Festival “Les Escales” - Saint Nazaire https://www.youtube.com/watch?v=bLAffMSnS_4

La volonté de faire se marier les univers...


Les univers temporels: le oud, c'est un instrument très ancien qui a 1.200 ans, et l'approche de la guitare électrique... Mais l'aspect culturel aussi, le métissage culturel. Temporel, c'est tradition et modernité, culturel, c'est l'Orient et l'Occident en gros.


De fil en aiguille, on en arrive à “Niqolah Seeva Hybrid Orchestra”, avec au coeur un nouvel instrument...


Il y eu le Solo, puis l'electroriental orchestra et maintenant on arrive à Niqolah Seeva & Hybrid Orchestra. C'est en fait une manière pour moi d'aller encore plus loin dans le métissage, parce que l'instrument lui-même est hybridé... C'est le premier spectacle complètement dédié à la Guit°arabia, l'instrument que j'ai inventé. Je l'ai intégrée par petites touches dans différents répertoires avec mes autres projets de groupe, mais là, c'est la 1ère fois que je créé un spectacle entièrement dédié à cet'instrument hybride, d'où le nom "Hybrid Orchestra".


Vous avez mis combien de temps pour développer la Guit°arabia?

Niqolah Seeva (Photo: la Réaction)

Ca fait quasiment 12 ans que je travaille sur des transformations d'instruments. Y'a une 10 aine d'année, je faisais déjà des prototypes pour mettre des 1/4 de tons à certains endroits. La Guit°arabia est vraiment née récemment dans son modèle définitif. Les autres étaient des prototypes, mais là, c'est le modèle abouti! J'ai mis 12 ans pour y arriver. J'étais arrivé à un moment où il me fallait un instrument pour réaliser la musique que j'avais en tête. Le Oud, c'est bien pour certaines musiques, la guitare pour d'autres. J'ai toujours essayé d'amener l'un vers l'autre. Je me suis dit, pourquoi ne pas le réaliser sur un instrument. La particularité de cette guitare, c'est que jusqu'à la 7ème case, y'a des cases, c'est à dire des frettes. Après... y'en a plus, le manche devient fretless. Y'a donc deux parties dans le manche. Une partie avec des cases dans les graves et une partie fretless dans les aigues. Moralité, des cases y'en a 14: finalement, sur les 7 premières frettes, il y en a maintenant 14 parce que j'ai mis des cases entre les cases. En gros, j'ai divisé chaque case par deux, ce qui donne des 1/4 de tons. Contrairement aux 1/2 tons de la guitare, ça devient des 1/4. Je peux donc jouer des accords de guitare, je peux aussi jouer des mélodies avec des 1/4 de tons qui normalement ne sont pas réalisables à la guitare. Et puis aussi, je peux faire des choses qui n'existent pas: des accords en quarts de ton. Et c'est magique...


Interview du 18 Janvier 2013 sur Prun', émission électro-Bamako: Niqolah Seeva raconte la Guit°arabia... https://soundcloud.com/niqolah-seeva/guit-arabia

Et ça t'emmène toujours plus loin...


Oui, ça m'emmène plus loin! Je peux faire un jeu de guitare, un jeu de oud, je peux faire des choses qui n'existent pas encore. Ca m'amène à un pan de création qui est hyper excitant pour moi: je peux créer un langage musical pour cet instrument-là. C'est extraordinaire. D'où l'idée d'aller aussi dans ce sens-là avec la langue, en provoquant une une hybridation des langues arabe et anglaise, que je nomme "3enqlich", traitement des sonorités de l'arabe avec la sémantiques de l'anglais.


La genèse de l'hybrid orchestra


Pour Hybrid Orchestra, il fallait des instrumentistes prêts à détourner les instruments de leur pratique d'origine. La contrebasse est amplifiée, avec des effets, et également, elle peut jouer les quart de ton. Parce qu'elle n'a pas de frette, de cases. La batterie, on peut l'appeler une batterie de percussions orientales. Il a mis une derbouka à la place de la caisse claire, il a mis des bendirs à la place des toms, il a conservé la grosse caisse et le charley et en plus de ça il peut déclencher des sons qui sont reliés à l'ordinateur de l'ingé son.


Ce trio est né comment? Tu as fait appel à ton petit frère, Julien stévenin, contrebassiste...


"Niqolah Seeva & Hybrid Orchestra". Photo: Charlie Lie (C)

Avec mon petit frère on a fait des groupes ensemble par le passé, avec Bachir Rouimi, le percussionniste, on a aussi travaillé ensemble plusieurs fois. Pour ce projet-là, j'avais besoin de musiciens qui soient capables de comprendre ma musique. Tous les musiciens ne sont pas formés pour jouer des 1/4 de tons. A l'inverse, les musiciens orientaux ne vont pas forcément comprendre les relations d'accord ou de rythmes propres a nos musiques actuelles. Il me fallait donc des musiciens suffisamment ouvert pour comprendre la démarche musicales.


L'alchimie s'est bien passée: le résultat est là. Vous avez travaillé combien de temps tous les trois ensemble?


On a commencé les répétitions fin 2016. Début janvier, on a joué un show case à "Musique et Danse en Loire-Atlantique" 1/2 h. On avait préparé 3 morceaux devant un public de professionnels. Suite à ça on a répété de nouveau et on a créé fin mai début juin à la Fabrique de Chantenay après 5 jours de résidence.


Et comment tu vois le chemin après?


La suite du projet, c'est une résidence au VIP à Saint-Nazaire, et puis, enregistrement d'album dans la foulée cet hiver. On va travailler les visuels aussi... Le graphisme, l'esthétique du projet et des costumes de scènes. Mais de manière plus immédiate, la première vidéo de ce nouveau groupe sort très bientôt...!


Quel monde te correspondrait le mieux? As-tu l'intention de te poser quelque part?

Niqolah Seeva aux "Scènes Vagabondes". Photo: PG9 (C)

Dans les textes que je développe, j'essaie de projeter dans un monde, dans un futur proche. Un monde où on puisse simplement avoir ces échanges-là, humains, curieux, naturels, bienveillants. Où on puisse avoir plutôt des armes de construction massive plus que de destruction massive, comme le dit si bien Idriss Aberkane, neuroscientifique philosophe. L'appellation "New world music" porte l'idée de musique moderne du monde, mais aussi suggère ce monde imaginaire et fantasmé vers lequel je souhaite que l'humanité se dirige.


Mais, nous, on ne peut pas le comprendre puisque la langue est inventée...


Oui on ne peut pas tout comprendre, mais quand je dis "Hababy" (fusion linguistique de l'anglais "baby" et de l'arabe "habibi"), ton oreille croit reconnaître une langue étrangère, mais pourtant comprend quand même un peu. Les textes sont juste là pour suggérer des choses. Laisser des traces, des images en tête. Il y a plutôt cette idée d'avoir des échanges pacifiés. Qu'on prenne bien la mesure, la valeur de chaque culture. Les échanges sont à mon sens la première source de création.


Construire des ponts plutôt que des murs...


La pensée est là. Rassembler plutôt que diviser. Prendre conscience qu'en musique, il n'y a jamais eu de création sans échange. Si tu regardes toute la musique depuis la nuit des temps, c'est basé sur des rencontres. C'est à mon sens comme ça qu'on créé.


Propos recueillis par #PG9


Niqolah Seeva aux "Scènes Vagabondes". Photo: PG9 (C)





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