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[Plonger dans l’âme de...] Leïla Huissoud

Quand nous avons échangé avec Simon Mary en août dernier, il avait parlé de son travail avec “une très jeune chanteuse dont on va entendre parler dans la chanson française”: Leïla Huissoud. Nous sommes en décembre, l’album “Auguste” est sorti. C’est une vraie perle. Tout ce que Leïla a fait jusqu’à présent déborde d’une sensibilité fragile et heureuse, d’une gaieté au bord des larmes. Est-ce de la joie, de la tristesse? Qui chante ces petites merveilles? “ce sera Auguste, on ne choisit pas de quel côté des rires on va”. Une écriture pleine de justesse, une voix pleine de chaleur et de vérité. Une jeune chanteuse pleine de vie. Et d’Avenir. Bon voyage


Leïla Huissoud. Photo: Marcel Aumard (c)

(Note: au tout début de notre discussion, Leïla se bat avec sa machine à café)


Bonjour Leïla. Enchanté de faire ta connaissance pour parler avec toi... de toi. Ma première question est ouverte et ça va être très compliqué pour toi de répondre: qui est Leïla Huissoud ?


Bonjour Philippe... Une petite teigne. Tu vois, ça n'est pas si compliqué ! J'ai un côté assez acharné et, comme je suis petite, ça fait ça: petite et teigne. Franchement, c'est beaucoup trop compliqué comme question du premier coup comme ça! Je suis une jeune fille plouc de la campagne qui ne s'en défait pas, qui a la chance d'avoir un papa passionné, très sensible et une famille entière de gens sensibles. Qui du coup est très touchée par les mots. C'est mon père qui a fait déteindre sa passion sur sa fille. On a ce truc en commun qui nous est très cher, très fort, on oblige les gens à écouter des trucs, on leur interdit de parler pendant, on est là à faire nos gros nos yeux genre “écoute”! On fait flipper tout le monde.


C'est les mots ou la chanson ?


Les mots, la chanson... Des fois, on écoute simplement les gens parler, on les observe. Ou on écoute la radio... On est des fous furieux des gens qui ont de la répartie. On adore ça !


Vous passez des soirées à parler alors ?


Leïla Huissoud (c)

On parle, on se fait écouter des trucs, on réécoute, des fois juste une phrase d'une chanson parce qu’elle nous plait... On se joue des trucs, parce que mon papa fait aussi de la guitare, chante comme moi et il écrit un peu. On se montre les copains qu'on a croisés, ou les gens qu'on a vus en concert. Il venait souvent me chercher à la sortie de l'école pour m'embarquer à un concert direct. On se marre, c'est tout.


Vous vivez !


Voilà. En ce moment, j'écoute plein de choses, parce qu'on a une nouvelle équipe, on se renifle un peu tous, les musiciens, les techniciens, etc. L'autre jour, ils m'ont dit, et on me l'a souvent déjà dit, qu'ils ont l'impression que je suis la plus jeune de l'équipe, ce qui est le cas, mais que, en même temps, je suis la plus vieille. J'ai un côté très, très ponctuel, très mamie... Je me couche tôt, je fais gaffe à tout, et, en même temps, j’ai un côté complètement stupide. Je suis capable de me faire pipi dessus parce que c'est drôle au moment opportun. Du coup, j'ai en même temps 4 ans et demi et 82 ans pour eux quoi... Je ne sais pas si c'est une bonne analyse de moi-même, mais je fais cette impression.


Tu es originaire de où exactement ?


Attention... Je suis originaire des terres froides du Nord Isère. Je suis née à Vénissieux et j'ai grandi dans la campagne autour de Lyon. Ca pèle et il y a surtout des vaches, plus que des gens. Mais, heureusement, il y a des chansons.


Tu vis toujours là-bas ou à Lyon ou ailleurs ?


J'ai un peu essayé d'aller habiter en ville, à Strasbourg parce que j'adore cette ville, j'ai habité à Lyon, un tout petit peu à Paris, à Genève... Et puis là, je suis de retour chez moi. Parce qu'en fait, c'est mieux la maison. J'ai mes bottes et je suis contente.


On est bien. Il y a une cheminée ?


Bien sûr qu'il y a une cheminée !


La question était bête excuse-moi !!


On coupe du bois... Ca n'est pas une blague. C'est vraiment une ferme. Là où j'ai grandi, on avait un cochon qu'on avait appelé “Tirelire”, quel génie! On avait des poules, des lapins...


Vous ne les avez plus ?


Non, on les a mangés.


C'est cruel !


Leïla Huissoud Photo: AUUNA - Geoffrey Saint-Joanis (c)

Non. En fait, on était 3 petites filles, j'ai deux grandes soeurs, on aime les animaux. Le cochon, c'est le cadeau de mariage de mes parents, ça, on n'y peut rien, on a bien ri avec. Nous, on voulait des lapins. Mon papa, son idée d'éducation, c'était de nous dire: “vous voulez des lapins, très bien, mais à partir du moment où il y en a plusieurs c'est un élevage, donc, vous, vous gardez vos lapins, les lapins de base, mais après, s'ils font des petits, c'est un élevage, donc vous devrez vous les tuer et les cuisiner”. C’est ce qu’on a fait. Pareil pour les poules. Et, pareil le cochon, à la fin, quand il était trop gros... Trois petits filles qui couraient après des lapins, c'était super !


C'est une école de la vie au naturel ?


Ah oui, très! C'était: “vas-y, touche le feu, tu verras bien ça brûle, tu ne referas pas”.


Donc ton père chante alors? Ca t'est venu de lui, le fait de chanter?


Il chante, joue de la guitare, il fait la même chose que moi. Je fais la même chose que lui plutôt. Après, il y a plein de petites pièces, parce que, mon grand-père, avec lui, je partage la passion du cirque et avec une des mes sœurs aussi. Donc, mes premières scènes, c'était pour du cirque, pas du tout pour de la musique. Le côté tada, paillettes, spectacle, ça vient plus du côté de mon pépé et de ma frangine. Et puis, ma maman était danseuse... Enfin bref, il y a plein de petites choses qui ont donné leur aspect à ma chanson. Mais j'avoue que la grosse base, c'est mon papa. Le patron.


Tu as pris des cours de cirque, de clown ?


Oui, beaucoup. Avec une de mes grandes sœurs, on avait un binôme de cirque, on a fait l'école du cirque pendant très longtemps, jusqu'à ce qu'elle parte faire des études supérieures.


Quel est le premier texte que tu aies écrit ?


Leïla Huissoud (c)

Le tout premier s'appelle “Le bistrot”. C'était en 2nde, je crois. J'avais écrit ça pour mon prof de français que je trouvais assez incroyable. C'est la 1ère fois que j'ai mis un texte en musique. Parce que des textes, j'en écris depuis toute petite. En fait, je m'enregistrais, parce que je suis dyslexique. Je n'arrive pas à me relire et personne n'y arrive. Mon père m'avait acheté un mini disque pour m'enregistrer... J'ai des heures de moi qui cause toute seule. Quelle histoire! J'ai commencé à être un peu intéressée par ça. J'aimais les mots, mais lire un bouquin pour moi, c'était impossible, je galérais un truc de fou. Quand j'ai découvert les recueils de poèmes où tu ouvres, tu lis une page, tu as une histoire et tu peux le refermer, le reposer, c’était bien. Du coup, j'aimais beaucoup les poèmes, je voulais en écrire. Sauf qu’avec la dyslexie, la dysorthographie... je n'arrivais pas. Je ne pouvais les faire lire à personne. J'avais un autre problème, c’est que je bégayais. Donc, les déclamer c'était compliqué. Je suis allée chez l'orthophoniste, comme beaucoup de gens. Le chant m'a aidé, mais pour arriver jusqu'à la chanson, il y a eu tout un bazar... Un course d'obstacle.


C'est un long chemin...


Leïla Huissoud est une course d'obstacle. Voilà la réponse à ta première question!


Ecoute, c'est magnifique, parce que les obstacles, tu les as franchis les uns après les autres. Et bravo, parce que ce 2ème album est très réussi.


Merci, je suis contente.


On sent qu'il est particulièrement important pour toi. Pourquoi ?


Mathias Malzieu, Leïla Huissoud (c)

Ca va faire 4 ans que je fais de la musique. Maintenant, j'estime que je commence à comprendre comment marche ce milieu, du moins le milieu chanson dans la musique. Le personnage d’Auguste découle du fait que j'ai été hyper déçue par ce métier. Mais, ce qui est drôle, c'est que, en le faisant, en l'enregistrant et en le jouant, j'ai rencontré des gens qui ont encore complètement bougé mon image du métier, de la manière de le faire. Typiquement, Simon Mary, est une personne magnifique, avec une carrière incroyable. Il a accepté de faire l’album avec moi parce que ça lui a plu, et puis je l'ai fait rire, mais il n'a rien à y gagner. Mathias Malzieu a accepté un duo comme ça alors qu'il ne me connaît pas et que je ne vais rien lui apporter non plus. Voilà. Je suis partie d'une déception du métier, et pour pouvoir faire cet album, j'ai réussi à m'entourer de gens que je trouve beaux, intelligents, hyper bienveillants... alors que je n'en avais pas énormément croisés jusque là. Du coup, je me suis pris une claque en chantant ma déception. Une claque de gentillesse, de bienveillance, d'aide. Je suis entourée comme je ne pensais pas pouvoir l'être. Toute l'équipe, jusqu’à celle qui part sur la route, c'est trop de bonheur! J'ai appris à déléguer par la même occasion. Je ne suis plus complexée par la musique, je l'ai déléguée à des gens que j'admire à ce niveau-là. J'ai ma petite fierté avec les textes, ma voix plus ça va, plus je la supporte parce qu'on finit par s'y habituer quand même. Donc, tout va de mieux en mieux et c'est agréable. C'est dingue.


Quel parcours! La déception, la plongée dans toi-même et la renaissance.


Oui. C'est vraiment... Complètement. C'est bien. Je sais plus quoi dire, mais c'est trop bien.


12 chansons. Ce que tu veux vraiment dire dans cet album, c'est quoi ?



Je parle encore beaucoup de la place de l'artiste parce que justement, ça me travaillait. L'Auguste, le clown avec le nez rouge du titre de l'album, pour moi c'est lui qui fait le lien entre tous ces morceaux. Dans “l’Ombre”, mon premier, j'étais moi-même le point de ralliement de tous les morceaux. C'était un journal de jeune fille. Là, c'était important pour moi de jouer d'autres personnages, peut-être même de prendre des personnages masculins etc... Et la cohérence, c'est le clown. Sa sensibilité. Disons, le premier album, c'est des petites misères de jeune fille, des trucs un peu ridicules, transformés en drames, sans mesure dans les sentiments, dans les émotions ressenties, on fait tout énorme. Le deuxième, c'est l'inverse. J'ai pris des trucs que je voyais autour de moi, dont des drames, des trucs vraiment durs que je voyais et j'ai voulu les transformer en pots de fleurs, parce que c'est un clown qui les raconte. C'est pour ça que le cocu de la femme du vendeur de paratonnerre se la ramène alors que pour lui c'est horrible ce qu'il a vécu. Tout le monde se fout de lui, il fait sa chanson et c'est léger. Il y a pas mal de chansons qui abordent la mort, des thèmes que j'avais pas osé toucher parce que ça me met mal à l'aise. J'y suis allée en légèreté, en sourire... C'est “après moi le déluge” cet album en fait. C'est tout pourri, mais on y va, on fonce et pouet pouet...


Il y a une phrase que je trouve absolument superbe dans la chanson “Les tours de Rond-Point”, tu dis “je suis une structure où le bancal est au service de l'équilibre”.


Cette phrase, je l'aime bien, mais là où ça ne me semble pas incroyable de l'avoir écrite, c'est qu'elle dit exactement ce que je voulais dire dans cette chanson. Donc... Tout est cohérence. Ca va, tout va bien.


Elle te décrit un peu aussi, non?


Simon Mary (C)

Pour le coup, elle est complètement sur moi et justement le parcours que je veux faire en chanson. A un moment, je n'arrivais pas trop à écrire et je demandais des thèmes à des gens, avec des contraintes, pour faire des exercices, pour essayer de me remettre à écrire et là, c'est un copain qui m'avait donné l'ambition comme thème et la contrainte, c'est que la fin devait être l'inverse du début. Et j'ai écrit cette chanson. En l'écrivant, je me suis posé la question de l'ambition qu'est-ce que tu veux tu vas où avec ça, c'est quoi ton but, pourquoi tu t'arraches les cheveux sur le papier, qu'est-ce qui se passe? Et je me suis dit en fait non, les carrières qui me font rêver, c'est Alexis HK, des carrières qui durent 25 ans. Il est peut-être passé une fois sur un plateau télé et 6 à la radio, personne ne l’embête, il remplit ses salles avec son public, il fait de la bonne zique, il est entouré par des musiciens comme Simon Mary, justement. C'est ce que je veux faire. Je ne veux surtout pas que ça marche mieux que ça. Déjà, pour que ça marche comme Alexis HK, c'est pas gagné! Mais je n'ai aucune ambition folle. Quand tu vas un peu haut, il faut être sûr de pouvoir supporter ce qui va avec. Et, moi c'est pas le cas, je suis un putain de mobile....


Parmi les artistes un peu contemporain, de ta génération ou pas, en tous cas qu’on entend aujourd’hui, de qui te sens tu proche ? Par exemple Alexis HK peut-être.


Proche ? Ca c'est dur. Il y en a beaucoup que j'aime mais je ne dirais pas proches de ce que je fais... Il y a un artiste qui n'est pas connu du tout. Il a justement écrit pour mon album, c'est la seule personne avec qui j'arrive à écrire, et j'ai l'impression qu'on a vraiment une vision... proche. On est allés voir 2 – 3 concerts ensemble, on se retourne sur les mêmes mots, les mêmes trucs nous font tiquer, et je pense que sa manière d'écrire me touche autant parce qu'on se ressemble beaucoup. Il s'appelle Nicolas Vivier, son projet c’est “Hector ou rien”, il commence tout juste. A la base, il a un groupe en Suisse de Rock un peu festif qui s'appelle Kaceo. “Hector ou rien” est très proche de ce que je fais. C'est un peu moi en garçon. Je le vois comme ça. C'est peut-être prétentieux...


Mathias Malzieu, Leïla Huissoud, Nicolas Vivier (c)

Et là, l'album est sorti. Le concert de sortie d'album à Lyon est déjà complet ?


Oui, il est même sur-complet.


Bravo !


C'est une petite salle, on n'est pas... Encore une fois, tout est une question de mesure, tout est relatif.


Tu fais les choses à ta mesure, pour ne pas être en déséquilibre.


Petite chanteuse, petite salle !


Petite qui grandit drôlement quand même, tout ce que tu fais est bien. Et ta conscience des choses, de leur mesure, c'est effectivement ce qui va te permettre d'aller plus loin. Certes, tu es sur un fil d'équilibre, mais cet équilibre, c'est toi qui l'as trouvé...


Là, je pense que je suis pas mal oui en ce moment. Franchement, ça va particulièrement bien, c'est presque effrayant. Je ne sais pas quoi en penser...


Vers quoi voudrais-tu aller ? Quels sont tes projets ?


Leïla Huissoud (c)

J'essaie violemment de me forcer à apprendre...Les musiciens qui m'accompagnent sur le spectacle sont des monstres, comme je te disais. Déjà, on va tourner ce spectacle et l’amener à son maximum. J'ai adoré les premières, ça a été un plaisir. C'est la première fois, en jouant le spectacle, je sors de scène, je suis déjà contente de ce qu'on fait. Mais on a une marge de progression. Ce sont vraiment de très très bons musiciens, ils viennent du jazz, des supers gars. J'aimerais bien être à leur hauteur techniquement, bosser un peu pour les rattraper et pouvoir parler avec eux parce que je ne comprends rien à ce qu'ils disent quand ils parlent musique! Et, surtout, m'ouvrir. Je leur fais des sessions culture-chanson française, parce qu'ils n'en ont jamais fait, donc ils sont vraiment ailleurs. Eux, me font des sessions culture jazz- funk- musiques du monde... Je suis passée à côté de beaucoup de choses. Je suis assez calée en chanson, mais sur tout le reste, je suis très très loin. Donc, j'ai ce trou à combler. Et sinon, j'ai un projet assez personnel: ça fait quelque temps que je stocke sur mon ordinateur des cartes postales sonores que j'écris à des gens. Souvent, j'en fais 3, avec 3 regards différents sur la même personne. Je me demande ce que je vais en faire ce sont des petites chansons d'une minute 20 en général. J’aime bien. J'écris sur des gens et je leur envoie. Je ne sais pas si c'est très intéressant, j'en parlerai à mes musiciens pour avoir leur avis.


Le plus important, c'est ta sincérité.


Oui, je sais. Après il y a peut-être un truc qui va embêter certaines personnes, c'est que, “L'Ombre”, c'est un album, tu l'écoutes une fois, tu as compris. Il y a beaucoup de 1er degré, c'est très sensible. Il y a juste un guitare, on entend tout bien. Il y a ce truc-là dans “l'Ombre”, c'est un album qui est efficace à la 1ère écoute. Par contre, je ne sais pas si on va l’écouter 50 fois. Tandis que “Auguste”, il faut écouter plusieurs fois pour comprendre vraiment les chansons, pour attraper des bouts de phrase qui nous touchent. Il y a pas mal de titres que j'introduis sur scène parce qu'on se dit que si je ne les explique pas un peu avant, les gens vont passer à côté. Typiquement, “L'enfant communiste’ parle de l'amour pendant les règles, c'est une vanne et si je ne le dis pas avant de la chanter sur scène, je sais que la plupart des gens vont passer à côté. Il faut qu'ils l'écoutent plusieurs fois avant de s'en rendre compte, s'ils s'en rendent compte à un moment. “Auguste” est plus taquin. Comment dire, je me suis permis plus de trucs. D'habitude je me dis, il faut que les gens comprennent et là j'ai eu envie de laisser les gens faire ce qu'ils veulent avec. Interprétation libre. Justement, on ne voit pas mon visage non plus sur la pochette, parce que je voulais que les gens puissent s'imaginer que je sourie ou que je pleure, selon ce qu'ils voient dans cet album, s'ils le sentent triste ou pas, si eux ils sont tristes ou pas et voilà. J'ai envie que les gens sautent des chansons, qu'ils n'écoutent que des petits passages, qu'ils fassent leur patch work avec. C'est un truc, tu le prends dans le sens que tu veux, tu fais un peu ce que tu veux avec, c'est ça l'idée.


Comme tu dis “ce sera Auguste, on ne choisit pas de quel côté des rires on va”. Tu veux laisser les gens choisir de quel côté des rires ils vont?


Leïla Huissoud. Photo: Lucile Salignat (c)

Les gens font ce qu'ils peuvent et moi aussi. Cette phrase, elle a été écrite parce que, sur le premier spectacle, que j'imaginais torturé, dans la noirceur, le drame... je faisais marrer les gens, le plus souvent. Quand je me pose sur une scène en plein milieu, je regarde les gens, je suis neutre, je n'ai pas choisi d'être drôle. Je ne sais même pas si je suis drôle... mais j'amuse et je ne sais même pas pourquoi! Je ne sais pas si c'est mon visage, ma démarche, je ne sais pas ce que j'ai fait... En gros, je me suis sentie clown tout de suite sur scène en trouvant un peu ça ridicule parce que franchement, un clown ! C'est quoi ton métier ? “Clown! Professionnellement, je me fais moquer”. Ok très bien. Souvent, ce sont des mecs qui ont bossé comme des fous pour faire semblant de tout rater. Ils sont hyper forts, il faut bien savoir faire les choses pour réussir à bien faire semblant de ne pas savoir les faire, c'est une vraie galère. Etre clown, c'est la lose. Mais je trouve ça beau en même temps, parce que ça n'est pas hyper humain: un clown n'a pas vraiment de dignité, pas d'ego. Si tu veux être un bon clown, il faut vraiment qu'on ait l'impression que tu es ce que tu joues. Ca veut dire abandonner tout ton côté humain, alors que dans le monde du spectacle, on est des ego sur patte! Le clown, c'est l'artiste le plus mystérieux, le plus bizarre... Et je suis fascinée par les duos de clown, le clown blanc, et Auguste, celui avec le nez rouge. Je suis persuadée que tu ne choisis pas si tu es l’un ou l’autre. Il y a des gens, par exemple, très grands, qui ont un côté très froid, qui te regardent de haut tout le temps, ils ont pas le choix, c'est pareil. Ils te détaillent, tu te dis qu'ils te prennent pour une merde, mais au bout d'un moment, tu te rends compte qu’ils sont hyper cools. Ils regardent tout le monde comme ça, ils n'y peuvent rien. Moi, je regarde tout le monde de bas, avec mes joues on dirait qu'elles sourient tout le temps, même quand je fais la gueule. Bref, j'ai l'impression de ne pas avoir vraiment choisi d'être ce petit machin drôle. Ma taille non plus je ne l'ai pas choisie, je n'ai rien choisi en fait. Ca me va, hein, attention... Ca fait juste bizarre de faire rire alors que, parfois, tu es triste... C'est bizarre.


Tu n'as rien choisi du tout, mais tu as quand même choisi de chanter et d'aller au bout de ça.


Leïla Huissoud (c)

Oui. Maintenant j'aime bien, mais il y a eu une période où c'était dur. La découverte du métier a été hyper violente. Parfois, je n'avais pas envie d'y aller. Mais, j’ai tout fait jusqu'au bout et, là, je commence à prendre beaucoup de plaisir.


Tu as lutté contre toi-même?


Contre plein de choses. Parce qu'il y avait les retours des gens. Toi, ce que tu essaies de faire c'est une chose, mais il y a ce que les gens voient. Et c'était très dur. Les retours que me faisaient les gens, ça n'est pas du tout ce que j'avais essayé de faire. Même s'ils trouvaient ça bien, moi ça n'était pas du tout mon objectif. Du coup, c'était dur.


Avec Simon Mary, la rencontre s'est passée très vite, vous avez tout de suite bien branché tous les deux...


Oui. Je l'avais déjà vu plusieurs fois sur scène, justement avec Alexis HK. J'ai écouté le travail d'arrangement qu'il a fait pour d'autres artistes. Je lui ai demandé de travailler avec moi, je voulais que ça soit lui, mais je ne pensais pas qu'il allait accepter! On s'est vus à Paris, il voulait me voir. Je n'ai pas trop dû lui faire peur parce qu'il a dit Ok. J'ai fini mes 12 chansons en août 2017 et, jusqu'à décembre, on s'est fait des échanges de mail. Je lui disais dans un langage pas du tout technique: “sur cette chanson j'imagine une fanfare, un cirque comme ça”... et lui me renvoyait des arrangements sur les guitare-voix. “Ca te va, ça te va pas?” Des allers-retours par mails. En décembre, je suis allée deux jours chez lui pour tout finir, il m'a accueilli dans sa famille... Je me suis pris une baffe! C'est la première fois que je croise un musicien qui a réussi sa carrière, sa vie personnelle, qui est gentil, calme, posé, généreux et qui a trop la classe. Ca fait du bien. Quel bonheur! Après, on a fait le studio. C'était vraiment une chance de l'avoir: moi, c'était mon premier studio, Simon, il en a fait beaucoup. Il avait fait son planning, hyper carré, du coup il a permis qu'on n'ait pas de retard, que ça ne soit pas l'angoisse. C'est lui qui a casté tous les musiciens, je me suis retrouvée avec une armée de monstres. En plus, il fait bien à manger ! Franchement... je ne sais pas, cet album, c'est bizarre pour moi: j'ai toujours tout fait toute seule et, là, j'ai le sentiment de présenter un album comme si c'était le mien alors que c'est celui de Simon, celui de Nicolas Vivier justement, et de tous les autres... Il y a tellement de gens qui ont bossé dessus et qui ont mis vraiment beaucoup de choses à eux. Je ne suis que reconnaissance.


Nicolas Vivier, Leïla Huissoud, Simon Mary. Photo: Fabrice Buffart (c)

Super. Bravo Leïla pour tout ça. Tes prochains concerts ?


Le 1er décembre, on était à Maure de Bretagne. Le 7 on est à Marseille, le 8 en Ariège à Lèzat sur Lèze, après il y a le 13 décembre à Lyon. Je sais plus trop... Je sais que le 1er février on joue avec Alexis HK, donc avec Simon Mary aussi, à Dardilly au Festival Les Nuits Givrées . Ca me stresse que Simon voit ce qu'on a fait de ses arrangements. On dû réarranger pour le live, et je me demande ce qu'il va en penser mais, je suis contente de le recroiser... Et puis voilà, c’est parti.


Un petit mot de conclusion. La chanson aujourd'hui. Tu penses enfin commencer à maîtriser ton discours et sa perception par les autres ?


Pff. Je ne sais pas. Je pense que j'ai réussi à être assez bien entourée pour juste faire confiance en règle générale. Je tente des trucs, je suis entourée de bienveillance, donc a priori, soit ils me comprendront, soit non, mais ça n’est pas grave. Je suis toujours un peu perdue ! J'ai 3 millions de questions à la seconde et je n'ai pas beaucoup de réponses actuellement, mais, par contre, je commence à prendre du plaisir à faire ce métier, à me dire que ça peut vraiment être un métier pour moi, à avoir des vrais copains dedans et à avoir des vrais gens aussi que j'ai envie d'aider ou de je sais pas, de faire ce que je peux... Je commence à nager dans les eaux de manière potable. Je ne sais pas si ça veut dire quelque chose ce que je te dis. Mais, en tous cas, j'ai réussi à boire un café, je tiens à le signaler...


Propos recueillis par #PG9



Mathias Malzieu, Leïla Huissoud (c)






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