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[Plonger dans l'âme de...] Vincent Alvar, comédien. Traverser les mots

Dernière mise à jour : 3 mai 2020

Après les portraits de Emma Binon et de Florent Oulkaïd, le panorama des élèves du Théâtre Populaire Nantais continue. Parce que la volonté de Culture Etc est notamment d'encourager la création et l'apparition des nouveaux talents qui enchanteront notre quotidien demain. Vincent Alvar est sorti de l'école du TPN en 2019. Il va donc pouvoir nous raconter son parcours avant, pendant et juste après! Bonne lecture



Vincent Alvar dans un documentaire de Maria Boutet


Bonjour Vincent. On va parler de ton rapport au théâtre, au texte, à la scène, aux mots. Qu'est ce qui est le plus important pour toi quand tu es sur scène ?


Si on a bien bossé, ça n'est pas moi qui suis sur scène, c'est le personnage. Il faut le laisser vivre et c'est ce qu'il y a de plus difficile, je pense. Faire simple, laisser les choses aller, le personnage s'exprimer. Moi, en tant que comédien, ce que je recherche, c'est justement d'atteindre ce moment-là où tout est simple.


C'est d'autant plus simple que tout a été compliqué avant, c'est ce que tu viens de dire...


Exactement. Après on a tous un rapport différent avec le texte. Je suis, personnellement, très cérébral. J'ai besoin de tout comprendre: comment un personnage se déplace, comment il réfléchit, à quoi... Ca donne des choses assez complexes du coup.


Tu as deux grandes cordes à ton arc, le théâtre et le théâtre d'improvisation. Le théâtre d'improvisation est-il plus simple ou plus complexe que le théâtre “de texte”?


Los Martos (Théâtre d'impro) (C)

Dans le théâtre d'improvisation, on n'a pas le choix: on est obligé d'être dans l'instant, on n'est donc pas bloqué par un texte. Par contre il y a énormément de formes de théâtre d'improvisation. Il y a ce qu'on va appeler du Cabaret : des formes très courtes, où il faut être très instantané, où le problème va être la production du texte et où l'objectif de faire rire les gens. On ne va donc pas chercher de sincérité de comédien: sur trois minutes, on crée l'univers, le lieu et toute l'histoire, ça serait trop compliqué. En plus on joue avec quelqu'un en face qui fait exactement la même chose que vous: improviser. C'est donc difficile de chercher la sincérité sur trois minutes de mon point de vue. On la cherche quand même, c'est un objectif supplémentaire. Après, il y a ce qu'on va appeler un théâtre d'improvisation de formes longues (au moins 20 minutes). Là, on a le temps de développer du jeu. De là à dire si l'un est plus simple que l'autre, ça dépend vraiment des personnes. Pour moi, le théâtre d'improvisation est un peu plus simple, mais surtout parce que j'ai commencé par ça. Cela dit, je préfère avoir du texte, parce que les sensations ne sont pas les mêmes. On a le temps d'analyser et d'arriver à un certain stade, tandis que dans le théâtre d'improvisation, il faut arriver à un stade d'incarnation directement, même si le public est un peu moins exigeant vis à vis du comédien. Enfin, il est moins d'exigeant côté sincérité, mais il l'est beaucoup plus en termes de créativité. Un improvisateur qui n'arrive pas à avoir de la créativité et de la performance directe, c'est problématique.


Quel est le chemin pour arriver à faire une bonne impro?


Enormément d'entraînement pour atteindre la plus grande sincérité possible instantanément. Comme le sport, l'art nécessite une maîtrise et pour maîtriser, c'est de l'entraînement. Faire beaucoup d'exercices différents avec des personnes capables de vous y amener. Il faut un coach (pour l'improvisation on va appeler ça un coach, parce que metteur en scène ça ne serait pas adapté). Et c'est faire beaucoup d'exercices qui vont avoir l'objectif d'amener au lâcher prise. En théâtre à texte, c'est la même chose, sauf qu'on fait tout dans un objectif bien précis. On sait ce qu'on va dire, du coup on peut chercher la complexité. Tandis que, dans une improvisation, la mise en scène est faite en directe par le-s comédien-s.


D'accord. Maintenant qu'on a parlé de tout ça, on va repartir du départ. Comment en es-tu arrivé à avoir envie de faire du théâtre? Et comment as tu commencé?


Au tout début, il a dû y avoir une année de 6ème où j'avais joué une pièce et je m'étais bien amusé. Puis je n'ai pas touché au théâtre jusqu'à ce que j'arrive sur Nantes une dizaine d'années plus tard, pour le travail. Je venais de rompre avec ma copine, j'avais du temps. Un soir, je suis rentré dans un bar, j'ai vu du théâtre d'improvisation, ça m'a beaucoup plu. C'était la troupe du Malin. Comme j'avais trouvé ça rigolo et que le Malin faisait des Week-Ends d'initiation, j'y suis allé. C'est donc arrivé un peu par hasard. En impro, les bases paraissent assez simples. Quand on commence, on ne se rend pas compte tout de suite de la marge qu'il y a entre quelqu'un qui a 2-3 ans d'impro et quelqu'un qui n'en a pas. Moi, je ne voyais pas la différence. J'ai commencé comme ça, en cours du soir à Cordemais et puis au final, j'ai réussi à avoir le lâcher prise. De fil en aiguille, sur un plan personnel, je me suis retrouvé dans une situation où je ne savais plus trop quoi faire de ma vie. Je bossais depuis 7 ans dans la logistique, je changeais de boite tous les 2 ans. Je me suis dit que je n'étais pas à ma place. Et je suis tombé sur le TPN.


Avant de détailler le TPN, te souviens tu de ce jour où tout est rentré dans le bar et où le Malin jouait? Qu'est ce qui s'est passé en toi? Quel a été ton regard, ton sentiment?


Déjà, c'était une surprise. Il faut imaginer le décor: un bar blindé, une ambiance bien chaude. Puis soudain, des personnages arrivent, prennent des thèmes qui leur sont donnés au hasard, colorés par le public... et tout devient une espèce d'explosion qui part dans tous les sens. C'est très positif, il n'y a pas un instant de répit, pas un instant où ça descend... La scène est partout, le public fait partie des acteurs: ils jouent sur deux mètres carrés en bout de scène, mais ils sont aussi capables de jouer sur le bar, sur le balcon juste au dessus. C'est ce que j'ai vu le premier soir. Une explosion de joie qui partait dans tous les sens. J'ai adoré.


C'est venu combler quelque quelque chose ou projeter un espoir en toi?


C'est venu me happer. Je rentrais dans un univers où les règles étaient complètement différentes, où la seule limite, c'était l'imagination. Le théâtre est devenu un peu un refuge pour moi. Un refuge au monde réel, sans autre limite que l'imagination et la maîtrise technique, parce qu'il faut une maîtrise technique, toujours. Mais ça on le découvre après.


Ca fait penser à Lewis Caroll ce que tu es en train de dire non?


Oui, c'est un peu ça. J'ai suivi un lapin et il y avait un autre monde derrière. Peut-être qu'il allait au théâtre Lewis Caroll, tout simplement.


Quand tu étais au collège, qu'est-ce qui t'avait poussé à faire du théâtre?


Je ne sais pas. Sans doute une envie de tester... Je ne sais absolument pas. Peut être qu'un jour je m'en souviendrai, mais pour l'instant je n'en ai aucune idée...


C'était une option, un loisir, ou quelque chose qui était obligatoire?


C'était absolument pas obligatoire, mais ceux qui faisaient du théâtre mangeaient plus tôt au self.


Ils avaient plus de dessert?


Peut-être.


C'était où?


A l'Harteloire à Brest. Le texte s'appelait “Le problème”. Ce que j'en ai retenu, c'est le moment où je suis monté sur scène avec le tout public devant et où j'ai un petit peu disparu en fait. Je crois qu'il y a eu une espèce d'incarnation que j'ai un peu réussi à retrouver sur scène, 20 ans après, avec un travail monumental. C'était très compliqué pour notre prof de me faire jouer, mais une fois que je me suis retrouvé devant le public, tout a changé. Je ne sais pas comment dire ça.


Quelle est ton urgence du mot?


L'urgence du mot, c'est la phrase. Un mot qui n'est pas habillé est tout nu et fragile. Et puis une phrase est porteuse de sens. Et le sens n'a de rapport qu'avec une histoire. Il faut donc habiller le mot avec une phrase, la phrase avec une autre et les phrases avec d'autres phrases pour construire une histoire. La problématique fondamentale, c'est donc le sens.


Et tout ça n'a de sens qu'avec un public, c'est ce que tu dis...

Exactement. Et la question est quel public? Je ne sais plus qui avait dit ça, c'était sur le ton de la blague, mais qu'on pouvait imaginer un théâtre sans public. Cette phrase m'est restée. Oui, la question c'est qui est public? Pour qui est ce qu'on écrit? Pourquoi? Qu'est ce qu'on veut dire? Est-ce qu'on a quelque chose à dire? Ca, c'est un chemin. Il n'y a pas d'arrêt.C'est un chemin. Aujourd'hui, moi, j'en suis là, par rapport aux mots. J'ai envie de produire des histoires, mais ce qui compte, avant tout, c'est qu'elles soient suffisamment intéressantes. Il faut qu'il y ait un fond dans l'histoire, ou pas. Des fois, juste la forme suffit, il faut qu'elle soit plutôt drôle. Je trouve que c'est plus intéressant de faire des choses avec un petit peu d'humour, il faut qu'il y en ait un petit peu. Mais il ne faut pas que ce soit trop facile. C'est compliqué.


Ton urgence est plutôt de faire réfléchir? De faire rire? De provoquer? Tu cherches quoi ?


Ca va dépendre de quel point je me place. En tant que comédien, je cherche à comprendre mon personnage. Mon premier public va être le personnage. En tant qu'auteur, ça va dépendre de ce que j'écris. Je n'ai pas un seul objectif, j'en ai plein. Ils sont tous légèrement différents, mais compatibles. Enfin, j'espère. Je n'ai pas d'objectif en particulier. Si je dois en avoir un, c'est de raconter des histoires.


Ok. Tu arrives de Brest, tu y es né?


Exactement.


Est ce que tu te souviens du premier jour où tu as vu du théâtre?


J'ai des premiers souvenirs de théâtre. Le premier jour, la première chose, non, je m'en souviens pas. Heureusement parce que j'ai dû faire ça assez jeune en fait. Je suis allé voir... Je me souviens de deux ou trois passages assez flous. On allait voir quand même plusieurs spectacles, peut être cette année là, peut être avant, peut être après... Au Quartz, la scène nationale de Brest, j'ai vu entre autres Molière joué par les Deschiens. Je crois que c'était “Les Précieuses ridicules”. Dans mon souvenir, c'est une salle entière écroulée de rire. Surtout pour un passage très précis: le personnage n'arrivait pas à remettre son épée dans son fourreau. C'était gaguesque. Je ne sais plus pourquoi il l'avait sortie. Je me souviens de ce moment là où il n'y arrive pas et la salle explose de rire, il la prend la partie “vous croyez que c'est facile !”, la salle redouble de rire, forcément. Ca m'avait vraiment marqué. J'ai dû en avoir d'autres, j'ai eu une éducation assez théâtrale quand j'étais jeune en fait.


C'était avec tes parents ou avec l'école?


Mes parents et l'école, les deux. L'école m'avait amené aussi voir une pièce de théâtre sur-titrée. Là, pour le coup, c'était n'importe quoi, je ne me souviens plus du tout... Sauf d'un personnage très bizarre qui parlait avec un accent à couper au couteau.


Le théâtre a toujours été un possible dans ton univers. Tu n'as pas fait des pieds et des mains pour y rentrer, on te l'a quand même offert aussi.


Oui. On ne m'y a pas poussé, mais il était à portée de main. Je n'ai pas eu d'effort démesuré à faire pour le découvrir. Par contre, j'ai eu cette base quand j'étais très jeune mais après je n'y suis pas retourné du tout. Il a complètement disparu. Tous ces souvenirs sont revenus après que je m'y sois remis au théâtre, quand j'ai repris l'impro et que je me suis mis après au théâtre à texte. Parce qu'au même moment et au même endroit où j'ai commencé l'improvisation, à Cordemais, il y avait un atelier théâtre qui montait “le Songe d'une nuit d'été”. Il leur manquait un jeune premier. J'ai eu la chance de pouvoir jouer Démétrius. A l'époque, il n'y avait pas de réflexion de ma part, pas d'objectif. Si j'avais un objectif, c'était le loisir. Je voulais m'amuser.

Vincent Alvar dans "Le Songe d'une nuit d'été" (C)

C'est vraiment par le théâtre d'impro que tu es rentré dedans.


Oui. Sans doute parce qu'il y a un côté désacralisé dans le théâtre d'improvisation. Vraiment, ce qui m'y a amené, c'est le côté cabaret. On est dans un bar, le public, à 20 cm de toi, te demande de jouer sur le thème de “la courgette a un chapeau”. Et tu es obligé, tu y vas. Il y a un côté très “populaire”. Vraiment très, très proche. Ce n'est pas du tout la même chose dans théâtre à texte.


Aujourd'hui, tu fais les deux. Tu continues le théâtre d'impro et tu fais du théâtre de texte.


Aujourd'hui, oui, mon objectif est de continuer les deux. Pour l'instant, je donne surtout des ateliers de théâtre d'impro. Pour le théâtre à texte, je n'ai pas de projet dans l'immédiat. C'est un peu flou.


Pour revenir à ton chemin, tu as donc appris l'ouverture du Théâtre de la Rue de Belleville qui était d'abord le Théâtre Populaire Nantais.


Oui. Le théâtre de la Rue de Belleville n'existait pas encore.


Peux-tu me raconter cette aventure qui t'a porté pendant 3 ans.

Les élèves du TPN, 1ère promo

J'avais décidé de me ré-orienter professionnellement, de changer de vie. J'ai quitté mon travail. Ca faisait depuis trois mois que j'étais en train de faire des tests, des trucs pour voir quel type de personnalité on a etc. Il fallait que je fasse quelque chose. Je suis tombé complètement par hasard sur l'annonce facebook pour le TPN qui ouvrait donc une école pour former des comédiens professionnels. Je me suis dit tiens, écoute... j'avais eu quelques expériences en théâtre d'improvisation, ça me plaisait bien effectivement. Il y a des associations, on se fait payer. Si on ouvre une école, c'est que c'est crédible d'en vivre. Je regarde l'annonce, je vois que Mathilde Banderly fait parie de l'équipe. C'est la seule que je connaissais: elle fait partie de la troupe du Malin et c'est elle qui m'avait fait passer l'initiation dont je t'avais parlé tout à l'heure. Je prends 2-trois renseignements auprès de la coach des Los Martos. Elle me dit, oui tu peux y aller. Je les appelle: les auditions ont lieu le lendemain. Ou le surlendemain. Bref, j'ai 24 heures pour me décider alors que je n'ai pas un bouquin de théâtre dans ma bibliothèque! Je prends le premier mon bouquin que je peux, Borges, et je choisis très vite une nouvelle... J'apprends le texte parce que je n'ai pas le temps de réfléchir. J'arrive devant eux pour l'entretien, je suis très stressé. Mathilde me dit: tu veux peut être passer ton audition avant? Je dis: “oui, je vais vous faire les premières pages que j'ai eu le temps d'apprendre et puis après, je vais improviser pour vous raconter l'histoire. Mais, j'ai besoin de savoir. Si vous me dites “oui”, je fais du théâtre. Si vous me dites “non”, je j'irai vers l'informatique ou autre chose et je ferai du théâtre en amateur à côté.” C'est comme ça que l'histoire au TPN a commencé pour moi. En 24h chrono.


Et ils t'ont dit oui.


Ils m'ont dit oui. Et ce qu'il y a de “rigolo”, c'est que lors de l'initiation dont je te parlais avec la troupe du Malin, ils recrutaient aussi. Et la personne qui m'a appelé pour dire que je n'étais pas pris, c'était Mathilde Banderly... qui m'a donc appelé quatre ans plus tard pour dire que j'étais pris au TPN. Il y a eu une espèce de boucle...


Peux-tu nous parler de la manière dont le théâtre du coup t'a envahi? Ou pas.


"La Conférence des Oiseaux" au TPN (C)

C'est le côté refuge: quand on est sur scène, soudain, tout est simple. Les lois de la physique cèdent la place à d'autres, celles de l'artifice, de la sincérité d'un rapport avec le public. C'est beau, c'est nécessaire parce que quand la pièce est bien montée, qu'elle atteind ses objectifs, elle apprend aux hommes à se parler. Le théâtre m'a envahi a plusieurs niveaux. En tant que comédien, c'était graduellement. J'ai commencé par faire des “grimaces” puis au fur et à mesure je me suis rendu compte ça ne suffisait pas, qu'il fallait trouver autre chose derrière. J'étais venu, entre guillemets, me réfugier dans le théâtre, en me disant c'est super: c'est un lieu où je peux ne pas être moi-même. Mais je me suis rendu compte que c'était exactement l'inverse: en incarnant quelqu'un d'autre, je deviens moi même. C'est complexe, mais c'est un peu ça. Au théâtre, on rencontre ses propres pudeurs. Quand on a du mal à faire quelque chose, on se dit tiens, c'est un endroit où j'ai beaucoup de retenue: je n'arrive pas à aller vers tel ou tel. Par exemple, ça paraît simple de faire semblant d'être en colère mais l'être vraiment c'est beaucoup plus compliqué. Ca, c'est une pudeur. Pourquoi est-ce que j'ai du mal à “faire“ ça? On ne trouve pas forcément pourquoi on a du mal, mais on trouve les mécanismes qui nous permettent de contourner cette pudeur ou de l'accepter. Et en l'acceptant du coup on peut la transcender...


C'est une des choses que tu as apprises pendant les trois ans de cours?


Oui. C'est un long chemin. Trois ans qu'on pourrait résumer en une phrase: “fais simple Vincent”!Pour moi, c'était compliqué. Pour comprendre le sens de cette phrase, il faut être passé par toutes les étapes. C'est un peu comme les grands adages, des expressions qui semblent un petit peu toutes faites, mais derrière lesquelles se cachent vraiment des réflexions.


Qu'est ce qui a aidé à faire que tu te sentes bien?


"La Conférence des Oiseaux". Affiche: Vincent Alvar

La personnalité des 3 fondateurs du TPN fait qu'on se sent sécurisé. Il n'y a pas de doute... Il y a eux, et puis, après, il y a le travail. Le temps qu'on passe ensemble, les références qu'on se crée en commun. La première année on se regarde un peu, on ne sait pas trop où on est. Nous, la toute première promotion, on a commencé bizarrement: le TPN était hébergé par le Théâtre de Poche Graslin, nos cours avaient lieu dans un théâtre qui n'était pas le leur. Après on allait boire des coups en terrasse et on se parlait... Le groupe s'est réellement soudé la deuxième année. On a joué “la Conférence des oiseaux”. En rabachant énormément du texte, on a fini par comprendre certaines choses. Pour moi, la phrase de cette année c'est Régis Florès qui dit une des répliques du texte: “vous pensez à votre barbe”. Il dit: vous n'y arrivez pas parce que vous pensez toujours à votre apparence au lieu de penser à la sincérité des émotions. A partir du moment où on a dit ça, plusieurs dans le groupe ont eu un déclic. Pour moi, ça a été un palier. Mais, avant d'en arriver là, il a fallu bosser. Et surtout, en groupe. C'est ça aussi: on ne peut pas avancer seul. Je peux me mettre tout seul sur scène, faire le truc, mais j'irai beaucoup moins loin. A un moment on a besoin des autres pour avancer, et a un moment, on en revient au mot, effectivement, ce qui fait qu'un enseignant enseigne quelque chose ou qu'un pédagogue transmet quelque chose ou que nous transmettons quelque chose aux autres, c'est d'avoir le sens de la bonne formule. Et on va revenir sur l'urgence, c'est qu'il faut la bonne formule au bon moment. Pour dire une phrase, il faut qu'elle soit acceptée. Il faut que l'autre soit prêt à la recevoir. Et pour ça, il faut qu'il ait fait tout le travail en amont qui lui permette de la recevoir.


Ce sont des choses dont tu as pris conscience pendant ces trois années?


C'est vraiment une construction sur cette période, oui.


A la fin, vous avez créé une compagnie avec Emma pour gérer vos propres projets. Et un de tes projets a été d'écrire “Traversée”. C'est parti de quoi?


“Traversée” est une pièce qui a été écrite dans l'urgence. En deuxième année, on avait une carte blanche de 20 mn. J'ai proposé à Emma Binon qu'on bosse ensemble, elle a accepté. On a tourné en rond pendant plusieurs mois, au bout de cinq mois on n'avait rien. Sauf une direction. On savait à peu près ce qu'on voulait, on avait une image de l'univers qu'on cherchait, mais on n'arrivait pas à trouver de texte. Après plein d'exercices d'écriture, l'histoire est sortie avec ces contraintes: 20 minutes et deux personnages. On avait fait des stages d'écriture, ça fait partie du cursus, ils nous ont amenés à prendre confiance en nous. On s'est dit, oui on peut écrire nous-mêmes. C'est là où moi j'ai fait une série d'exercices où, initialement, c'était juste des personnages qui devaient traverser la scène. J'ai donc nommé ça “Traversée” par défaut. Au final, on est arrivés avec ce début d'histoire: Alfred vient de perdre sa femme et il se retrouve dans un univers parallèle où il rencontre Cupidon. Et puis, on a tiré le fil... Forcément , quand on vient de perdre sa femme ou l'être aimé et qu'il s'agit d'une rupture subie, Cupidon, on a envie de lui en mettre plein la gueule. Donc on a commencé à en mettre plein la gueule à Cupidon et là on a écrit un texte. On a fait “Traversée”, une première version de 20 minutes. Puis l'année suivante, on a réécrit la pièce pour en faire une heure, ce qui était ambitieux. On l'a fait. Ca n'était pas à la hauteur de nos ambitions, mais on s'en est bien sortis quand même.


Emma Binon et Vincent Alvar dans "Traversée" (C)

Le besoin de “Traversée”, ça vient du besoin d'écrire, de jouer, de parler?


Moi je l'ai sentie comme il “fallait” que je l'écrive, je m'en serais voulu toute ma vie de ne pas l'avoir fait. Après, je pense qu'inconsciemment une partie de moi veut régler un problème de rupture et de reconstruction, parce que c'est de ça aussi dont ça parle. Ce qui m'intéresse, c'est d'amener la reconstruction. Je pense que c'est une façon un peu alambiquée, du côté auteur, de me parler à moi même en passant par le spectateur. Et sachant que surtout il ne faut pas que l' auteur soit sur scène. Et en tant que comédien c'est compliqué, il faut dissocier l'auteur du comédien, dans le théâtre à texte.On ne peut pas être auteur et comédien. L'auteur réfléchit au texte, le comédien le vit. C'est pas la même chose du tout. C'était un peu compliqué, ça, j'avoue.


Le projet va avoir une vie encore, ou c'est une très belle traversée qui se referme?


C'est une excellente question. Le problème c'est qu'en l'état le texte n'est pas suffisant. Il est trop court, il y a des passages à retravailler... Je pense que Traversée sera réécrit, mais je ne sais pas combien de temps cela me prendra. C'est une grande question. Mais, moi, j'ai envie que ce texte revive et de le retravailler. Retravailler une 3ème fois le texte, il y a un espace de blocage, il faut vraiment du temps. De la force. Et, faire d'autres projets, aussi c'est important.


Par la compagnie ou par d'autres biais. En sortant du théâtre vous avez créé une compagnie, la Crieuse majuscule, qui se porte comment?


Pour l'instant elle est là, surtout, pour nous permettre à Emma et moi de monter des projets. Ca sert de base comme ça. Mais elle n'a pas d'actualité.


Monsieur Alvar, lui, depuis qu'il est sorti du TPN, qu'est ce qui se passe dans sa vie?


Dans le domaine du théâtre, j'ai directement enchaîné avec “Potiche” au Théâtre Beaulieu. C'était très formateur. En parallèle, je donnais des ateliers de théâtre pour enfants, je me suis retrouvé de septembre à février avec une charge de travail énorme et un seul soir par semaine pour me reposer. “Potiche” se jouait du vendredi au dimanche, mes ateliers c'était lundi soir, mercredi après midi et jeudi soir, ce qui fait que dans la semaine j'avais un soir où je devais garder mon fils, et on ne peut pas travailler quand on garde son fils, et un autre soir pour être avec ma compagne. Le reste, ça n'était que du boulot. Donc, j'ai eu la tête sous l'eau sans énergie, sans temps pour prendre du recul ou monter des projets. Je me retrouve aujourd'hui juste avec le temps de m'interroger, qu'est ce que vais faire comme nouveau projet? J'en ai plusieurs, d'où la problématique: lequel choisir?


C'est bien, tu as une compagnie, des projets. Tout va bien!


Oui, après il faut le temps de les mettre en oeuvre. Il faut trouver le temps d'écrire, il faut trouver les gens... Mais oui. On va voir ce que ça va donner et on a le temps de réfléchir en ce moment.


Les ateliers dont tu as parlé, ce sont des ateliers de théâtre classique ou d'impro?


Il y a les deux, mais le théâtre classique, c'est nouveau pour moi. Jusqu'ici je n'avais donné que des cours d'impro. C'est pour des jeunes. Le théâtre classique, c'est pour des élémentaires.


Ca se passe où?


Partout, dans plein d'écoles. Pour l'instant tout est annulé, mais en temps normal, c'est dans plein d'écoles différentes jusqu'à Treillières entre autres et c'est là où les choses se bouclent... à Cordemais.


C'est dans quel cadre?


Je travaille avec la Fabrique à impro, un nouveau théâtre qui ne fait que de l'improvisation. Ils cherchaient quelqu'un pour donner des cours... C'était un moyen très sympathique de vivre. Donc on a commencé ensemble comme ça. Et ils ont été contactés par le théâtre de Cordemais... là où j'avais commencé l'improvisation pour donner des cours là-bas. Ma vie, ce sont des boucles... J'ai hâte de voir quand ça sera la prochaine! A un moment ou un autre, je retournerai peut-être au Quartz , la scène nationale de Brest ! Ou encore à l'Harteloire, c'est plus probable.


De grandes boucles qui viennent de loin... Animer des ateliers théâtre ça te plaît?


C'est super. Il y a énormément de choses à découvrir, ce sont des groupes qui se montent, chaque enfant a ses particularités. Le plus vieux c'est un cours que j'ai commencé en même temps que le TPN. J'ai commencé à prendre des cours et j'ai commencé à donner des ateliers de théâtre d'improvisation à des ados et des adultes au Centre socioculturel Henri le Normand de Couëron avec des ados. J'ai commencé à leur faire faire de l'improvisation à 11 ans. Certains avaient même commencé avant, 10 ans, maintenant ils ont 13 - 14 - 15, donc il y a une évolution des gamins entre le début et la fin. C'est énorme. C'est ce qui agréable dans un atelier, c'est de voir les jeunes évoluer, c'est valable pour les adultes aussi, mais ce ne sont pas les mêmes évolutions.


Ok et de toute façon, ça restera toujours une facette de ton activité et parallèlement à ça tu vas donc soit trouver d'autres pièces dans lesquelles jouer, soit en écrire.


C'est ça. Exactement.


Quelques mots sur “Potiche“. Comment ça s'est bien passé?


Ca s'est bien passé. On était content. C'était formateur. C'est une exigence et la découverte du Théâtre de boulevard. C'est un univers que je ne connaissais absolument pas.


Qu'as-tu découvert donc de particulier?

J'ai découvert plusieurs choses. Avant, j'étais à l'école, donc j'ai découvert la vie réelle... Tous ceux qui ont vécu cette transition savent de quoi je parle: il y a toujours une marche entre les deux, l'école et le premier employeur - même si on était bien préparés. Il y a l'exigence de réponse tout de suite: sortir directement ses meilleurs outils, sans avoir à réfléchir. Bosser autrement. Je pense de toute façon qu'à partir du moment où on change de metteur en scène, on change aussi de façon de travailler. Et puis, jouer trois jours de suite par semaine c'est super. On a le temps de se poser des questions et de travailler sur les détails. Et puis jouer 62 fois! Même à la fin, on continuait à améliorer la pièce même si c'est pas visible pour le spectateur. J'aime cette remise en question permanente. Trouver des nouvelles façons de voir le jeu, en rajouter en enlever, sans rien toucher à ce qui était mis en place. Retrouver des façons de faire les choses.


Il y a des techniques particulières pour ça. Tu t'es nourri comment ?


L'exigence première, c'était de faire exactement ce qu'attendait le metteur en scène. C'est ce que je m'étais fixé: il est là pour nous dire si c'est bon ou pas, si ça lui plaît ou pas. La première chose qui compte c'est “est-ce que lui est content ?”. Là aussi j'en ai eu des phrases qui m'ont amené à passer des étapes de la part du metteur en scène ou des autres comédiens.


Vous avez créé une troupe de facto autour d'un spectacle, qu'est ce que ça a provoqué en toi?


C'est très sympa. C'est un univers... Le côté troupe, on rigolait, on se faisait des petites blagues sur scène entre comédiens. Le spectateur ne va pas les voir, mais il sait très bien qu'il y en a entre nous, c'est assez drôle. Quand on joue sur quatre à 5 mois, il y a le temps de se passer plein de choses. On passe par plein d'étapes. Mais, comme c'est une troupe de facto, une fois que le spectacle n'est plus là , on n'en fait plus partie.


Qu'est ce qui a été le plus agréable pour toi: la maîtrise, la sécurité du texte, la maîtrise du jeu, des interactions avec les autres comédiens ou avec le public?


Le texte est allé assez vite: fin juin je le connaissais. C'est plutôt les interactions entre comédiens et les interactions en coulisses qui ont beaucoup évolué. Sur cette pièce , je rentrais pour deux minutes toutes les dix minutes, c'est donc assez exigeant parce qu'il fallait tout donner sur 2-3mn, être au taquet dès l'entrée an scène. Ca ressemble un petit peu à de l'improvisation en terme de rythme. Il faut y aller directement, il faut tout envoyer. Dans les coulisses on a le temps de se parler, de se conseiller pour rectifier le tir: là tu l'as joué un peu agressif, ou, là, on va trop vite, il faut qu'on ralentisse... Fais gaffe, tu parles trop fort… Sur une longue période, le risque c'est l'automatisme: on ne réfléchit plus, on fait le truc et on ne ressent plus rien.C'est un risque.


Tu en retiens quelque chose de particulier qui va t'aider pour après?

"Potiche" au Théâtre Beaulieu - Nantes. Photo: Thierry Rivière (C)

La phrase comme ça qui m'a le plus marqué, c'est Olivier Colin qui me disait: “autorise-toi à faire des erreurs”. Il voulait dire “détends-toi”.C'est ce que j'avais besoin d'entendre!


Détends-toi ou fais-toi confiance: prends des risques?


On peut la prendre dans plein de sens différents.


Aujourd'hui, tu te fais confiance?


Pour moi la confiance c'est comme la légitimité. On dit qu'on devient illégitime à partir du moment où on ne se pose plus la question si on l'est. Pour moi, la confiance, c'est un peu pareil, même si ça dépend du domaine. En tant que comédien, honnêtement, ça va, mais là je n'ai pas de projet donc je n'ai pas de raison ni d'avoir confiance, ni de ne pas en avoir. Ne pas avoir de projet clair, défini, en tant que comédien ça enlève quand même un peu la confiance... mais de toute façon, c'est pas des boucles, c'est des sinusoïdales il y a des moments ça va, d'autres ou ça ne va pas... Ce sont des cycles. La confiance, je pense, c'est encore un cycle. Ca dépend sur quoi on bosse.


Tu as dit quelque chose, j'étais passé à côté, tu as arrêté le théâtre en tant que comédien après la sixième et pendant 10 ans. Mais est ce que tu as toujours écrit ? Quel est ton rapport à l'écriture?


Mon rapport à l'écriture. Quand j'étais jeune effectivement en sixième j'écrivais, mais pas du théâtre. Je n'ai jamais écrit de théâtre. J'écrivais pour moi sur des trucs persos, sans l'objectif de raconter une histoire.Je crois que j'ai arrêté en même temps et c'est que revenu presque en même temps. C'est drôle ça, tiens. Il faudrait que je regarde. Parce que je crois que les deux sont revenus quasiment en même temps .


C'est que les deux vont ensemble en fait?


Oui, c'est indéniable.


Ca sera le mot de la fin, sauf si tu as envie de faire un mot de conclusion.


Un comédien sans texte, pourquoi pas?


De l'impro?


Je ne sais pas. De toute façon, même un comédien muet a du texte.


Propos recueillis par #PG9






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