Ce que vous allez lire ci-après est une magnifique déclaration d'amour au théâtre et à la place si particulière qu'il occupe dans la société depuis la nuit des temps. Avec ses mots, Pierre Cuq nous parle de son parcours, de son travail, de ses rencontres et de "Villa Dolorosa", adaptation ébouriffante et transgressive de "Les Trois Soeurs" de Tchekhov sur un texte décapant de Rebekka Kricheldorf. La pièce se joue jusqu'au 20 octobre au Théâtre 13 qui lui a décerné cette année le prix "Jeune metteur en scène". Vous aurez déjà une idée de son talent et de son engagement après avoir lu cet échange et vous n'aurez dès lors qu'une envie: celle d'aller au Théâtre! Merci Pierre pour cette belle passion communicative... Bonne lecture
Enchanté Pierre. Vous avez commencé les représentations de "Villa Dolorosa" le 8 Octobre au Théâtre 13 (NDLR: le pièce se joue jusqu'au 20). Comment se passe ?
Enchanté Philippe. Ça se passe très bien. La pièce rencontre son public en France pour la première fois donc pour nous ce premier rendez-vous est très important. On est également très heureux d’avoir remporté le Prix Théâtre 13 / jeunes metteurs en scène 2019 et de pouvoir présenter mon travail au public. C’est un prix repéré par les professionnels et le public. Les réactions du public sur le texte sont très enthousiastes et pour la plupart des retours sont toujours tournées autour de cette révélation de ce texte, de la qualité de la distribution et de la direction d’acteur. Les gens sont très surpris de tomber sur ce texte, qu'ils ne connaissaient pas pour la plupart et cette auteure, Rebekka Kricheldorf, que les gens connaissent peu en France... mais qui est très connue en Allemagne. L'accueil est bon et ça fait plaisir.
Comment avez-vous rencontré ce texte et son auteure ?
J'ai rencontré Rebekka Kricheldorf à l'été 2016 à "la Mousson d'été" (NDLR: "La Mousson d'été", écrire le théâtre aujourd'hui, festival à Pont-à-Mousson). On à travaillé ensemble, on s’est très bien entendus et je me suis mis à lire ses pièces. C'est comme ça que je suis tombé sur "Villa Dolorosa" écrit il y a quelques années maintenant et éditée chez Actes Sud. La traduction est de Leyla Rabih et Franck Weigand. Pour le concours Théâtre 13 – Jeunes metteurs en scène, je me suis replongé dans ses écrits. Nous avons lu la pièce avec les acteurs et que j'ai décidé de la monter, parce que la pièce me plaisait, d'abord, l'adaptation qu'elle fait des "Trois sœurs" de Tchekhov m’interpellait, mais c'était aussi l'occasion de faire connaître cette écriture en France. C'est la première fois que la pièce est montée. Le texte appelle au jeu très vite, c’est vraiment un texte pour les acteurs: une vraie boîte à jeu.
Pour préciser, vous avez effectivement obtenu le Prix 2019 du Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène, mais c'était sur projet ou pour vous, pour votre parcours et votre manière de voir le théâtre ?
Je dirais qu'en fait, je l'ai fait d'abord pour moi. J'ai une formation de comédien à la base, je me suis formé à l'ENSATT, l'Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre à Lyon, et puis quand je suis sorti de cette école, j'ai voulu commencer la mise en scène. J'avais fait plusieurs projets de mise en scène pendant mon cursus et juste à la sortie de l'école et j'ai d'abord poursuivi mon parcours de comédien, parce que je suis d'abord et en premier lieu un interprète, et puis, il y a deux ans, j'ai monté ma compagnie "Les Grandes Marées" qui est s’orientée vers la promotion des écritures contemporaines. Le concours est arrivé en même temps. Je me suis dit que c'était un moyen pour moi d’affirmer un geste de mise en scène. En réalité, on ne peut pas trop prévoir ce qui va se passer: c'est en trois tours et qu'il y a une sélection à chaque étape. J'ai avancé à tâtons sur cette pièce-là et elle a pris le devant de mon actualité de par le fait que j'ai gagné le prix en Juin 2019. Le concours se passe d'abord avec 15mn de lecture au premier tour, ensuite, on présente une maquette d'une trentaine de minutes et pour le 3ème et dernier tour, on monte la pièce en intégralité. Donc, depuis juin dernier, la pièce est "prête". Tout s’est passé très vite. C’était aussi une envie grandissante de l’équipe que ça devienne concret. Plus on avançait dans le concours, plus j'avais envie que ça devienne un projet fort de ma compagnie. Je suis donc heureux aujourd'hui qu'on joue au Théâtre 13 .
C'est une création, une première en France, mais aussi le 8 Octobre, c'était la vraie création avec cette distribution avec votre mise en scène au Théâtre 13 ?
Oui. C'est à dire que c'était la vraie première hors concours. La toute toute première, si on veut, a eu lieu les 11 et 12 juin derniers à l'occasion du 3ème tour. Le jury vient et assiste à une représentation publique. Mardi dernier, c'était la 1ère du spectacle en dehors du concours. L’équipe est restée la même. Il y a eu juste quelques modifications en mise en scène, mais c’est la même pièce.
Pour revenir d'abord à vous... Vous avez commencé par le Conservatoire à Rennes ?
C'est ça. Je suis breton, je me suis formé une année au Conservatoire de Brest, d'abord. Ensuite, pour mes études je suis allé à Rennes où j'ai fait 3 ans au Conservatoire Régional en cycle professionnel au côtés de Daniel Dupont. J’allais souvent au TNB voir des spectacles, j'y croisais les élèves aussi. Ensuite, j'ai donc fait l'école à Lyon, l'ancienne Rue Blanche, l'ENSATT où je me suis formé pendant 3 ans au métier de comédien.
Ce goût du théâtre vous vient de la scène, du texte... des mots, du public... ?
C'est d'abord mon expérience de spectateur, je pense. Le goût d'aller au théâtre, de voir ce qui se passe dans la salle, quelles questions remuent le monde, aussi ce goût de voir comment on peut parler du monde par un autre langage que celui du quotidien. Et puis bien sûr, oui, tout est véhiculé par des mots. C'est la rencontre avec des textes, avec des comédiens qui portent des textes. La (re)lecture d’une oeuvre par un metteur en scène qui nous plonge dans son univers esthétique, poétique. Je suis souvent allé au théâtre en me disant "je veux vivre ça avec eux, sur scène". C’est ce qui m'a emmené au théâtre et à considérer qu'on peut parler d'à peu près tout, surtout de sujets dont on ne parle pas d'habitude. Partir du plus petit cas particulier pour atteindre l'universel, c'est ce qui me touche dans le théâtre et qui fait qu’il l’emportera toujours sur l’image. Expérimenter une équipe qui se met en tant qu'interprète ou metteur en scène au service d'un langage proposé, d'un texte, d'un auteur... C'est comme une quête, une recherche. Comment être au plus près, au plus vrai vis à vis du public, vis à vis de la relation qu'on a envie d'instaurer avec lui.
Vous êtes vraiment parti d'une expérience de spectateur, avant tout...
Oui. C'est ce qui m'a donné envie de faire du théâtre, c'est sûr. Après, j'ai commencé très jeune. Dès mes 7 ans, j'en voyais et j'en pratiquais. C'est vrai que j'ai pratiqué, pratiqué, pratiqué... J’ai surtout créé très vite. J’ai eu des idées et j’ai voulu les essayer au plateau. Ensuite, j'ai plutôt fait la formation du théâtre public: Conservatoires de région et écoles nationales publiques. C'est mon bagage et c'est comme ça que je suis arrivé là-dedans. Mais je dirais que oui l’expérience en tant que spectateur a nourri énormément mon esthétique aujourd'hui, ma sensibilité d'acteur et de metteur en scène.
Vous concevez le théâtre comme une œuvre qui doit être présentée à un public ?
Le théâtre est théâtre parce que c'est une chose publique. Depuis les grecs, il est même LA chose publique. L'endroit où le politique rencontre la poétique, l'endroit où les questions sur la vie, sur la société, sont posées. Donc, c'est l'endroit où l'oeuvre intime d'un auteur rejoint la vie publique, le partage public, le regard public. C'est quelque chose que je trouve fondamental. C'est ce qui fait qu'il y a tant de mises en scènes différentes d'un même texte de Shakespeare, par exemple. C'est le regard d'un metteur en scène sur le monde. C’est le déchiffrage d’un auteur sur le monde. La lecture d'un metteur en scène sur une œuvre qui rencontre un public. Sinon, le théâtre tournerait autour de lui, serait un entre soi. La confrontation au public est quelque chose d’extrêmement fragile pour les acteurs et le metteur en scène, mais c’est en même temps un passage nécessaire pour que l’acte du théâtre se produise. C’est toujours une confrontation, une rencontre, parfois même une fusion avec le public.
Par rapport au théâtre et à sa révolution, Rebekka Kricheldorf fait une révolution sur "Les Trois Soeurs" de Tchekhov!
Son adaptation est très libre. On y pense de temps en temps pendant la pièce si on connaît l’original. Elle plonge les 3 sœurs dans une Europe contemporaine désabusée, désenchantée. C’est comme si tout d'un coup, les personnages étaient dans un quotidien d’aujourd’hui, empêtrés dans leurs problèmes, dans un monde ou le commentaire prend toute la place et où on soigne le burn out comme une vraie maladie… Elle fait aussi des clins d’oeil assez drôle pour se moquer de la pièce de Tchekhov. Je prends par exemple la figure du Lieutenant Colonel Verchinine dans les 3 sœurs qui devient le personnage de Georg. On passe d'un Lieutenant Colonel de batterie, donc un grade militaire assez important, Rebekka Kricheldorf en fait un directeur de fabrique d'emballage ce qui est assez drôle car le statut du personnage change complètement. Elle adapte au contemporain, à ce qu'on pourrait envisager. Un équivalent d'aujourd’hui. Et elle mixe les personnages. Elle garde l'essence de ce qui l'intéresse chez Tchekhov, à savoir l'ennui et le désespoir de ses personnages. Mais ce qu'elle propose avant tout, c'est comment on parle de ce désespoir. Quel langage on utilise. Quand elle me parle de son point de vue d'écriture, elle me dit: "ce qui m'intéresse chez Tchekhov, c'est que les personnages parlent au lieu de vivre. Ils vivent parce qu'ils parlent. S'ils arrêtent de parler, ils arrêtent de vivre." On a donc une pièce qui propose des logorrhées énormes où tous ces personnages fournissent une énergie folle et une vie folle pour dire à quel point ils veulent mourir, à quel point il n'y a plus d'espoir et à quel point ils veulent en finir. Ce rapport au langage est la force et le brio de son adaptation. Avec une désinvolture folle, elle saisit la quintessence de ce que peut être Tchekhov sur l'ennui et sur l'énergie de survie de ses personnages... Elle s’amuse a tacler régulièrement cette "mise en scène tchekhovienne", je cite le texte, car ce qui l’intéresse c’est de saisir quelques chose au delà de l’histoire sur notre quotidien.
Avez-vous vu une version de la pièce, en allemand par exemple ? Comment avez-vous travaillé sur la mise en scène elle-même ?
Je n'avais pas vu de mise en scène précédente. Je crois qu'il y en a eu une en Suisse, il y a quelques années. Je suis vraiment parti d'un ressenti très personnel sur la mise en scène. Le parti pris que j'ai voulu prendre assez vite c'est de retrouver les codes de la comédie que propose Rebekka Kricheldorf. Retrouver les codes d’un "vaudeville à l'allemande", c'est à dire de quelque chose qui est pensé ouvert vers le public. Donc, je place vraiment un rapport au public assez ouvert et frontal. Les personnages dirigent leur parole directement au public, ils l’interpellent. Il y a comme ça un texte qui est dit d’abord pour le public. Parce que je considère que ces personnages ne s'écoutent pas ou peu entre eux et s'il y a bien quelqu'un qui est là pour les écouter dans le moment du théâtre, c'est le spectateur. Dans ma mise en scène, le spectateur est donc placé comme un convive assis dans le salon de cette famille puisque cette pièce raconte un huis-clos. On est dans un lieu unique d'un bout à l'autre: le salon de cette villa à l'abandon. Le spectateur s'assoit dans cet énorme salon qu'est la salle de théâtre pour écouter ces personnages, pour écouter se plaindre ces 3 sœurs et ce frère, cette famille. Le public est toujours là pour les écouter. Ça a été le premier élément en mise en scène. Après, je dirais que très vite je me suis aperçu que Rebekka Kricheldorf avait tout écrit. Ses didascalies sont très précises et très actives pour les acteurs. C’est presque comme Beckett en fait. Tout est écrit. On est vraiment face à une auteure qui écrit pour des acteurs et qui a vraiment réussi à saisir dans les actions qu'elle propose une vérité sur les rapports humains. L’écriture est active, la parole est active. Il m'a souvent fallu suivre ce qui était écrit, ne pas chercher à me mettre au dessus du texte.
J’ai creusé deux pistes : par la scénographie et la mise en scène, l'idée que le personnage principal c'est aussi cette villa, cette maison, ce cœur de vie, cet endroit auquel les personnages sont "scotchés" comme dit Macha. La villa incarne cette famille qui part à l'abandon, qui se décatit, s’écroule et s’use à l’épreuve du temps. Elle évolue avec l'arrivée de Janine, cette personne qui va la modifier, se l'accaparer. Elle va construire des choses. Ca a été un parti pris en mise en scène assez fort. Et puis l'idée aussi qu'on assiste à 3 anniversaires d'Irina pour les 3 actes. On fête respectivement ses 28, ses 29 et ses 30 ans. Et donc, en mise en scène, comme en écriture, ce n'est qu'un cycle qui se répète. On passe son temps à reprendre, à redire toujours la même chose. Les 3 actes ont sensiblement la même structure narrative et, en plus dans l'écriture, il y a des motifs qui se répètent. La mise en scène accentue le fait que tout recommence inexorablement. Ces personnages sont emprisonnés comme dans le film "Un jour sans fin". On revient tout le temps au point de départ. Tous les ans, on se dit que ça va être une fête... et tous les ans c'est raté. Petit à petit, l'usure gagne parce que ces personnages ont de moins en moins d'envies et de plus en plus envie d'en finir. C'est ce qui donne aussi le côté comique et vertigineux du drame. J'ai fait en sorte qu'on aille vers quelque chose de plus en plus épuré, de plus en plus vers le drame. Une histoire douce amère. On commence par rire franchement parce que ces personnages peuvent nous ressembler de près ou de loin, mais petit à petit on s'éloigne du rire pour aller vers quelque chose qui est plus glaçant, plus vertigineux. Ce sont les axes en mise en scène.
Ce que vous ne dites pas spécialement et qui est assez frappant, c'est le dynamisme. Vous parlez d'ennui, de lassitude, de volonté d'en finir... mais ce qui est assez marquant dans le travail que vous avez fait tous ensemble, c'est le dynamisme des comédiens. Même s'ils ne bougent pas beaucoup, ils sont quand même assez statiques, quand on se remémore la pièce, on ne voit absolument pas cet immobilité. Ce qu'on ressent avant tout c'est le dynamisme des interactions. La rapidité, on va dire la nervosité positive, drôle, de l'ensemble.
Ca a été vraiment un contre-point très important pour moi. Si on parle de l'ennui et qu'on joue l'ennui, c'est raté. C'est un peu pour moi l'écueil de certaines mises en scène de Tchekhov. Rebekka Kricheldorf propose une langue nerveuse, qui utilise énormément de vie pour parler de la mort, énormément de mots pour dire finalement très peu de choses. C'est une langue très tonique, nerveuse, qui doit avancer comme un train en marche. Chez Tchekhov, il y a énormément ce motif du train qui avance. Rebekka Kricheldorf propose exactement la même chose: les personnages existent car il parlent. J'ai donc considéré qu'il fallait énormément de nervosité, d'énergie, de rebonds entre les répliques. C'est une pièce chorale qui demande une rigueur rythmique très forte. Elle utilise beaucoup de motifs qui sont repris, beaucoup de plaintes, c'est même un état d'esprit, une manière d'être au monde pour les sœurs. Du coup, il m'apparaissait intéressant de prendre le contre-pied de ça et de voir comment on pouvait se complaire dans la plainte, comment trouver l'énergie de dire qu'on s’ennuie pour qu'on n'aille pas trop dans le sens du texte et qu'on lui donne plus de relief, plus de profondeur. Les personnages sont nerveux, désespérés, et il faut énormément d'énergie, de nervosité, pour crier son désespoir. C'est ce que font les personnages. Ils crient leur désespoir, ils ne le subissent pas, ne le commentent pas: ils le vivent. On s'est souvent dit en répétition: "même si ça fait 100 fois que votre personnage dit la même chose, jouez cette réplique comme si c'était la première fois que vous la disiez". Parce que, pour le public, ça va créer quelque chose ou de toute façon, c'est lui qui doit faire son chemin, son travail de se dire: "j'ai déjà entendu ça quelque part". On a énormément parlé de continuité textuelle quand on a travaillé avec les comédiens. L'idée qu'il y a un fil, qu'il ne faut pas le perdre, que c'est un passage de relais. Cette pièce est aussi faite d'énormément de discussions, de digressions. C'est un moyen pour les comédiens de se perdre, de naviguer dedans avec fantaisie et panache et donc cette énergie, cette fougue, dans la langue, c'est vraiment ce que nous propose l'auteure. J'ai voulu lui être fidèle en faisant le pari qu'on peut parler du désespoir, de l'ennui, de la dépression avec énormément d'énergie, de pétillant et de peps. L'ensemble en est d'autant plus surprenant et plein de relief.
Comment s'est passé le travail avec les comédiennes et les comédiens ?
Ça s'est passé très bien parce que je crois qu'il y a un réel engouement pour cette langue, pour ce projet, de leur part. À ce sujet, il y a une petite anecdote que j'aime raconter. J'ai d'abord choisi les comédiens avant de choisir le texte. C'est généralement l'inverse : c'est parce qu'on a un texte qu'on va choisir les comédiens. Ce sont tous des comédiens que j'avais rencontrés soit dans mon parcours d'acteur, soit que j'ai vu jouer. Je les aime beaucoup. J'ai voulu les rassembler parce que je me suis dit, ces acteurs là fonctionneraient bien ensemble. Quelque chose se produirait s'ils étaient tous ensemble sur un plateau. Et, effectivement, en lisant le texte tous ensemble, quelque chose s'est produit. Déjà, c'était une chance inouïe qu'il y ait le bon nombre de filles et de garçons dans la distribution. En plus, il y a une ressemblance au niveau des frères et sœurs, même physiquement... L'ensemble a fonctionné. J'ai été très heureux de ça. Ils ne se connaissaient pas pour la plupart, aujourd'hui ils sont amis. Le travail a été fastidieux pour eux. Une comédie n'est jamais quelque chose de facile à mettre en place. C'est un travail très pointilleux, exigeant. Il y a eu un énorme travail sur le rythme de la langue. Trouver le souffle, le rythme de cette pièce. On est très heureux de pouvoir l'expérimenter sur 12 dates: on sentira à l'issue de cette série le pouls de la pièce. Sinon, une des difficultés, c'est que, assez vite, une comédie a besoin de rencontrer son public. Ce spectacle-là, plus que d'autres, a besoin de se construire en fonction du public. C'est une écoute entre eux mais c'est également vis à vis du public. Ils doivent le capter et ne plus le lâcher : c’est un réel partenaire. Le public est un partenaire puisque dans la mise en scène tout est orienté vers lui, le convive à qui on s'adresse directement. On y a porté beaucoup de notre attention. Sinon, d'une manière générale, tout s'est très bien déroulé. Il y avait beaucoup de plaisir à jouer cette langue et on a beaucoup ri en répétition. On tombait assez d'accord. Le gros du travail, comme je disais, a été la rythmique. Apprivoiser cette langue qui est peut-être verbeuse mais qui finalement propose quelque chose au delà des mots qui doit parvenir au public.
Votre thème de prédilection, ça serait plutôt la folie, la transgression, la comédie ?
J'aime beaucoup la comédie. C'est un univers que j'affectionne, que je maîtrise en tant qu’interprète et qui est, je trouve, assez déprécié au théâtre. Rares sont les auteurs qui savent monter de bonnes comédies. Rares sont les metteurs en scène qui osent monter des comédies aujourd’hui. C'est pourtant l'un des genres les plus exigeants du théâtre. C'est un des genres les plus nobles aussi, puisqu'il revient à rire de nous-mêmes, à faire rire de nous-mêmes. La mécanique de la comédie me plaît bien parce que c'est un genre au plus proche du public, au plus proche du pouls d'une salle et c'est passionnant à travailler. La transgression est aussi quelque chose qui m'intéresse. "Villa Dolorosa" l'aborde. C'est une pièce désinvolte. C'est comme si Rebekka Kricheldorf nous disait: "je réécris les Trois Soeurs en faisant un grand doigt d'honneur". Quelque part aussi, derrière ce que nous raconte la pièce, il y a énormément de désinvolture par rapport au public qui la regarde. Parce que c'est aussi une critique de la bourgeoisie, du communautarisme, de "est-ce que je t'accepte? Est-ce que j'accepte quelqu'un qui n'appartient pas à ma culture, à mes origines?" Le personnage de Janine est quand même très stigmatisé et j'ai voulu la défendre dans la mise en scène. Janine est une transgression en soi: elle va faire exploser les murs de cette famille snob et élitiste. C'est quelqu'un que je veux défendre parce qu'elle pense pratique, en action. Elle n'est pas bête. C'est juste quelqu'un qui n'a pas eu les mêmes chances ou les mêmes possibilités de culture que les sœurs, mais elle a sa propre culture et elle s'accomplit parce qu'elle prend sa vie en main. Même si elle n'a pas autant de bagage culturel, en tous cas, selon les dires de Rebekka Kricheldorf, elle pense quand même. Tout ce qu'elle réfléchit, ce qu'elle dit, a un sens pratique. Ca n'est pas pour autant qu'on n'a pas un regard de méfiance par rapport à ça. La pièce pose le paradoxe entre la réflexion qui mène à l’inaction et l’action sans réflexion. Est-ce qu'il n'y a pas un entre deux ? Je n'ai pas envie de donner de réponse et je crois que le texte n'en donne pas. Mais le spectateur fait face à ça. De ce point de vue aussi, la transgression c'est celle des sœurs vis à vis de Janine, cette désobéissance vis à vis du texte de Tchekhov. Ca me plaît beaucoup parce que c'est fait avec humilité et talent surtout. Il y a des adaptations qui sont parfois ratées, celle-ci saisit quelque chose. Elle est très intelligemment faite.
Propos recueillis par #PG9
"Villa Dolorosa" de Rebekka Kricheldorf. Mise en scène: Pierre Cuq, prix Théâtre 13 - Jeunes metteurs en scène
Avec Pauline Belle (Macha Klepstedt-Freudenbach), Cantor Bourdeaux (Andreï Freudenbach), Olivia Chatain en alternance avec Pauline Tricot (Janine), Sophie Engel (Olga Freudenbach), Grégoire Lagrange (Georg), Aure Rodenbour (Irina Freudenbach)
Au Théâtre 13 (Paris) jusqu'au 20 Octobre. Infos ici
+ d'infos sur Pierre Cuq: www.pierrecuq.com
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