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[Plonger dans l’âme de...] Jean-François Le Corre. L’incroyable aventure de “Vivement Lundi!"

C’est l’histoire du rêve caché d’un gamin qui regardait jusque tard et des étoiles dans les yeux les Cinéma de minuit et autres cinés-clubs. Quelle énergie le maintenait éveillé alors que le sommeil l’appelait? Pourquoi ses parents le laissaient-ils faire? Il ne voulait pas être acteur, ni réalisateur, ni tout autre métier directement lié à la fabrication des films. Il comprit des années plus tard que sa place était ailleurs: à la production. Epauler les autres, les rassurer, les conseiller, les aider. Organiser. Mais je ne vais pas vous dévoiler ce que raconte magnifiquement Jean-François Le Corre . Aujourd’hui à la tête de Vivement Lundi!”, société multi-récompensée, ce breton permet aux autres d’aller au bout de leurs films, dessins-animés ou documentaires... et de les emmener dans le monde entier. Vous allez voir, vous allez aimer cet homme à qui on a envie de dire: vivement la vie!




Bonjour Jean-François, enchanté. Je suis ravi de faire votre connaissance pour parler de votre parcours et de ce qui vous a amené un jour à dire “tiens, je vais faire du cinéma”, notamment de l'animation et du documentaire, puis, à un autre moment “tiens, je vais créer ma boite de production”... Donc, Jean-François, qui êtes-vous ?


Bonjour Philippe. Je suis un garçon qui a grandi à Pont-L'Abbé dans le Finistère. Ma fenêtre sur le cinéma, c’était la télévision. Je dois beaucoup aux ciné-clubs de Claude-Jean Philippe, Patrick Brion, Frédéric Mitterrand... ou encore à une émission qui s'appelait “Cinéma Cinémas”. Elle était pour moi un rendez-vous nocturne incontournable où je découvrais celles et ceux qui font les films, qui les interprètent... Ce monde que, dans mon bled de 8.000 habitants, je ne soupçonnais pas. Par chance, mes parents ont compris et m'ont laissé butiner ce type d'émissions tard le soir, pendant l'adolescence. A ce moment, je ne me destinais cependant pas du tout à travailler dans ces métiers-là. C'était vraiment une curiosité, une ciné-télé-philie. Je parle de téléphilie parce que, dans ma culture de l'image, un certain nombre de repères sont clairement liés à la télévision : une série comme “le Prisonnier”, est pour moi aussi importante dans mon adolescence que le cinéma de Fritz Lang. Je prends deux références importantes que j'ai dévorées et vraiment adorées.


A 18 ans, je passe un bac scientifique, puis après un deug, un bac + 2 en économie. Mais je me destine plutôt à devenir journaliste. Ma passion initiale, c'est l'aéronautique, mais mes niveaux de math et ma vue qui baisse ne me permettent pas d'espérer, sauf à bousculer des montagnes. Ce dont je ne suis pas capable à ce moment-là: je n'en ai ni la volonté, ni l'énergie. Je veux donc devenir journaliste. C'est quelque chose qui me passionne. Je cherche une année pour bachoter, pour préparer les concours des grandes écoles de journalisme. J'ai passé en auditeur libre, sans préparation, celui de l'ESJ à Lille et je me suis rendu compte du travail à faire. En 1986, je m'inscris dans une formation plutôt destinée à des professionnels, souvent auto-didactes, et qui doivent acquérir un diplôme validant leur parcours, une licence en information et communication. La particularité de cette licence, c'est que ce sont des cours du soir, de 19h à 21h. Moi, j'arrive à Rennes, une ville dynamique que je ne connais pas. Je passe 2 ans à l'université Rennes 2, qui vont être pour moi des moments très importants parce que dans le cadre de cette formation, je vais découvrir notamment la sémantique à travers certains enseignements, le rapport à l'image, l'analyse filmique...


J'arrive à un moment où sur le campus il y a une sorte d'effervescence artistique : il y a une troupe théâtrale, un ciné-club de littérature qui prépare la création d'un festival, Travelling (il fête ses 30 ans cette année). J'ai fait partie de la toute première équipe de ce festival ! Je découvre l'organisation d'événements et avec un groupe d'étudiants de ma promo, dans le cadre de nos ateliers de pratique professionnelle en information et communication, je commence à faire de la vidéo. Avec les moyens restreints dont le campus dispose à l'époque, je vais découvrir le cadrage, le montage et, surtout, je vais comprendre qu'il est aussi important d'avoir des gens derrière les caméras, qui organisent, qui coordonnent tout ça, qui accompagnent les créateurs, et des gens qui sont aussi en capacité d'avoir un discours là-dessus. C'est une espèce de révélation. Dès mon année de maîtrise en info-com, je fais un choix : travailler dans la production cinéma ou télé. Il se trouve que en 1987-88, dans les régions françaises, c'est un secteur totalement anémique, naissant...


Presque incongru!


Exactement. Près de 90% de l'activité est concentrée sur l'Ile de France, majoritairement, sur Paris. Dans une région comme la Bretagne où je vis, il y a une seule société de production digne de ce nom : Lazennec Bretagne. Des réalisateurs font du film institutionnel, un peu de reportage ou de grands reportages pour la télé locale qui, fort heureusement, existe déjà. FR3 coproduit peu de films en régions à l'époque, il y a tout à construire. Parallèlement à ça, il y a une forme de transmission familiale : mon père est bretonnant et il a toujours défendu l'idée qu'un territoire devait avoir une culture forte, qu'on devait respecter une langue régionale. Je ne suis pas bretonnant moi-même, mais je crois qu'il a réussi à m'inoculer cette idée qu'une culture, une identité culturelle régionale, c'est important. Et j'ai l'intuition que, dans les régions, il va se passer quelque chose. Les conseils régionaux à l'époque commençaient à se poser la question des modalités d'aide et d'accompagnement des créateurs et de la production en région. Je décide de m’implanter à Rennes et de m’incruster dans Lazennec Bretagne.


A cette époque-là, je pensais ne pas savoir renverser des montagnes, par contre, je sais être tenace, obstiné et patient. Pendant 2 ans, en attendant que les portes de cette société s'ouvrent à moi, je vais être attaché de presse bénévole - c'est le lien avec mon envie d'être journaliste -, pour des événements culturels : le festival Travelling à Rennes, celui de Douarnenez, la Cinémathèque de Bretagne. Pendant 2 ans, je suis surveillant d'internat à Morlaix, deux jours par semaine, le reste du temps, je m'investis dans la vie culturelle, via ce métier d'attaché de presse. Et ça marche. Je me fais un excellent réseau. En septembre 1992, le patron de Lazennec Bretagne qui m'a vu partout à chaque fois qu'il poussait une porte dans un Festival de la région, me dit : “écoute, la société va se développer, on vient de signer un gros magazine pour France 3”. Ce magazine entre parenthèses, s'appelle en 92 “Fractales”, c'est le prototype de celui qui sera célèbre plus tard sous le titre de “C'est pas sorcier”. Lazennec cherche un assistant de production et m'embauche. Comme le patron est débordé, en l'espace d'un an, je vais passer d'assistant de production à directeur de production, puis à producteur exécutif. Cette société rennaise est une filiale d'un petit groupe indépendant, les Productions Lazennec, qui à la fin des années 80 a découvert Eric Rochant, Christian Vincent, Cédric Klapish, Mathieu Kassovitz, Tran Anh Hung, pour ne parler que d’eux. Elle a développé tout un discours sur la relation auteur/ producteur, qui se rencontrent par le court-métrage puis grandissent dans le long-métrage. Je vais tout simplement adopter cette méthodologie.


En quelques mots, quelles sont les grandes missions d'un producteur exécutif ?


Le producteur exécutif représente le producteur. En France, un producteur exécutif, directeur de production, c’est à peu près la même chose, c’est la personne qui gère la partie financière et les ressources humaines sur une production au titre du producteur délégué qui est celui qui signe avec l'auteur, le producteur qui a initié le projet avec l'auteur. Le directeur de production ou le producteur exécutif sont souvent assez peu investis dans l’artistique, ils ont un travail de gestion au quotidien, à la fois des éléments financiers, des équipes et des ressources humaines. Le producteur exécutif est aussi celui qui fabrique des films, des programmes pour d’autres structures qui lui confient un budget pré-défini. J’ai fait de la production exécutive pour des magazines de France 3 Ouest ou pour des artistes comme Miossec ou Louise Attaque pour qui je produisais des vidéomusiques.


Merci.


J'apprends toute la partie exécutive, mais ce dont j'ai envie, c'est de développer mes propres projets au sein de la société. Je vais produire du documentaire pour FR3 qui commence dans les régions en 94 à externaliser une partie de sa production (jusque là tout était interne, les réalisateurs, la production...) et je rencontre en 1993, un réalisateur qui s'appelle Laurent Gorgiard. Il a fait les Beaux Arts de Rennes, puis une formation au CFT Gobelins à Paris, la grande formation du monde de l'animation à l'époque. Il a travaillé en studio à Paris, ça ne lui a pas plu. Il veut revenir travailler à Rennes et importer tout ce qu'il a appris dans le cadre de sa formation et du travail en studio. En 1994, Lazennec Bretagne initie avec le Portugal et un programme européen une formation pour 12 jeunes réalisateurs d'animation entre la Bretagne et le Portugal. Laurent en fait partie. Quand il revient, il vient me voir et me dit : “j'ai appris plein de choses pendant 9 mois et maintenant j'aimerais embarquer toute une génération de filles et de garçons avec qui j'ai fait les Beaux-Arts de Rennes, qui ont des talents, qui ne savent pas encore que ces talents sont applicables à l'animation. Je veux qu'on fasse des films ensemble”. Ca me plaît bien parce qu’à force de travailler avec le tissu culturel régional, je suis convaincu qu'il faut une décentralisation audiovisuelle. Qu'il y a des talents et qu’il suffit maintenant d'organiser tout ça, d'un peu de formation professionnelle, de quelques opportunités économiques et on peut produire des films dans la région. On va donc, avec Laurent, réaliser une première petite série d'animations, “Court Circuit”, qui va avoir de l'écho dans le milieu de l'animation et circuler dans les festivals. Puis, toujours avec Laurent, je vais produire un court-métrage, “L'homme aux bras ballants”, dans cette technique qu'il pratique : la marionnette animée ou volume animé, ce que les anglais appellent la “stop-motion”. C'est cette technique qui va nous permettre de démarrer parce qu'avec la stop motion on peut faire appel à des compétences qui ne viennent pas strictement de l'animation. En stop-motion, le directeur photo peut être quelque qui vient de la photo ou du cinéma classique, le chef décorateur sera quelqu’un qui vient de la publicité, un camarade de promo de Laurent qui réalise des objets publicitaires Etc… J’apprends mon métier au sein de cette société, Lazennec Bretagne. Sauf que cette société défriche, et qu'elle fait des erreurs. Elle est endettée et, à l'hiver 1997, elle doit déposer le bilan. Je vais gérer au côté de son patron un redressement puis une liquidation judiciaire. J’apprends beaucoup pendant ces 6 mois. En avril 1998, un vendredi, la société est liquidée. Le Lundi suivant, avec la comptable de la société qui vient de disparaître, on s'associe et on crée “Vivement Lundi !”...


Un lundi, justement.


Un lundi, oui. Le nom de notre société a été l’affirmation d’un désir urgent de redémarrer : j'avais une dizaine de projets en développement, j'étais un jeune producteur qui commençait à avoir beaucoup d'expérience au niveau de la Bretagne et je travaillais avec beaucoup d'auteurs. Il fallait vite une solution pour sauver tout ce travail de développement, toute cette richesse. J'ai créé “Vivement Lundi !” et tous les auteurs sont restés. Je me suis dit qu'à ce moment-là, je pouvais être crédible en tant que producteur. Je me suis senti légitime. J'ai redémarré avec Valérie Malavieille, j'ai racheté les 30 minutes d'animation que j'avais pu produire au sein de Lazennec Bretagne. Dedans, il y avait “L'homme aux bras ballants”, qui, deux mois après la création de la société, remporte le Prix Spécial du Jury dans la Mecque mondiale du cinéma d'animation, le Festival international du film d'animation d'Annecy. Ca a été le 2ème point important : avec cette équipe de gens qu'on avait formée à Rennes autour de notre travail avec Laurent Gorgiard, on s'est rendu compte qu'on avait déjà atteint un niveau international. Vous parliez tout à l'heure de la nomination aux César de “Au Cœur des ombres”: ce niveau qu'on a acquis avec “L'Homme aux bras ballants”, on a fait en sorte de ne jamais le perdre.



Par l'exigence ?


L'exigence, le choix des talents, le fait, dès le départ de ne pas s'enfermer dans un microcosme. On vit, on travaille en région, mais on regarde partout. Les gens disaient à l'époque : “la production en région est une production au rabais”. Non, c'est une production qu'on faisait souvent avec des moyens plus faibles que ce qu'on a quand on produit au national, avec des chaînes nationales par exemple, mais ce n'est pas de la production au rabais. Le talent n'est pas au rabais, il suffit de trouver les moyens de faire. On a démarré en produisant du documentaire, un peu de fiction et d'animation. Dans le parcours de la société au fil des ans, il y a eu plusieurs étapes. J'ai suivi en 2003, “Eurodoc”, une formation européenne pour les producteurs indépendants au niveau international dans le documentaire qui m'a apporté beaucoup. 2005 on a commencé à co-produire de l'animation au niveau européen avec des partenaires belges et suisses, avec lesquels on travaille toujours. La dimension internationale nous a permis quelque part de contourner le périphérique parisien à l'époque où on trouvait que les partenaires parisiens étaient très hermétiques à ce qui venait des régions. Autre point important : la constitution d'une équipe. J’ai formé à peu près toute mon équipe en production, direction de production, dont un jeune producteur en 2007/ 2008 qui s'appelle MaThieu Courtois. Il est toujours à mes côtés, il produit et il dirige le studio d'animation que “Vivement Lundi !” a créé qui s'appelle “Personne n'est parfait !”. Il y a deux structures différentes aujourd'hui, la société de production et le studio d'animation, tous les deux basés dans les mêmes locaux à Rennes.


Quelle est la différence entre les deux ?


La société de production est la société qui développe les projets, les monte financièrement et “Personne n’est parfait !” est une structure de prestation, qui peut-être prestataire pour “Vivement Lundi” ou pour d'autres sociétés françaises ou étrangères. Un autre moment important : 2010. En 2010, on se rend compte qu’en animation, nos courts métrages et nos petites séries ont fait le tout du monde. Nous avons un vrai savoir faire et il est temps de songer à passer à un volume ou à des formats plus grands. Le long métrage nous semble un peu difficile à atteindre, par contre on a un savoir faire en série, on a formé une vingtaine de techniciens à Rennes qui ont la capacité à travailler sur des séries d'animation de niveau national, voire international. Quand je dis de niveau international, la France en 2010 est 3ème pays producteur mondial d'animation. On considère que l'animation française est de très très haute qualité. On rencontre une jeune femme, Isabelle Lenoble. Elle a un projet de série “Pok et Mok” et elle va nous embarquer. Elle nous pousse à oublier nos inhibition, nos complexes de régionaux, en nous disant “j’ai travaillé avec des producteurs nationaux, des studios nationaux je me suis installée à Rennes, il y a le niveau ici, il suffit simplement de trouver la bonne manière de rentrer dans les chaînes”. On a trouvé la manière en s’associant à une filiale du groupe Gaumont, Gaumont Animation, et on a produit à partir de 2011, la série “Pok et Mok” entre Rennes et Paris. Ca nous a permis de décoller dans la série. En 2011, on obtient quelque chose d'incroyable : le prix Procirep du Producteur d'animation français, seul prix national pour les producteurs en France, un prix prestigieux. C'est la première fois qu'on candidate, on l'obtient du premier coup, c'est juste incroyable.


Dans la continuité du parcours il y a la découverte d'une créatrice qui sort de l'école en 2012 - 2013 qui a fait une école de conception d'objets Olivier de Serres à Paris. Elle nous envoie un livre qu'elle a réalisé dans le cadre de ses études “Dimitri”. Le livre donne naissance à notre 1ère “grosse” série en marionnettes animées en 2014. Il y a quelques semaines, nous venons de livrer la deuxième saison de “Dimitri” à France Télévision et à plusieurs partenaires internationaux. A partir de 2011 - 2012, la société va se développer sur les séries d’animation et le documentaire. Et en parallèle de l'animation et du documentaire, on a aussi développé un savoir-faire et une compétence sur le documentaire animé, continuité logique des deux identités de la société. Dans le CV de la société, il y a aujourd'hui 3 nominations aux César, il y a récemment la nomination aux Magritte - les César belges – pour un court d’animation intitulé “Le Quatuor à cornes”. En 2015, nous avons reçu le Cartoon Tribute du producteur européen d’animation, un prix qui nous a beaucoup touchés parce que ce sont les professionnels européens qui votent. En 2016, Nous avons obtenu le prix UniFrance de l'exportateur de Courts-Métrages. On a eu des films primés à la Semaine de la Critique, au Sundance, à Locarno ; côté documentaire, on est très fiers de nos 3 étoiles de la SCAM décernées à des auteurs de la région, les étoiles de la SCAM étant les prix nationaux pour le documentaire dit de création. Nous travaillons avec des partenaires qui vont de Canal + à France Télé en passant par Arte, la RTBF et la Radio Télévision Suisse, TV5 Monde, Radio Canada... “Vivement Lundi !” est aujourd’hui une société basée en Bretagne, très bien dans son identité régionale, et en même temps totalement ouverte sur le monde, avec l'ambition d'avoir une production de qualité internationale. Nous travaillons avec des producteurs danois, wallons, flamands, romands, “Au coeur des ombres”, le film qui vient d'être nommé aux César, est un film portugais que nous avons co-produit. De Rennes, on peut avoir une approche du métier de producteur, à la fois décentralisé par rapport à Paris, mais internationale dans la manière de produire, dans le rapport aux auteurs et aux partenaires avec lesquels on travaille.



Une petite question technique dans le domaine de l'animation une de vos grandes forces, c'est donc les marionnettes animées, mais vous faites aussi du dessin animé traditionnel à la Disney, quelle est la différence entre les deux pourquoi l'un plutôt l'autre... ?


La marionnette et les volumes animés, c'est historique, parce que les premières équipes avec lesquelles on a travaillé avaient choisi cette technique pour les raisons que je vous expliquais tout à l'heure. Avec cette technique, il était plus facile de former des gens ou de trouver des ressources humaines sur un bassin d'emploi comme Rennes ou une région comme la Bretagne dans laquelle il n'y avait pas d'école de cinéma et encore moins de gens ayant fait de l'animation. Par contre, il y avait des décorateurs, des gens ayant fait les Beaux-Arts ou de la photo, des costumières, des perruquières de théâtre, des professionnels qui pouvaient s'adapter au travail de la marionnette animée. La formidable carrière de “L’homme aux bras ballants” nous a fait repérer tout de suite. Notre deuxième court-métrage en stop-motion, “Le dos au mur” est à nouveau un premier film, celui de Bruno Collet, assistant de Laurent Gorgiard sur “L'Homme aux bras ballants”. “Le dos au mur”a été primé à la Semaine de la Critique en 2001. Les choses se sont bien enchaînées jusqu’en 2009, année où “Le petit dragon”, un court-métrage en hommage à Bruce Lee a été un carton international: 50 prix nationaux et internationaux, plus de 200 festivals. Mais on avait le sentiment d'avoir un peu fait le tour. La série “Pok et Mok” mélangeait deux techniques : les décors étaient des volumes animés, par contre l'animation était une animation 2D classique. La chose qu'on ne fait pas pour le moment - mais il faudra bien qu'on y vienne - c'est ce qu'on appelle la 3D générée par ordinateur, de type Pixar ou Dreamworks.



Les gens pour la 2D qui sont arrivés chez vous arrivaient de où ?


Au départ, ce sont des gens qui arrivaient de l'université Rennes 2 ou des Beaux-Arts et puis, petit à petit, quand les productions se sont développées, nous avons recrutés des jeunes professionnels arrivant parfois de Valence, du Nord de la France, d'Angoulême… Certains étaient encore mobiles, pas encore totalement sédentarisés, ils se sont installés à Rennes. En ce moment, on a une série en 2D qui est la 2ème saison d'une série d'éducation au web qui s'appelle#DansLaToile. Sa créatrice est une étudiante brillante de la grande école française de réalisateurs “La poudrière” à Valence. Elle travaille chez nous depuis deux ans maintenant. Paul Cabon sort aussi de la Poudrière, il s'est installé à Rennes, on est en train de terminer son 3ème film. Et Agnès Lecreux, la réalisatrice de “Dimitri”, s'est elle aussi installée à Rennes. Il y a à la fois des talents locaux et régionaux et des gens qui se sont installés à Rennes ou qui y ont fait leur “base”.


Vous parliez de la 3D, il y a plein d'écoles en France de formation. Vous êtes en train de regarder les auteurs de ces écoles, comment ça se passe ?


Nous terminons “Mémorable”, le nouveau film de Bruno Collet, un film hybride qui mélange marionnettes traditionnelles et animation 3 D. Il a donc bien fallu mettre le nez dans cette technique. En même temps, nous sommes très attachés à une animation, que je qualifierai d’assez organique. Je me sens bien dans la stop-motion puisque c'est l'animation organique par excellence. Dans la 2D, on peut travailler des textures, des matières. La 3D me convient peut-être un peu moins… Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas réussie, pas talentueuse. “Dragon 3” vient de sortir et je trouve ces films exceptionnels, très bien écrits et très bien réalisés. J'ai un peu de mal à quitter la stop-motion qui pourtant est très complexe et chère à produire. Mais, je ne dis jamais “jamais”. Si un projet nous arrive en 3D généré par ordinateur et que le projet m'enthousiasme, évidemment que je vais y aller. On trouvera des solutions et des équipes.



Combien de personnes travaillent aujourd’hui sur les deux structures ?


La structure de production, c'est 8 permanents. Et on est en moyenne entre 30 et 40 personnes à l'année travaillant sur les productions en animation et en documentaire. Après, ce sont beaucoup d'intermittents qui circulent entre les productions. Il y a des moments où on peut être beaucoup plus. La totalité du générique d'une saison comme “Dimitri”, c'est près de 200 personnes entre la France, la Belgique et la Suisse ! En ce moment, on a terminé la 2e saison de “Dimitri”, donc nous sommes moins nombreux. Nous préparons deux longs métrages, sur lesquels nous travaillons en co-production : “FLEE”, un long-métrage danois et “Interdit aux chiens et aux Italiens”, un long-métrage français. A la fin du printemps, on devrait être une grosse quarantaine de personnes à travailler sur ces deux films au studio à Rennes. Peut-être même un peu plus.


Vous parliez d'une web série qui mélange documentaire et animation ?


Il y a une nouvelle productrice au sein de “Vivement Lundi !”. Elle a produit la websérie animée #DansLaToile. Aurélie Angebault a également produit notre 1ère web série documentaire “Uburama”, l'histoire de cette salle mythique de rock rennaise, l'Ubu, qui a été une des premières salles rock en France et qui a été quelque part défriché le modèle économique des salles de musiques actuelles, les SMAC. En 7 fois 6 mn, cette websérie raconte 30 années pendant lesquelles le rock s’est institutionnalisé. Le programme mélange motion design, archives et témoignages. En ce moment, nous préparons une web série d'animation pour les ados et les adultes qui s'appelle “Hospice Odyssey”, un space opéra gériatrique en 15 fois 3 minutes, sur une maison de retraite qui, pour sauver ses pensionnaires de la canicule, les envoie dans l'espace où ils se perdent... Nos seniors vont devoir s'adapter à cette vie intersidérale. On est dans l'écriture, la production devrait démarrer avant l'été.



Quel est votre grand plaisir de producteur ? Qu'est-ce qui vous nourrit et vous fait sourire ?


Je dirais qu'il y a plusieurs plaisirs. Le premier est de rencontrer un auteur avec un univers fort et que le courant passe entre lui et moi. Ca, c'est exceptionnel et quand j'en rencontre, généralement ça dure longtemps. Il y a une grande fidélité, et, je crois, une grande complicité entre moi et la plupart des auteurs avec lesquels je travaille. Il y a des auteurs avec lesquels je travaille depuis 20 ans, en documentaire comme en animation. Cette année par exemple, je vais produire un nouveau film de Philippe Baron, un réalisateur de documentaires rencontré il y a 20 ans au tout début de “Vivement Lundi !”. Idem avec Céline Dréan qui a débuté en 1998 dans la production à mes côtés et que j’accompagne depuis dix ans dans la réalisation de documentaires. Deuxième chose - et ça plus je vieillis plus c'est important -, quand on a un projet et l’auteur en capacité de le porter, que nous avons trouvé les moyens de le produire, c'est que le film rencontre un ou des publics. Je ne supporte plus l'idée qu'un film reste sur une étagère et ne rencontre pas un public. Il y a des gens qui me disent : “pourquoi tous ces festivals, tous ces prix ?”, parce que ça signifie que des gens nous disent, “on a aimé votre projet, on a compris ce que vous vouliez faire avec ce film et on trouve que l'ambition est atteinte, qu'il y a un auteur derrière, que le producteur a bien fait son travail, il a accompagné cet auteur pour qu'il ait les moyens de faire le film avec une ambition artistique, narrative”.


Dans notre métier, on dénigre souvent la télévision, mais si j'aime toujours produire pour elle, c’est parce que la télé permet à des films de rencontrer des publics. Quand un film comme “Je ne veux pas être paysan” de Tangui Le Cras - un premier film, très personnel - est diffusé sur France 3 national que le lendemain de la diffusion, la chargée de programme de la case m'appelle et me dit: “Jean-François, il s'est passé un truc génial sur le film, on a fait un carton d’audience pour L’Heure D, 300.000 personnes ont regardé le film hier soir à 23h”, c'est génial ! Quand, en plus, ce film travaille sur la représentation du malaise paysan à travers une histoire de famille et que le réalisateur reçoit des témoignages de sympathie et qu'ils disent “quelle émotion, quelle intelligence, pour parler du monde agricole”, c'est rare, je me dis qu’on a gagné. Qu’on a réussi à proposer une sensibilité, un regard singulier sur un sujet difficile.


Parfois, ça peut être un public de “niche”. Le terme peut paraître péjoratif, mais cela reste un vrai public. On a des films sur l'art par exemple qui vont s'adresser à des passionnés ou à des festivals spécialisés, des galeries, des musées, mais il y a du monde dans la durée qui va voir ces films-là. Ils peuvent tourner pendant 10 ans parce qu'à un moment ils ont porté un regard pertinent avec une vraie sensibilité ou un vrai point de vue sur un artiste. Une manifestation comme le Mois du film documentaire peut apporter des surprises et des salles pleines... Il y a des manières de diffuser des films, à la télévision, en salles, sur le web maintenant et à chaque fois, on se bat pour que les films, dès le départ soient en capacité, de rencontrer un public, parfois avec des objets qui peuvent être très singuliers, très radicaux dans leur forme. On a le bonheur et la fierté d'être co-producteurs de deux auteurs flamands qui s'appellent Emma De Swaef et Marc James Roels. On a coproduit avec leur producteur flamand, Beast animation, un film qui s'appelle “Ce magnifique gâteau !”. Quand on a vu arriver le 1er montage du film, on s'est dit “waow, ça va pas être facile d’aller chercher le public”, mais c'est un film, qui, par son propos, par sa radicalité artistique, les risques que prennent les auteurs dans la narration, qui pourrait faire quelque chose. Il a fait sa première mondiale à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes l'an dernier et depuis, c'est une carrière incroyable ! Une carrière internationale comme j'en ai rarement vu pour un film de 45 minutes. Il vient de trouver un distributeur aux Etats-Unis, il va sortir en salles là-bas. Sur le papier cela peut paraître improbable, mais on peut trouver des publics, même si c'est radical, même si c'est de l'animation qui n'est pas pour les enfants et que ce sont des Flamands qui travaillent sur l’histoire de la colonisation du Congo par les Belges au 19ème siècle !


Bravo...(Et, entre parenthèse, cet entretien a été effectué un lundi!)


Propos recueillis par #PG9




Dans la foulée...


[Plonger dans l’âme de...] Bruno Collet. La mémoire s’efface, les films restent: à lire ICI


[Plonger dans l'âme de...] Agnès Lecreux. Comment "Dimitri" est devenu un phénomène en #StopMotion: à lire ICI


[Documentaire] “Je ne veux pas être paysan” de Tangui Le Cras. Un constat dur, sans concession et plein d’amour: à lire ICI






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