Documentaire passionnant sur un groupe à part qui aime se mettre en dehors des circuits traditionnels, "Le Monde selon Radiohead" rentre dans le coeur de la démarche de Thom Yorke et comparses pour en montrer la profondeur et la cohérence. Parce que sans le crier avec véhémence, ils dénoncent certaines dérives du monde et alertent sur les enjeux fondamentaux écologiques, démocratiques... Le tout est formidablement monté, commenté, agencé, illustré, avec les commentaires de Steve Reich, Michel Delville, Tim Footman... et des références nombreuses aux sources d'inspiration du groupe. Derrière la caméra pour ce magnifique film, un réalisateur, Benjamin Clavel. Cinéaste de l'humain et du dérisoire. Bonne lecture
Enchanté Benjamin. Le documentaire "Le Monde selon Radiohead", dont nous allons beaucoup parler, pose une question : "qu'y a-t-il dans la tête de Radiohead ?" Mais celle que nous allons aborder présentement, c'est: "qu'y a-t-il dans la tête de Benjamin Clavel ?"
Enchanté Philippe. Ah oui ! Vaste sujet...
On parlait ensemble du spectacle vivant, parce que vous êtes dans le monde du documentaire, mais Radiohead, c'est évidemment du spectacle vivant. Vous me parliez des projets que vous avez en tête, vous avez glissé le mot "cirque" et il se trouve qu'avant de vous appeler, je regardais un très joli petit film que vous avez réalisé "Cycle Doux". Il y est question du cirque aussi...
C'est un petit court métrage.
Vous aimez aborder, comme vous dites, le cinéma du dérisoire... Les héros du dérisoire.
Oui. Quand j'étais étudiant à l'ENSAD - aux Arts Décos, c'est ce que j'avais essayé de synthétiser, en voyant des motifs récurrents dans mes scénarios. J'ai commencé par un court et un moyen métrage, "Nouvelle lune", mon film de fin d'études (59mn). J'ai donc commencé par la fiction avant d'arriver sur le documentaire. J'ai essayé au moment de l'écriture de mon mémoire de voir quelles thématiques se rejoignaient dans mon univers cinématographique : les films des autres que j'aimais énormément et dans ce que moi je prenais plaisir à raconter. Ils avaient en commun cette espèce de posture un peu tragique et dérisoire face à la vie, à l'adversité et aux événements. Du coup, les grandes figures étant, évidemment, Cyrano de Bergerac, qui rejoint à la fois le théâtre et le cinéma, grâce à Rappeneau. C'était de voir comment ces grandes figures de la plus grande et romantique comme Cyrano à une petite figure moins connue comme celle de Noi Albinoi, par exemple, un film qui m'avait énormément marqué, 1er film d'un réalisateur islandais, Dagur Kari, qui a fait de très beaux films ensuite. J'ai appelé ça le dérisoire. L'absurde était identifié du côté de Camus, le tragique était identifié maintes et maintes fois par ailleurs et le dérisoire me paraissait un joli terme à la fois, comme sans importance et en même temps grandiose. Du coup, j'ai cherché à parler de ces personnages-là. Même ensuite dans les documentaires, évidemment, dans Radiohead beaucoup moins. Encore que... Sinon même dans les documentaires et les courts-métrages dont celui que vous mentionnez, ça fait partie de ces personnages un peu balotés par la vie, par les éléments, des anti-héros, qui sont dans une posture un peu tragique. Posture dans laquelle on est un peu tous dans nos propres vies...
Qu'est-ce qui a fait que vous avez basculé de la fiction au documentaire ? Qu'est-ce qui vous a poussé à aller chercher les histoires du réel ?
Plein de choses... Il y a, on va dire, les contraintes de la vie concrète. Mais, surtout, à l'issue de "Nouvelle lune" donc mon film de fin d'études des Arts déco, j'étais épuisé. J'avais fait beaucoup de choses par moi-même, j'étais un peu ratatiné, mais ravi : le film avait été sélectionné à Clermont-Ferrand. J'avais pensé à d'autres scénarios, mais ils n'ont pas abouti. J'avais un projet de film d'animation avec un co-réalisateur qu'on a porté pendant un an et un autre projet de court-métrage que je n'ai jamais réussi à monter. Tout ça m'avait épuisé. Et, assez naturellement, comme mes histoires de fiction tournaient aussi autour de l'univers circassien et du spectacle vivant, je me suis dit autant aller directement sur le terrain et voir ce qui se fait en cirque contemporain. Parce qu'il y a des gens qui sont encore dans le nomadisme, qui se baladent, qui partent en tournée pendant des mois, quittent leur famille... Avec mon co-réalisateur que j'ai rencontré en cours de création et d'écriture, on a commencé à chercher des troupes françaises, la France est un pays assez dense en compagnies de cirque. On est partis. Moi j'avais sans doute envie de prendre la route, de partir caméra au poing, de lâcher le processus très long de rédaction, de scénario, de ré-écriture, d'échange avec la production... de demandes de financement etc. J'étais fatigué de ça. On a pris la route, la fleur à la caméra, on a rencontré des troupes et, petit à petit, on s'est arrêtés sur une. Le film a commencé à se construire comme ça. Ensuite, on a rencontré un producteur. On a réussi à obtenir des financements, plutôt a posteriori, mais on a quand même réussi à financer ce film. Au départ, c'était plus une envie de liberté et de parler d'un sujet qui me passionne. J'adore évidemment Chaplin, son court-métrage "Le Cirque", pour moi est un des plus grands films qui soient. J'avais envie de retrouver ce climat-là, de m'y plonger, de suivre des gens pendant plusieurs semaines, d'être sur les routes avec eux et de vivre ça de l'intérieur. Il se trouve que c'était un documentaire, mais, pour moi c'est le même métier, c'est la même chose. C'est simplement qu'il y avait cette envie de partir sans avoir à monter les dossiers de financement et les commissions, sans s'encombrer de tout ça.
S'en libérer pour faire ce qui vous tenait à cœur. Pour être sincère avec vous-même?
Oui. Il y a de ça. Aller directement à l'essentiel. Qu'est-ce qui me fait le plus rire, le plus pleurer ? Qu'est-ce qui me touche le plus ? Certains spectacles de cirque, certains films dans cet univers-là... Donc, assez naturellement, même en écrivant des scénarios j'étais dedans, donc je me suis dit, allons à la source. En plus, ça pouvait servir même de matériau de documentation pour d'autres choses. Et puis vraiment un côté road-trip. La liberté. C'était la première fois que je co-réalisais, ce qui était agréable, parce qu'à force de faire les choses, d'écrire et de réaliser soi-même, on se fatigue d'autant plus. Ca apporte un regard très différent, c'était une très belle expérience.
Le film s'appelle "Nomads' land"...
Oui, c'est celui-là. Il a finalement été produit par "Everybody on deck", une société de production qui a fait pas mal de belles choses. Le film n'a pas été distribué en définitive, donc il a eu une visibilité plutôt en festivals, mais j'en suis toujours extrêmement content. Et puis on a vécu des choses formidables. Faire des films, c'est aussi vivre des choses sur le moment. Des rencontres, des tas de choses du monde du réel. C'est ça aussi le documentaire. C'était dur, aussi. Les conditions de tournage sont toujours difficiles. Mais il y a eu le plaisir d'être mêlé aux gens et d'avoir des tas de souvenirs de tout ça. Mon co-réalisateur, qui est depuis un ami, et moi, on est toujours ravis de se souvenir de ces moments-là. Vraiment.
On est à l'opposé du cinéma dans ce sens où on n'est pas dans le monde de l'artifice... ?
Oui et non. Nous-mêmes, quand on tourne, on est dans le pur concret. On n'a rien pour magnifier les gens qu'on film, pour les emmener dans telle direction ou dans telle autre, mais en même temps, on a quand même l'outil du cadre, du montage et puis on a le choix de filmer dans telle ambiance plutôt que telle autre. Il n'y a pas l'artifice dans le sens où il n'est pas commandé, commandité par nous. On s'adapte pour trouver des choses. On n'a pas d'éclairage, de clair-obscur par exemple, sauf quand on filme par exemple un artiste en répétition sur la scène, sous le chapiteau, éclairé par une poursuite. On n'a pas commandité l'artifice, mais finalement on va le retrouver autrement. Pour moi, c'est vraiment le même métier. C'est juste qu'on ne peut pas demander à un décorateur de déplacer tel élément, à tel endroit... Au chef opérateur d'éclairer plutôt ici... C'est vous qui vous adaptez à la mise en scène de la vie. C'est un autre défi, mais c'est de l'écriture aussi. Et des choix continuels. C'est assez enthousiasmant.
Au fur et à mesure vous avez créé votre propre société de production ?
Plus tard. J'ai fait des courts-métrages quand j'étais encore aux arts-déco, ensuite, j'ai fait pas mal de choses. J'ai travaillé aussi pour le théâtre, j'ai fait une création pour le théâtre Vidy à Lausanne et puis d'autres courts-métrages, dont "On the rocks" qui a eu peu de visibilité pour le coup, mais qu'on a pris un grand plaisir à faire aussi et c'est seulement après "On the rocks" qu'il y a eu "Nomads' land", le 1er documentaire après quasiment que de la fiction.
Ensuite, il y a eu "Marie, dompteuse de crabe", un documentaire assez particulier, puisque la femme du fondateur de la troupe qu'on suivait dans "Nomads' land" qui est devenue une connaissance et même une amie pendant le tournage, qui était très jeune, on a appris qu'elle était atteinte d'un cancer fulgurant. Personne n'est porté sur ce genre de thématique, ça fait peur, mais elle avait une telle façon de parler de sa maladie qui lui tombait dessus, une forme d'absence totale de complainte, une force, un courage, une dérision, que j'ai retrouvé mon personnage dérisoire et tragique face à la vie. Un personnage incroyable. Donc, j'ai proposé à mon co-réalisateur, qui du coup connaissait évidemment Marie, d'aborder ce sujet très grave et très dur mais d'une autre façon qu'on n'a jamais vue au cinéma documentaire. C'est comme ça qu'on est partis sur ce film qu'on a mis longtemps à produire. Là, c'était "What's up film". France 3 a rejoint ensuite l'aventure du film, en le préachetant, donc c'est un film qu'on a réussi à bien financer en bout de course, mais on est partis là aussi la fleur à la caméra. On a commencé à tourner parce que le temps pressait à cause de la maladie. Les signaux qu'on avait sur la santé de Marie étaient inquiétants, elle évoluait très vite et très mal. On ne savait pas exactement ce qu'on racontait, avec son accord et sa complicité, bien sûr. Si c'était quelqu'un qui allait mourir, quelqu'un qui allait vivre relativement longtemps mais avec une épée de Damoclès de la maladie, on ne savait pas. On voulait surtout raconter son parcours à elle, avec sa personnalité, son sens de l'humour avec ce poids et cette tragédie qui lui tombait dessus. Il y a eu donc "Marie, dompteuse de crabe". Otago Production, s'est fait bien plus tard avec mon associé actuel, Guillaume. Pendant que je faisais ces films longs à produire, plutôt fragiles et difficiles, j'avais d'autres projets de commande et j'avais commencé à travailler en binôme avec Guillaume pour réaliser des films consacrés au cinéma, mais qui étaient plus des films patrimoniaux diffusés destinés à être achetés par Ciné + ou Canal +. Je faisais ces films-là en parallèle, plus classiques mais plus rapides à faire aussi. Chemin faisant, on a travaillé ensemble dans une autre société de production qui a périclité, mais pas à cause de nous, je tiens à le préciser, on avait fait 5 ou 6 documentaires déjà, et on s'est dits qu'on n'était jamais mieux servis que par soi-même donc il valait mieux monter notre propre structure. On a réalisé ensemble un certain nombre de films, puis, fin 2017, on a monté Otago Production pour pouvoir produire nous-mêmes, à la fois les documentaires pour lesquels on était en discussion avec les chaînes du groupe Canal +, et puis aussi progressivement commencer à produire d'autres réalisateurs de l'extérieur et des films un peu plus fragiles, comme celui que je suis en train de réaliser sur Philippe Caubère. Un projet clairement difficile à monter, qui sera long à tourner etc. Mais Otago est tout récent. On a eu nos locaux en mars 2018... On est tout jeunes !
Vous êtes basés où ?
On est à Paris Ledru Rollin.
Il y a donc eu toutes ces aventures en parallèle, jusqu'au film qui sera diffusé le 8/11 sur Arte. Q'est-ce qui a provoqué l'aventure Radiohead ? D'où vient ce projet ?
Pendant que j'étais en montage de "Marie dompteuse de crabes", j'ai reçu un coup de fil d'un producteur, Rémy Reboullet, de chez Bridges. Il avait eu mon contact par un ami réalisateur et voulait me rencontrer. On se voit, on discute, il a vu ce que je faisais, ça l'intéresse. Il travaillait déjà beaucoup pour Arte, mais pour tout ce qui est web et il avait vraiment très envie de faire son premier 52' de télévision hertzien. Il cherchait donc des projets pour la case pop culture d'Arte et me demande si j'avais des suggestions. Je lui en ai fait un certain nombre, dont Radiohead, et c'est le projet qui a été retenu par Arte.
Après, il y a eu pas mal de re-travail parce que le sujet initial n'était pas celui-là, il était un peu plus réduit, lié on va dire à la posture de Radiohead vis à vis de l'industrie de la musique et de la crise de cette industrie ces dernières années. Finalement, je trouvais que c'était trop mince, peut-être trop sérieux, rébarbatif - on était quand même dans une case pop -, donc on a étendu les choses. Je me suis dit qu'il y a un vrai sujet : parler de ce dont nous parle le groupe à travers les textes, notamment Thom Yorke, qui est un des piliers de la pensée du groupe. Même musicalement et artistiquement dans l'utilisation de la technologie de la musique, notamment dans leur rapport à la crise de l'industrie musicale "In Rainbows" qui a été distribué gratuitement sur internet pendant une certaine durée. Quel était leur rapport à la modernité, leur philosophie face au monde contemporain ? C'est quelque chose qui revient tout le temps dans les paroles de Thom Yorke. Il y a une vraie ambivalence entre la fascination de l'électronique, de la modernité, de la technologie de pointe et une vraie appréhension face notamment au nucléaire, à l'intelligence artificielle, ou même ne serait-ce que les frigos, comme ils peuvent devenir un peu flippants pour Thom Yorke, les voitures, tout ce genre de choses. Je me suis dit, il y a une jolie problématique là entre cette fascination qu'on a tous je pense vis à vis de la technologie actuelle, nos portables qui font des centaines de milliards d'opération, c'est hallucinant et en même temps jusqu'à quel point on n'est pas prisonnier... La technologie est un progrès d'un côté et peut-être une menace de l'autre. J'ai donc commencé à explorer toute la discographie de Radiohead sous cet angle-là et j'ai trouvé pas mal d'occurrences, certaines que je connaissais, d'autres que je découvrais. Le sujet s'est développé comme ça.
Vous êtes vous-même un fan du groupe ?
Totalement. Enfin, je n'ai pas une posture de fan dans la mesure où je ne vais pas les voir à chaque fois qu'ils passent, je ne lève pas mon briquet dans la fosse, mais je suis fan dans le sens où je suis vraiment un admirateur. Je suis admiratif de ce qu'ils font, je suis chaque album. Je suis de cette génération qui s'est pris à la fois "Creep" dans les 90's, "Kid A" en 2000, et qui s'est dit ce groupe est incroyable, ils sont capables de nous faire du grunge post grunge, ils le font très très bien, ils s'éloignent de plus en plus de la brit' pop, ils disent merde à tout ça et à un moment donné, ils sortent "Ok Computer". C'est un album est un équivalent des plus grands albums des Beatles ou autres ! Et puis, ils rebattent complètement les cartes avec Kid A et ils prennent ce risque de partir dans l'électro, d'avoir des sonorités qui peuvent surprendre justement des fans de groupes de rock. Donc, je suis vraiment admiratif de ce groupe pour ça. La sincérité de la démarche, de la recherche. Se dire, c'est pas parce qu'on est devenu des stars, on est des vedettes internationales, on pourrait presque écrire de la musique en tube, on nous acclamerait quand même, eh bien non, on va rester fidèles à l'idée de départ et on va essayer de continuer à nous surprendre nous-même et chercher quelque chose d'un peu fondamental, profond.
Vous avez fouillé toutes les oeuvres...
Oui. Forcément des gens vont me dire que j'ai oublié des tas de choses ! En 52mn, on ne peut pas tout traiter, loin de là. On a passé en revu les choses qui étaient les plus notoires, après, on a été obligés de mettre de côté des tas d'autres choses, même sur leur rapport à l'écologie il y a des choses très limpides, sur le dernier album. Après, il y a des choix personnels, dans le dernier album moins de chansons m'ont touchées que sur les précédents, donc j'ai peut-être eu moins envie d'en parler, mais il y aurait encore plein de choses à dire, c'est clair.
Comment s'est passée l'écriture de ce projet ?
L'écriture documentaire est toujours un truc un peu bizarre parce que vous devez vous projeter au maximum dans le film fini pour que les Commissions le voient au plus près de ce qu'il sera. C'est toujours complexe, parce qu'on est quand même en rapport avec le réel : les personnes que vous faites réagir peuvent ne pas être disponibles au moment où vous tournez le film, parfois certaines personnes qui devaient être absolument passionnantes s'avèrent ne pas l'être... Vous écrivez donc une hypothèse de documentaire, c'est un travail qui est un peu fastidieux. J'adore écrire par ailleurs mais je ne prends pas un grand plaisir à écrire ce genre de choses, puisque je sais qu'elles seront en grande partie non respectées, mais c'est le jeu des commissions tout le monde est conscient de ça, mais il faut rassurer les gens qui nous financent. J'ai donc écrit, après, ce sont des allers-retours avec mon producteur, Rémy. On réécrit, on peaufine, et puis voilà. Il y a des notes de réalisation, des notes d'auteur... mais c'est moi qui ai fait toutes les recherches, qui ai écrit le film. Pour le coup, je pense que c'est le premier documentaire que je fais qui est aussi proche de ce que j'avais prévu au départ.
En remontant le fil de notre conversation, tout ce que vous avez dit, quand vous avez parlé de vous-même avant de votre parcours... quelque part on le ressent dans la sincérité de ce documentaire-là.
Tant mieux ça fait plaisir si c'est le cas.
La curiosité au monde, aux gens et le choix du sujet lui-même. Quand on a parlé du dérisoire et des héros du dérisoire, certes, Radiohead n'est pas du tout dans l'échec, ce sont des vedettes mondiales, mais il y a quand même une certaine approche du dérisoire dans leur manière de faire, de s'auto considérer comme étant finalement peu de choses parce qu'il y a des choses beaucoup plus importantes qu'eux...
Oui, ils ont un rapport aux autres qui pourrait être dans la même lignée de ce que j'admire chez d'autres. Une posture qui consiste à dire : oui, à cette époque, dans ce contexte, on a une majorité de gens qui considèrent que ce qu'on fait est important et a beaucoup de valeur... mais par ailleurs dans un autre temps on pourrait considérer qu'on est juste des petits musiciens de rue, il suffirait que la musique n'ait pas autant de place dans notre société culturelle pour que Radiohead n'ait pas existé. Ils sont très relativistes là-dessus, on pourrait certainement les entendre dire: "on est des stars, on a peut-être du talent - à vérifier! En tous cas on essaie de le prouver d'album en album et on se décarcasse pour que ce qu'on fait soit sincère et ait de la gueule"...
Avec beaucoup d'humilité.
Exactement. Et sincères, Greenwood, Yorke... ils ont tous une personnalité. Au départ, ce sont presque des loosers : ils se décrivent comme ça. Quand ils commencent à faire de la musique en Angleterre, près d'Oxford, leur groupe s'appelle "On a friday", c'est un petit groupe, parmi d'autres... Qu'est-ce qui fait que eux, ils ont autant intéressé tout de suite un label et qu'ils sont réussi à tenir le coup, je pense que là on peut dire qu'il y a vraiment du talent, mais au départ, ça n'était vraiment pas gagné et ils ont gardé ça. Ils n'ont pas du tout la grosse tête. Vraiment.
Le documentaire le montre admirablement bien, vraiment, et il montre admirablement leur souci du monde, leur attention au monde et la relativité des choses.
Merci. C'est une philosophie de vie dans laquelle je me retrouve et je pense qu'ils sont vraiment comme ça. Au fil du travail sur le film et des témoignages et des rencontres... je me rends bien compte que ça n'est pas une posture artificielle : ils sont vraiment comme ça. C'est à dire que ils ont conscience de l'importance qu'ils ont dans le monde de la musique, ils savent l'image qu'ils ont, mais bon ils ont toujours la curiosité de faire un pas de côté, de se dire : vraiment ? Vous êtes sûrs ? Toujours se questionner. Je pense que c'est les plus grands artistes qui sont capables de ça d'ailleurs. Ceux qui sont dans le questionnement et qui ne s'endorment pas sur leurs lauriers.
Le documentaire aborde une question fondamentale: celle des artistes et de l'engagement. Radiohead vous a aidé : le groupe lui-même traite brillamment le sujet dans sa carrière et dans ses œuvres... Vous parlez d'un "militantisme allégorique".
L'expression est de Michel Delville, je crois. Plutôt que de brandir des pancartes – même s'ils l'ont fait aussi, Thom Yorke a participé à des manifestations concrètes dans la rue, ce genre des choses -, disons qu'avec leur musique, leurs textes, ils sont dans l'allégorie. Des images, des métaphores... C'est plutôt poétique. Il n'y a pas de crudité dans le militantisme, mais c'est d'autant plus fort. Il y a une ironie très efficace qui plane toujours pour faire passer un message, sans avoir à être frontalement militant. Ils ont une espèce de détachement qui peut être d'ailleurs assez anglais, mais ils savent laisser entendre les choses... Si j'ai un regret d'ailleurs dans ce film, c'est de ne pas avoir pu parler de cette chanson qui s'appelle « Like Spinning Plates », une de mes chansons favorites qui parle clairement des politiciens qui ne bougent pas pendant que les gens du peuple se font trucider. Ça dit : « pendant que vous faites de grands discours, nous on est découpés en morceaux ». C'est une chanson que j'adore, dont j'ignorais avant de travailler sur le film qu'elle parlait de ça. Je l'adorais pour sa mélodie. Quand j'ai découvert les paroles, j'étais sidéré. Là, pour le coup, c'est presque une chanson militante, une protest song. Ce qu'ils ont un tout petit fait sur "Hail to the thief". Ca aurait été intéressant, mais je n'ai pas pu la placer dans le déroulement du montage. Cette chanson-là, typiquement, est assez limpide, même si elle reste poétique, il y a des tas d'images là-dedans. Oui, Radiohead parle de problématiques d'aujourd'hui, mais toujours d'une façon métaphorique et un peu étrange. Comme une réalité qui serait un peu tordue.
Donc le film est diffusé le 8 novembre, mais dès le 1er novembre on pourra le voir sur le site de Arte. Pour information, vous l'avez fini il y a combien de temps ? Combien de temps se passe entre le moment où le film est terminé et celui où il est diffusé en gros ?
C'est très variable. On l'a terminé en Avril ou Mars dernier, vraiment en PAD (Prêt A Diffuser). Entre la 1ère rencontre avec Rémy dont je vous parlais et la fin du film, il s'est passé plus de deux ans. Par contre entre le PAD et la diffusion, ça doit faire à peu près 6 mois.
C'est un de vos films les plus écrits ?
Je ne dirais pas ça. Je n'avais pas envie que le point de vue de l'auteur soit trop marqué, donc il fallait se faire petit face à ce grand groupe. Est-ce que c'est le plus écrit, je ne saurai pas vous dire, mais je n'ai pas eu l'impression de plus l'écrire que les autres. Mais il y a eu un gros gros boulot de montage qui a été assez rude, mais assez passionnant, parce qu'on avait beaucoup de matière. Ce qui était le plus cruel, mais c'est comme ça à chaque fois, c'est de faire des choix et d'espérer que ce soit les bons choix pour un spectateur qui découvre le film comme ça, d'une traite. 52mn. Sans voir tout le travail qu'il y a derrière, donc. C'est peut-être un de ceux qui se tienne le mieux de A à Z à la fois visuellement et narrativement, thématiquement. J'en étais assez content à ce niveau-là et la production aussi et Arte aussi, je crois.
Bravo.
Propos recueillis par #PG9
"Le Monde selon Radiohead" un film de Benjamin Clavel
Diffusion Vendredi 8 Novembre 22h45 sur Arte... ou dès le 1er Novembre sur le site de la chaîne, ici
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