La première diffusion de “Je ne veux pas être paysan” a eu lieu tard sur France 3 Lundi 2 Juillet 2018. 300.000 personnes ont regardé le film en direct. Un record pour l’Heure D (comme “Documentaire”). Dès le lendemain des dizaines de messages de remerciements affluaient à France Télévision, à Vivement Lundi, la production ou directement à Tangui Le Cras, le réalisateur. Il faut dire que ce film n’est pas né par hasard. Le cinéma arrive parfois par nécessité, dans une urgence...
“Je ne veux pas être paysan” sera rediffusé Lundi 25/02/2019 à 23h55 sur France 3 à l’occasion du Salon de l’Agriculture 2019
Bonjour Tangui ! Bravo pour ce très beau documentaire qui raconte une histoire de famille et de transmission en milieu rural: “Je ne veux pas être paysan”... entre parenthèse, si j'ai bien compris, tu ne veux pas être réalisateur non plus?
Bonjour Philippe. A la base, ça n'est pas un objectif de vie et je ne suis pas formé à ça. C'est vraiment le besoin de raconter une histoire personnelle qui m'y a amené et le fait de vivre à Mélionnec en Centre Bretagne, où il y a un pôle du documentaire, m'a permis de comprendre que cette forme était le moyen, mais je n'ai pas de plan de carrière de réalisateur. Le projet a duré 4 ans et je me suis toujours dit que je ne ferai sans doute qu'un seul et unique film, celui de cette histoire. Maintenant, il s'avère que ça me titille un petit peu quand même. J'ai fait un parcours dans les concerts (régie de spectacle, management d'artistes...), parce que je suis passionné de musique, mais, parfois, quand on fait de sa passion un métier, on y perd quelque plumes. On peut en arriver à se dégoûter de choses qu'on aime. Et moi, parfois, la musique, elle me sort par les trous de nez parce que j'en ai fait un boulot et parce que le milieu n'est pas simple... Quoiqu’il en soit, malgré toutes les difficultés, j'ai beaucoup aimé faire ce film. J'aimerais garder ça comme un plaisir. Et le risque de devenir réalisateur, c'est de devoir en vivre finalement, de devoir manger avec ça et, donc, de pouvoir éventuellement s'en dégoûter. J'aurais tendance à vouloir préserver ça. A le garder à l'endroit d'une danseuse, d'un plaisir profond, si je devais résumer la chose.
En fait, tu as besoin d'authenticité...
Oui. Et puis je m'ennuie vite, je cherche l'expérience aussi. Je voudrais bien faire d'autres films, mais après avoir fait celui-là, il faut trouver l'histoire avec une nécessité forte, profonde. Et je pense que “Je ne veux pas être paysan” fonctionne parce que oui, c'est authentique, qu'il y avait une nécessité énorme chez moi de le faire. Maintenant, si demain je devais en faire un nouveau, il faudrait retrouver ce même niveau de nécessité pour moi, cette même force, ce même besoin. Pour l'instant, je ne l'ai pas sur une autre histoire et je ne veux pas me forcer à aller trouver un histoire à raconter pour faire un film. Je veux retrouver naturellement ce besoin profond.
...qui, en l’occurrence, est parti d'une indignation sincère.
Ca part de ça, oui. De quelque chose de très précis. Un jour, il y a 6 ans, je passe voir les parents, comme je le fais de temps en temps, et je vois mon père traverser la cour avec sa béquille. C'est ce qu'on voit au début du film. J'en chiale de le voir comme ça, je suis indigné, je me dis “quel con ! jusqu'au bout !”. Alors que la situation financière s’améliore, que certaines choses peuvent aller mieux dans sa carrière, voilà le corps qui lâche. A ce moment-là, je ne me dis pas “pauvre homme”, je me dis plutôt “quel abruti, il va se faire mal, il va continuer encore longtemps comment comme ça, il va ramper pour aller travailler ?” Donc, ça part oui d'une indignation. Je voyais mon père se détruire quasi volontairement et je me disais jusqu'où va-t-il aller ? En vérité, il y a de la crainte d'enfant derrière et, au fond, de l'amour. Je ne m'en suis rendu compte qu’après coup, mais c'est un film d'amour. Un film d'amour à ses parents, à son père. C'est un film pour comprendre et se dire, passé un certain âge, en l'occurrence la 30 aine, est-ce qu'on a encore vraiment intérêt, au moment où nos parents vieillissent, d'être fâchés pour des bêtises au lieu de chercher à se comprendre ? Finalement, le film est une reconquête amoureuse. D'un milieu, d'un métier et de fait, d'une filiation. C'est certain.
Parfois, la démarche artistique part d'une urgence. Elle est un cri.
Oui. C'est un cri. Quand j'en parle, je suis encore ému. C'est un cri de douleur, d'incompréhension, dans un monde et à une époque où on se pose beaucoup de questions sur notre environnement, sur ce qu'on mange. Ca part d'une indignation: “mais quel con, vous aurez sa peau!”. Et puis, finalement ça rejoint une indignation plus grande, plus profonde: qu'est ce qu'on a fait de nos paysans? De notre monde rural... ? Il y a un truc qui sous tend ça aussi, c'est la représentation du milieu rural. Moi qui aime le cinéma, je bouffe de la série, du ciné, de plein de choses et finalement je m'identifie à une histoire d'amour à Paris, un thriller à New York, mais jamais, jamais, mon endroit de vie à moi ou celui où j'ai grandi n'est un théâtre narratif, ou que très rarement. Mon envie de cinéma, elle est venue de l'envie de trouver des représentations qui me conviennent, qui me collent à la peau. De représenter cet endroit, ce milieu: qu'est-ce que c'est que aimer, mourir et vivre en milieu rural, c'est pas différent d'ailleurs mais c'est un peu différent quand même, il y a peut-être un supplément d'âme, quelque chose. C'était de pouvoir utiliser ce rural comme cadre narratif.
Et puis, il y a cette histoire familiale où moi à un moment donné j'ai carrément rejeté la ferme. “Je ne veux pas être paysan”, c'est vraiment la phrase de mes 20 ans le jour où j'arrête mon bac agricole et où je change de voie. Je vois mes parents en chier et je dis: je ne veux pas être paysan, je ne veux pas de la même vie qu’eux, je ne veux pas de cette vie sacerdotale... de cette abnégation de cette vie de con, je me casse. C'est tout ce truc-là raconter le rural et puis essayer aussi de coller à mon histoire. Une espèce d'émancipation après l'heure. Je pensais que mon émancipation, c'était celle de ma vingtaine, quand j’ai fui ce milieu, en essayant de s'extraire d'une condition, mais non, finalement mon émancipation c'est aujourd'hui. Maintenant, je sais que je suis fils de paysan. Que je serai toujours paysan quelque part au fond de moi. Et c’est très bien.
Le film t'a permis de te comprendre toi-même, clairement.
Oui, complètement. Connaître ses origines. Pourtant je ne suis jamais parti loin, je suis toujours resté en lien avec mes parents, mais j’ai compris que ça n’est pas rien dans la construction d'un homme ou d'une femme d'avoir grandi sur une ferme, ça n'est pas anodin. Ca produit un rapport au monde particulier, un rapport à la nature, à ses congénères. J'avais envie de m'identifier à ça, de le comprendre et de l'assumer plutôt que de le rejeter. Quand tu es fils de paysan, quand tu vas à l'école, tu n'es jamais très fier de l'afficher. Tu dis à ton père de se garer loin avec la voiture de l'exploitation et sur les feuilles en 6ème quand on te demande profession des parents, tu mets “exploitant agricole”, tu essaies de gonfler un peu l'histoire. Je n'ai pas vraiment connu de fils de paysan qui s'en revendiquait, qui était fier de ça, sauf peut-être en lycée agricole. Mais dans les cursus classiques, je ne l'ai pas trop vu. Finalement, c'est ré-assumer ça, son identité, se connaître et puis avoir la prétention de penser que c'est une histoire qui concerne beaucoup de monde en fait.
Je m’en suis effectivement rendu compte avec la diffusion du film. A un moment où on se pose beaucoup de questions sur notre avenir nourricier et écologique, d'aller réveiller chez tout le monde ce souvenir-là. Ce dont je me suis rendu compte et dont je me doutais, c'est qu'à une ou deux, deux ou trois générations, on a tous un lien à la terre encore. On a un vieille oncle qui était paysan, on avait des grands parents, mêmes les parisiens. On a un lien à la terre qui n'est pas si éloigné, mais on est un peu la dernière génération là-dedans. Je trouvais intéressant de livrer ce témoignage de parler du monde rural à travers notre histoire à nous, notre histoire intime de famille pour réveiller ce souvenir terrien chez les gens. Et c'est un peu ce qui se passe. J'ai fait beaucoup de projections là et avec des débats extrêmement nourris à la fin des projections. Le film dure 52mn et c'est pas rare que je passe 1h, 1h30 en débat derrière le film. Ces souvenirs-là reviennent, comme une réminiscence quelque part. Ca réveille chez les gens quelque chose de très affectif, doux. Je pense que c'est le moment pour le faire. Je ne l’ai pas fait pour ça, mais c'est vraiment d'actualité. Il faut sauver nos campagnes.
Merci à Jean-François Lecorre de Vivement Lundi. Propos recueillis par #PG9
Film à (re) voir à l’occasion du “Salon de l’Agriculture” Lundi 25 Février 2019 à 23h55 sur France 3
Pour en savoir plus:
#Télérama “Je ne veux pas être paysan”, un film sensible d’un fils à son père https://www.telerama.fr/television/je-ne-veux-pas-etre-paysan,-un-film-sensible-dun-fils-a-son-pere,n5713417.php
#FilmsEnBretagne “Tangui Le Cras: de la colère à la reconquête amoureuse” https://filmsenbretagne.org/tangui-cras-de-colere-a-reconquete-amoureuse/
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