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[Avignon 2019] “Molly B., une heure dans la peau d'une femme” d’après James Joyce par Cécile Morel

Dernière mise à jour : 3 mai 2020


Cécile Morel dans "Molly B. une heure dans la vie d'une femme". Photo: Laurent Lafuma (c)

Quand on est porté par un texte, quand sa vie est marquée par une rencontre littéraire, il faut aller au bout de ses projets et mettre un enfant au monde. C’est ce que Cécile Morel a fait avec les mots de James Joyce qu’elle a découverts quand elle avait 20 ans. Mais c’était trop tôt. Il fallait qu’ils cheminent, mûrissent et prennent les couleurs de la vie. De sa vie de femme. Ce que vous allez lire ci-après est un vrai parcours intérieur qui aura son achèvement en 2019 au Festival d’Avignon. Après, c’est décidé, la comédienne - metteur en scène tournera la page pour partir à la découverte de nouveaux univers avec le sentiment d’avoir accompli son devoir de mère et le spectacle poursuivra sa route dans les mémoires pour faire naître le désir ailleurs. Bonne lecture, bon festival à toutes et à tous! Vive le théâtre


Cécile Morel dans "Molly B. une heure dans la vie d'une femme". Photo: Laurent Lafuma (c)

Bonjour Cécile ! Si j'ai bien compris, c'est la 3ème année que vous allez passer “Une heure dans la peau d'une femme” au Festival d'Avignon...


Bonjour Philippe. Voilà...


Quand ce spectacle a-t-il été créé?


Il a été créé en février 2017 à Paris et joué dans la foulée en 2017 au Festival d'Avignon, donc c'était presque une création au Théâtre de l'Adresse. Mais il y a un parcours avec texte qui date de plus longtemps que ça. J'avais interprété le personnage de Molly Bloom dans une mise en scène de Werner Büchler, c'était à Agde en 2012 . C'est un spectacle qui s'appelait “La vie enchantée de Molly Bloom”. Ce spectacle on l'a joué une dizaine de fois, ensuite j'ai réadapté le texte et j'ai fait une version qui s'appelait “Molly Bloom, l'expérience”, un spectacle que j'ai joué dans l'obscurité pendant 4 ans pratiquement. C'était une expérience sensorielle avec des parfums, des bruitages, des frôlements, des chants aussi. En 2017, j'ai décidé de retravailler pour faire une version cette fois où on me voit.


Avant de continuer, ce 1er Molly Bloom (en 2012), c'est vous qui l'avez provoqué ou on est venu vous chercher ?

En fait c'est une rencontre des deux. Je connaissais Werner Büchler, metteur en scène : il devait créer un spectacle en juillet et la Cie avec qui il devait travailler s'était désistée, du coup, c'est moi qui lui ai proposé un solo. J'avais envie de faire ce texte depuis longtemps, (on m'avait déjà proposé de le faire quand j'avais 20 ans) et ça tombait très bien parce que l'Ulysse de James Joyce était une des œuvres qu'il préférait depuis qu'il était jeune. En fait, c'est vraiment la rencontre des deux et le désir est parti de nous deux. C'est une belle coïncidence.


Mais vous, comme vous dites, ça faisait très longtemps que vous l'aviez en tête ?


Oui. Quand j'étais aux Beaux Arts de Saint-Etienne, je faisais aussi du théâtre, et un ami comédien m'a proposé de monter ce monologue de Molly Bloom. Je n'ai pas eu le courage, parce que je trouvais ça énorme et j'avais 20 ans alors que le personnage de ce livre n'est pas une jeune-fille, c'est une femme qui a de l'expérience. Mais le texte m'a beaucoup plu et j'ai appris la fin du monologue. Je la savais par coeur et je la plaçais dès que j'avais l'occasion. Par exemple, je chantais dans un groupe de bal à Montpellier, de temps en temps j'en glissais un passage. Ou, j'ai eu le rôle principal d'un long métrage qui s'appelle “Bios” et j'avais réussi à en placer un extrait aussi... Ca m'a suivi depuis longtemps.

Le fait que le texte vous habite depuis longtemps, est-ce que vous l'avez modelé, est-ce qu'il a pris une certaine forme avec le temps?


Oui. En fait, le texte en lui-même n’évolue pas vraiment. L'adaptation, par contre, évolue dans le temps, dans le sens où je veux le rendre le plus accessible possible. Le plus simple et le plus actuel, donc en changeant des mots pour que ça sonne d'aujourd'hui. Ce qui change avec le temps, c'est plutôt mon interprétation, la compréhension que j'ai du texte, quel rapport il a avec ma vie et ce que j'ai envie d'en faire. C'est surtout ça qui change. Il y a des passages que je ne voyais pas comme ça il y a 5 ans et qui prennent complètement d'autres couleurs aujourd'hui.


Vraiment, vous l'avez assimilé, vous l'habitez, vous l'avez fait vôtre...

Cécile Morel dans "Molly B. une heure dans la vie d'une femme". Photo: Laurent Lafuma (c)

Je me le suis approprié parce qu'il y a beaucoup de choses dans l'écriture et dans le personnage qui me parlent personnellement, j'ai trouvé des parallèles avec mon histoire. J'arrive à dire des choses personnelles avec ce texte et je pense que c'est ce qui parle aux gens.


C'est la première fois que ça vous arrive cette correspondance entre un texte et vous ?


Oui. Là, c'était assez évident. Et les gens qui me connaissent bien me le confirment.


C'est la 3ème année où vous l'emmenez à Avignon, il va avoir évolué sur ces 3 sessions ?


Oui. Il évolue à chaque fois. Déjà parce que je suis seule et parce que je fais la mise en scène, (donc je fais ce que je veux), je suis constamment en train d'évoluer, de chercher. Ce que j'essaie de faire évoluer, c'est le rapport au public. Il y a des choses dans l'adresse au public, le rythme, les lumières, qui changent chaque année... A chaque fois, j'essaie d'aller au plus proche de l'intention que j'avais au début qui était de dire le texte de manière très simple et de parler vraiment aux gens. Comme si je leur parlais là. Il évolue avec moi aussi en fonction de ce qui se passe dans ma vie.


C'est marrant parce que on parlait de notre entretien avec Pauline Dupuy pour “Contrebrassens” et ce que vous être en train de dire renvoie à un moment de cet entretien, quand on parle du numéro d'équilibriste qu'elle fait où elle cherche dans chaque représentation à être dans l'instant et dans l'échange avec le public. Le texte ne change pas, mais sa manière de le dire, son regard sur les gens peut éventuellement changer. C'est un peu la même chose ?


Oui. On peut dire ça comme ça.


Vous ne touchez pas au texte lui-même pendant la représentation ? Il reste le même ?


Le texte est le même depuis 3 ans à part des changements de traduction. Mais le rythme, la manière, les intentions... s’adaptent. Il y a des passages que je trouvais très tristes l'année dernière et que maintenant je trouve très joyeux. Ca varie aussi d'une représentation sur l'autre. Il y a un passage que je vais trouver très léger, très drôle un jour et le lendemain il sera plus dramatique... Et puis, il y a aussi des parties un peu improvisées. C'est un spectacle avec pas mal de chant, le personnage est une chanteuse, des chants sont évoqués et il y a des jeux rythmiques avec le texte et le souffle. Là, je peux improviser en fonction de ce qui se passe.


Quelle conclusion en tirez-vous d'une manière globale sur un texte et le théâtre ? C'est intéressant comme démarche.

Cécile Morel dans "Molly B. une heure dans la vie d'une femme". Photo: Laurent Lafuma (c)

En fait, j'ai l'impression que le texte, et ce texte là peut-être en particulier, est vraiment un matériau. James Joyce le regardait d'une manière très ironique et avec beaucoup d'humour. Il aurait dit qu'on pouvait lire ‘Ulysse’ “comme un chat qui fait les poubelles” ou “et en plus ils vont prendre ça au sérieux!”. Je crois qu'il y a beaucoup d'auto-dérision chez Joyce. Selon la personne qui le lit, selon le moment, on peut le percevoir et le comprendre de plein de manières différentes. Ce texte-là est un matériau vivant qui évolue constamment, même si ce sont les mêmes mots, il racontera toujours quelque chose de différent. J'ai cette impression de plus en plus.


Ce que vous dites nous rapproche de ce que vous avez dit tout à l'heure: l'expérience que vous avez tentée dans le noir...


Oui. Là, c'était encore plus flagrant parce que les spectateurs ne me voyaient pas: chacun se faisait son film. A la fin des représentations, quelqu’un venait me parler en étant persuadé d'avoir compris d’une manière et la personne à côté avait compris l'inverse... J'adore ça. En tous cas, ça éveille quelque chose chez chacun. Il y a même des gens qui se braquent.


C'est la 3ème et dernière fois que vous faites Avignon avec spectacle?


Oui. J'ai envie de passer à autre chose. Ca fait un moment que je suis seule sur scène, en plus j'ai fait la mise en scène... alors j'ai très envie de collaborer sur des projets qui n'émanent pas de moi, qu'on me demande de venir participer à un autre spectacle. Et je préfère arrêter avant de l'épuiser. Les deux années précédentes, c'était un vrai plaisir et je me dis qu'il vaut mieux arrêter avant que le plaisir s'estompe. Une dernière fois pour boucler la boucle.


Qu'attendez-vous de particulier de cette session ?

J'ai envie de faire aboutir la première intention que j’avais quand j'ai eu envie de faire ce spectacle. A chaque fois, je suis contente, ça plaît, les gens viennent, et j'ai l'impression de faire du bon travail, mais il y a toujours un petit truc où je me dis ça n'est pas encore ça. Là, je voudrais vraiment réussir à donner la version, l'interprétation dont j'ai eu l'intuition au début !


Vous avez préparé cette nouvelle session d'une manière particulière ?


Oui. Des amis me font des regards extérieurs régulièrement, mais là par exemple, ça fait 5 jours que je ne répète pas du tout. Je fais beaucoup d'autres choses qui n'ont absolument rien à voir. Je travaille “autour” du spectacle, dans la danse, dans la voix, pour ne pas être prisonnière de quelque chose qui serait devenu automatique.


Vous voulez retrouver la spontanéité du texte ?


Voilà. Que ce soit vivant. J'ai eu la chance de travailler 3 jours au Théâtre des Lila's la semaine dernière, et je vais garder une part d'improvisation. Je sais que j'ai une palette, j'ai plein de possibilités, et je vais me laisser libre dans l'instant de faire avec ce qu'il y a là. J'ai un peu peur...


Vous vous mettez en danger. Ca va donner encore plus d'énergie à chaque chose que vous allez faire. Elles seront portées par le sens et l’émotion du moment aussi. Quand le théâtre est vivant... Merci à vous et bon festival!


Propos recueillis par #PG9 - Toute reproduction, même partielle, interdite sans autorisation


Du 5 au 24 Juillet, 16h30: “MOLLY B, UNE HEURE DANS LA PEAU D'UNE FEMME” d’après James Joyce par Cécile Morel au Théâtre des Lila’s - 8 rue Londe, Avignon





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