Slameuse/ Slameur: Manouchka
Equipe de: Vernou
Pourquoi Slamez-vous?
Enquête auprès des slameurs sélectionnés pour la Coupe de la Ligue Slam de France 2019 www.ligueslamdefrance.fr
Bonjour Manouchka ! 1ère question : comment as-tu rencontré le slam ?
Bonjour Philippe. Je l'ai découvert via le théâtre. J'avais repris grâce à un prof du lycée et il y avait Suerte, qui anime la scène de Melun, dans la troupe. On est devenus assez potes à l'époque. Un jour chez moi, il a découvert des trucs que j'écrivais par ci par là, qui n'étaient absolument pas format slam, mais qui lui ont assez plu a priori. Il m'a dit: “il faut que tu viennes à Melun”. Quand j'y suis allée, c'était le jour de la qualif' du GSN (Grand Slam National), en 2014. 2 mois plus tard, j'étais au GSN. C'est comme ça... Un concours de circonstance! Parce que je n'étais absolument pas, ni préparée, ni qualifiable, mais il y a eu un désistement et au pied lever, Suerte m'a dit: “viens avec nous”. C'était très très drôle et j'en menais pas large. J'ai fait appel à mes potes de théâtre. Quasiment chaque soir, ils me faisaient répéter mes textes que je ne connaissais pas du tout : je venais juste de les écrire... Il fallait 6 textes de slam et je n'en avais pas! Je n'en avais qu'un seul écrit pour la scène, c'était la m... quoi, mais c'était rigolo, c'était bien!...
Démarrage sur des chapeaux de roue ! Ce que tu écrivais avant, c'était quoi?
Plutôt poésie, vraiment poésie. Des sonnets, des choses comme ça, depuis que j'étais ado. Je comptais les syllabes, il fallait que ça rime.. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à lâcher tout ça.
Est-ce que c'était aussi lié au théâtre ? Aux alexandrins ?
Non, puisque même avant de faire du théâtre j'écrivais comme ça. Je pense plutôt que c'est parce que ma mère m'avait fait lire pas mal de poésie.
Justement c'est la question que j'allais te poser: qu'est-ce qui t'a poussé à écrire ?
En fait, j'ai baigné dans le livre depuis toute petite. Ma mère était bouquiniste, j'ai passé mon enfance sur les marchés, j'étais la sale gosse du marché! Dès le déballage, souvent j'étais là, j'aidais à monter les tréteaux, je déballais les livres... J'avais 4 ans, après je filais chez le marchand de bonbons, je passais dire bonjour au boucher... Il y avait un bar, j’y traînais: j'étais la pro du flipper ! J'allais me servir en jus de tomate, après c'était le jus d'ananas, j'ai un souvenir très précis de ça, mon petit jus (de fruit) et tout. C'est marrant. On faisait aussi des salles de vente. Je lisais beaucoup de BD, pas encore de gros bouquins. Le premier gros bouquin, je l’ai lu avec ma mère, à deux, et c'était “les Misérables”.
Tu as commencé costaud !
Oui je pourrais presque lui en vouloir ! Quand elle m'engueulait, je la traitais de Thénardier... donc peut-être que c'est elle qui s'en voulait finalement.
Tu penses que ça t'a donné envie d'écrire?
Oui parce que je lisais tout le temps en fait. Je n'avais pas énormément d'amis, d'ailleurs je n'avais pas d'amis tout court parce qu'on a énormément déménagé et je changeais tout le temps d'école. Parfois deux fois par an. Ensuite on est allées au Etats-Unis donc le peu d'amis que j'avais pu me faire, parce qu'on était resté un peu plus d'un an au même endroit, forcément, ils ont pas traversé avec moi. Mais je le vivais bien je crois, j'ai pas de souvenir triste de ça, du tout! J'ai commencé à écrire sans doute parce que j'avais des choses à dire et que ça pouvait se dire par ce biais-là en fait.
C'est touchant ce que tu dis parce qu'au fond, avec tous ces déménagements, tu avais au final assez peu de personnes avec qui parler...
Oui, c'est clair. En plus, je suis fille unique. Et puis, je n'étais qu'avec ma mère, on s'est barrées toutes les deux... à Chicago ! J'habitais peut-être à 100 m de là où est né le slam, sans le connaître. Je l'ai appris longtemps après. Comme quoi, il n'y a pas de hasard, ou il y en a mais ils sont jolis.
Comment écris-tu? As-tu une technique particulière, un moment particulier ?
Si j'ai une technique, alors j'en ai beaucoup. Non, je ne crois vraiment pas en avoir, j'écris comme ça me vient. Ou peut-être si, ma technique, c'est l'empathie. C'est ce qui me ressemble le plus dans ma manière d'écrire. Je me mets vraiment à la place de l'autre, je n'écris quasiment jamais sur moi quand je slame. Evidemment, il y a de moi parce que c'est mon opinion que j'exprime, mais je parle de quelqu'un d'autre, à la 1ère personne. C'est parfois dur à comprendre pour les gens. Si je parle d'une prostituée, par exemple, ils viennent me voir pour savoir si ça n'a pas été trop dur. J'ai un texte sur un petit transsexuel parfois on me regarde pour voir si c'est moi ou pas... Des choses comme ça, mais oui, j'aime essayer de me mettre à la place de quelqu'un même si ça peut paraître illégitime au final, c'est ce que j'aime faire.
Ca peut se rapprocher d'une démarche de comédienne ?
C'est vrai. Sur scène, parfois, j'ai l'impression de me mettre vraiment dans la peau de... et je sais que ça peut énerver, parce qu'on peut se demander “qui es-tu toi pour parler à la place de?”. Mais je pense que plus on est nombreux à parler des sujets dont il faut parler mieux c'est. Si on en parle bien, naturellement, et j'espère bien en parler.
Ton slam est plutôt militant ?
Militant je ne sais pas. Je ne le revendique pas comme ça. Ça peut être juste une tranche de vie, un truc qui m'a donné envie de “dire”, drôle, touchant ou triste, mais pas pour lequel je “milite”. C'est trop fort comme mot.
On en revient aux Misérables ou pas ?
Haha, non, parce que je n'aime pas le larmoyant. J’essaie de ne pas tomber dans le pathos. J'essaie d'éviter à tout prix. Il y a un ou deux textes que j'ai écrits il y a longtemps mais que je ne fais plus parce que quand je les relis aujourd'hui, j'ai l'impression qu'ils vont faire chialer le public et je n'aime pas du tout ça. Les gens qui viennent au slam ne viennent pas pour qu'on leur dégueule dessus, c’est pas le but.. Il y a d'autres moyens de faire passer ces messages.. En tout cas pour moi.
Tu veux plutôt les emmener vers quelque chose de lumineux ?
Pas forcément, non. Un autre point de vue, quelque chose auquel ils n'auraient pas pensé. Parfois, c'est même dur. Je ne cherche pas forcément les fins où tout est beau tout est rose. S'il y a une histoire noire, je ne vais pas retoucher, porter une petite touche lumineuse à la fin pour dire que finalement, il y a un côté positif. Il n'y a pas forcément de côté positif. Parfois, c'est la vie, c'est comme ça.
Qu'aurais-tu à dire à quelqu'un qui veut découvrir le slam ?
De ne pas chercher à se conformer au style qu'il entend parce qu'il y en aura plus de 100, et qu’aucun ne sera le sien. On s’en fout.
Tu saisis l'instant ?
Carrément. Maintenant, je ne cherche plus à faire comme il faut faire, comme ça peut plaire aux gens: les gens attendent tous des choses tellement différentes que non, ça ne sert strictement à rien…
Un grand merci à la Ligue Slam de France, à toute l’équipe de Vernou, notamment bien sûr à Manouchka pour sa disponibilité... Propos recueillis par #PG9
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