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[Pourquoi Slamez-vous?] Coupe de la Ligue Slam 2019: Blanche Colombe, Nancy

Slameuse/ Slameur: Florent Kieffer aka Blanche Colombe

Equipe de: Nancy



Pourquoi Slamez-vous?

Enquête auprès des slameurs sélectionnés pour la Coupe de la Ligue Slam de France 2019 www.ligueslamdefrance.fr



Bonjour Florent. Comment va la vie à Nancy ?


Bonjour Philippe. Ecoute, ça va, il fait beau...


On va parler de toi, de la vie, du slam... Avec une première question: comment le slam et toi vous êtes-vous rencontrés ?

Floent Kieffer par Papyrazzi (c)

Tout simplement parce que je connaissais quelqu'un qui en faisait. J'ai longtemps attendu avant de me lancer. J'étais intéressé par la démarche, mais je pensais que ça n'était pour moi. Et puis, je me suis finalement décidé à aller à une soirée slam, d’abord en tant que spectateur, à Nancy. C'était en septembre dernier. Là j'ai eu un choc. Et la fois suivante je suis venu avec un texte. Voilà. J'ai commencé comme ça.


C'est beau dis-donc. Qu'est-ce qui te faisait penser que tu étais en décalage avec le slam à l'origine ?


Comme beaucoup de gens, je faisais un amalgame entre le slam et la culture hip hop, le slam et le rap. Ce n’est pas que je n'aime pas la culture hip hop ou le rap, c’est juste que je ne pensais pas correspondre au format. Je ne pensais pas être légitime pour m'exprimer dans cette forme-là. Or le slam c’est beaucoup plus large que la culture hip hop. Même s’il y a plein de slameurs qui viennent de cette culture, le slam ne se réduit pas à un genre. Il y a au slam une très grande diversité. Diversité d'âge, d'origines, d'univers. Diversité dans les textes et dans les mots. C’est un mode d’expression extrêmement ouvert et extrêmement humble dans ses moyens. Un texte, une voix, et c’est tout. Vient qui veut. Il n’y a pas de niveau, pas d’esthétique propre. C’est ce qui m’a plu : pouvoir rester sincère et fidèle à ce que je suis, au milieu de gens eux-mêmes sincères et fidèles à ce qu’ils sont. Je n’ai pas eu à m’intégrer en fait. J’ai trouvé ma place, tout simplement. Et cette chaleur, cette simplicité, m’ont touché.


Du coup les textes que tu écrivais avant ont pu avoir la place dedans ou est-ce que tu as écrit des textes exprès pour ?

J'ai écrit des textes exprès. Moi, d’habitude, j'écris des textes longs, des romans. Je ne suis pas familier de l'écriture courte. Ça m'arrive d'écrire des poèmes, mais pas avec l’objectif de les porter devant des gens. Le slam est une excellente école d’écriture parce qu’il oblige à prendre le public en compte. Il faut le toucher, comme à l’escrime. Faire mouche. On ne peut pas s’enfermer dans son délire d’artiste ou dans ses facilités d’écrivain. Il faut chercher une certaine efficacité. Dans un roman aussi, mais ce n’est pas la même chose. C’est moins immédiat, moins sensible. Au slam on a le résultat en direct. Si on ne touche pas, on le sait tout de suite. J’aime cette prise de risque, qui crée une tension, mais une tension saine, sans enjeu. Ce n’est pas très grave de se planter, la soirée n’est pas foutue à cause de toi. Une fois, une slameuse m’a dit : “ce soir, il était beau ton texte, mais il ne m’a pas touchée”. Là j’ai commencé à comprendre quelque chose.


On va justement en arriver à l'écriture elle-même. Tu écris depuis toujours ou depuis longtemps...


J'ai publié mon premier roman en 2003, j'ai dû commencer à écrire sérieusement à partir de l'an 2000, j'avais 25 ans à l'époque.


Mais quand tu étais gamin, déjà tu écrivais, tu griffonnais des trucs ?


Oui. Quand j'étais gamin, j'écrivais. Surtout des poèmes. J'aimais beaucoup Rimbaud, Baudelaire, Verlaine. J’aimais la figure des poètes maudits, leur posture, leur spleen, leur révolte, ça me parlait à l’époque : l’adolescence, le lycée... Comme eux j'écrivais des poèmes de forme classique, très précieux, très décadents.


Ta proximité aux mots, as-tu une idée de où elle vient ? Le fait de choisir de t'exprimer par l'écrit ?

Je pense que ça te vient déjà par tes parents. Par le rapport qu’ils ont avec le langage. Je suis dans une famille où on joue pas mal avec les mots. Déjà mes parents viennent de deux régions à forte identité linguistique, la Corse et l’Alsace. Ils portent des accents, des musiques, des cultures différentes... voire opposées ! Ça crée tout de suite une tension, et donc une curiosité pour la langue. Après, ma mère était fille de militaire. Elle m’a transmis une partie de l’argot militaire, cette langue fruste, concrète, virile, avec des mots merveilleux comme baise-en-ville ou bite chauffante. C'est d’elle que je tiens cet appétit pour les mots crus et culs, qui me plaisaient beaucoup quand j'étais gamin, et qui me fascinent encore aujourd’hui. Il y a chez moi une jubilation intacte à dire des gros mots dans un micro, dans un poème d’amour ou dans un livre qui va être imprimé. J’ai retrouvé ça également chez Gainsbourg, et plus tard chez Queneau : le goût du mot qui claque, l’envie de métisser la littérature avec la modernité de l’anglais, de l’argot, du sexe, des onomatopées...


En t'écoutant vraiment on a l'impression que tu traites le mot comme une pépite, comme un petit bijou. Que les mots sont des pépites et que, dans tes textes, tu essaies de les poser ensemble pour faire des bijoux...


C'est vrai que je travaille beaucoup mes textes. Je les travaille dans l'écriture comme dans le phrasé. C'est aussi une chose que le slam m'a apprise : la façon de dire conditionne la façon d’écrire. Il faut façonner le mot pour qu'il sonne, pour qu'il slame, pour qu'il tombe bien dans l'oreille. C’est une dimension qui m'intéresse. J’aime bien ton idée de la pépite, ce matériau brut qu'il faut travailler, ciseler, tailler, pour qu'il s'encastre parfaitement dans ce que tu es en train de dire.


Et donc de tous ces mots-là, en fait, avant de faire du slam, tu t'es pris au goût de raconter des histoires, on est d'accord.


Oui, c'est ça.


Est-ce que tes slams racontent aussi des histoires ou est-ce que ce sont plus des ambiances, des cartes postales... ?


Ca dépend. J'essaie plusieurs choses. Comme je suis encore débutant, je profite de cette fraîcheur pour changer à chaque fois. Enfin, j’essaie. Après, il y a des thématiques qui m'attirent plus que d'autres. J'aime bien faire rire, mais j'ai toujours un fond un peu désespéré. Il y a toujours un deuxième niveau, une sous-couche dans mes textes. Derrière le rire, un truc à penser ou à pleurer.


Et tu écris comment ? Chez toi, dans un café, dans les transports... dehors, dans la nature?

Il se trouve que depuis trois ans, je marche une heure tous les matins dans la nature, avant d'aller au boulot. Ça fait partie de ma routine. Et depuis que je slame, ce temps de marche est devenu un temps d’écriture. Quand je marche, mon sang circule, mon cerveau se met en marche, et des mots me viennent. Je les note en arrivant. Je reviens toujours avec 2 ou 3 phrases, comme si j’allais aux champignons. Et puis, quand tu marches, il y a un rythme, et je crois que c'est important pour caler la phrase d’être dans un rythme. C’est d’ailleurs ce qui manque le plus à mes textes, je trouve. J'aimerais creuser davantage leur dimension rythmique. J’envie les slameurs qui trouvent ce flow. Ce sont de véritables musiciens de la langue. Il y a une telle élégance dans la fluidité ! J’en suis encore loin…


Ta manière de parler de tout ça est super intéressante. Dernière question... Que dirais-tu, mais en fait tout ce que tu dis est super parlant, à quelqu'un qui, comme tu l'as fait toi, serait curieux d'aller découvrir le slam, que lui dirais-tu pour lui donner envie?


Je lui dirais juste : “Viens, je te garantis que tu vas passer une bonne soirée”. Le slam, ça n’est pas juste slamer. C’est d’abord écouter les autres. Aller à une soirée slam, c’est voir défiler au micro plein de gens différents qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pendant 3 minutes. Ce n’est pas comme un film ou un spectacle qu’il faut avaler du début à la fin. Ce n’est pas non plus une œuvre d’art, même si il y a de véritables artistes parmi les slameurs. C’est une suite de petits shot d'humanité qui provoquent tous des émotions différentes. On peut les admirer pour leur talent. On peut être touché par leur fragilité. Souvent, l’un ne va pas sans l’autre. Mais tous les slameurs sont à la même enseigne : ils viennent en tremblant se mettre à nu avec leur papier ou leur poème appris par cœur. Ils viennent avec leur différence, mais ils viennent avec cette passion commune : l’amour des mots, de notre langue. C’est la noblesse du slam. Fragilité, diversité, humanité : comment ne pas être touché ?


Un grand merci à la Ligue Slam de France, à toute l’équipe de Nancy, notamment bien sûr à Florent pour sa disponibilité... Propos recueillis par #PG9


Le chemin du matin (mais le soir!). Photo: Blanche Colombe

Note: on retrouve les romans de Florent Kieffer aux éditions “La Dragonne



Tous les portraits sont regroupés ici:



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