Slameuse/ Slameur: Michel
Equipe de: Nancy
Pourquoi Slamez-vous?
Enquête auprès des poètes sélectionné-e-s pour la Coupe de la Ligue Slam de France 2020
Comment as-tu rencontré le slam? Te souviens-tu de la première scène à laquelle tu as assisté, puis participé (et donc de ton premier texte)?
En 2012, Claude, un nouveau collègue de travail avec qui j’ai rapidement noué amitié m’a emmené voir le Kwaffe Slam de Nancy, au bar le Royal Royal. J’étais très impressionné par ce système de tirage au sort et par l’idée de se jeter dans la fosse aux lions. Claude m’a regardé: "J’aimerais que l’on fasse ça tous les deux !". J’ai répondu: "Ca va pas être possible…". Un mois plus tard, première scène. Notre duo "Slami Slamo" attend qu’il soit tiré au sort, planqué près de la porte d’entrée (plutôt conçue par moi comme la porte par laquelle fuir…) L’attente est une éternité. Je frise 25 fois l’infarctus. J’engrange les demis. Slamo jubile. Je suis bourré. Je vais mourir… Et là, on nous appelle. On débite "je slamme de rasoir le matin…", dans des jeux de réponses où les jeux de mots sont absurdes… Le public rit. Je suis toujours envie. Et c’est comme si j’avais fait ça depuis toujours. Notre duo a slammé durant deux ans. Claude a dû arrêter. J’ai poursuivi seul. Ça m’a pris du temps pour trouver ma voie… En fait, dés que j’écris un texte, le lendemain il me semble dépassé et j’ai envie d’explorer autre chose. Et ça m’éclate.
Comment écris-tu tes textes? Qu'est-ce qui t'inspire? Aimes tu te mettre dans des conditions particulières pour écrire?
J’ai plusieurs portes d’entrée dans l’écriture. Une phrase me vient en tête. Elle sonne. Je déroule le fil et une histoire s’ébauche en écrivant. Ou alors, j’ai lu un roman dont le style, la structure me donnent envie d’explorer une nouvelle manière d’écrire. Mais depuis quelques années, je pars d’émotions (l’amour, la joie, la colère noire, la déprime la plus crasse ou le dégoût…), d’états psychologiques que j’explore (et je les pousse le plus loin possible). Il me faut donc de la tripe pour démarrer (et des fois je me fous la trouille tellement c’est noir ou violent – moi qui considérais que l’écriture comme thérapie était une idée de chochotte, ça m’a permis de gagner en profondeur !). Et j’explore des sujets qui me touchent. J’écoute du jazz/funk ou du rap, en tout cas quelque chose qui induit chez moi une humeur, un kif, une énergie particulière. Et j’en profite pour mêler la forme et le fond, le style et la tripe. Cela dit, le moteur le plus puissant a été ma rencontre avec L. pour laquelle j’ai écrit une centaine de textes… parfois deux par jour. Maintenant qu’on est ensemble, je suis tombé à un tous les deux jours… Je vais essayer de publier...
Si tu as d'autres activités artistiques, le Slam a-t-il une place particulière dans ton processus créatif ?
En fait, je n’ai pas d’autres activités créatives sur le plan artistique. Par contre, j’ai un métier qui me permet d’étudier moult théories et pratiques (je suis psychologue), j’aime les sciences et on ne se rend pas compte du potentiel créatif des scientifiques… Je vais un peu taper partout! Tout cela m’excite et me pousse à imaginer des trucs tout en m’inspirant de choses vécues ou vues… De même que cela m’invite à plonger dans des situations incongrues et hors de ma zone de confort… Je pratique diverses formes de méditation et je m’en sers pour pousser les murs de mon imagination. Cela nourrit mes textes… et le slam permet de leur donner corps (et quand je dis « corps », pour moi, ce n’est pas anodin, ça veut dire l’exprimer avec son corps, sur une scène, avec un texte qui doit vibrer en soi et dans l’air…). Pour le coup, le slam est vraiment une expérience totale (le corps, l’esprit, les mots, les histoires et les autres).
Comment est la scène slam autour de chez toi ? La fréquentes-tu assidûment chez toi et aussi ailleurs ?
A Nancy, je vais systématiquement, tous les mois, au Kwafe Slam, C’est la famille. Même si je pose un texte de merde parce que pas en forme… ça n’est pas grave ! On y retrouve ses frères et ses sœurs et on y vient comme on est. D’autres belles scènes se sont ouvertes à Nancy, j’y vais et j’aime beaucoup les personnes que j’y rencontre. Sinon je bouge un peu ailleurs. J’aime beaucoup cela. Enfin, je m’offre le luxe de faire des soirées Mickymix où j’arrive à monter 90 mn de slams durant lesquelles je m’amuse comme un fou… Mon pote Théo me donne le thème (élucubration lancée après X bières…), comme un challenge… il me fait l’affiche… et je construis un truc autour de cela.
Que dirais-tu à quelqu'un qui cherche à découvrir la discipline?
A la personne qui voudrait découvrir le slam, je dirais qu’il n’y a pas de slam, mais des slams… Une liberté totale, le plaisir d’être en prise directe avec ceux qui disent ou ceux qui écoutent. Je dirais surtout de bien distinguer les différents moments du slam : l’écriture, la répétition (la mise en bouche et en voix) et le passage devant le public… Et de prendre plaisir à chaque phase. De ne pas écrire pour plaire. D’écrire ce qui nous touche, ce qu’on a envie de dire… Il vaut mieux toucher une personne sur 10 avec un texte authentique que de chercher à épater. C’est un peu comme les rencontres amoureuses, le slam : il faut y aller comme on est, sinon ça matche sur du superficiel et on n'en retire pas grand-chose… Enfin, ne pas hésiter à expérimenter, quitte à se vautrer… C’est jouissif !
Quelle est pour toi la place de la poésie dans la société ?
Moi qui ai une appétence pour les textes, pour les sciences et pour les expériences de vie, je pense que la poésie est à la fois un langage et un mode d’exploration très singulier. Elle permet de créer de nouvelles connections entre des événements. Elle permet de placer sa subjectivité, la manière dont on construit un point de vue singulier, incarné, avec ses tripes, sur le monde. La poésie permet donc une évocation sensible et personnelle qui parle aux autres sur un mode imagé et intuitif. Elle remet de l’émotion dans des sociétés qui se désincarnent. Mais surtout, elle rappelle que le "sensible" est partout. Et que sans sensible (amour, douleur, joie…), nous n’aurions que des vies de merde qui s’écouleraient dans des lits d’ennui ponctués de bilans comptables…
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