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[Plonger dans l'âme de...] Madame Adèle. Ping Pong

Le Grand Slam National vient de se terminer et il a révélé au monde des poètesses et des poètes une slameuse qui prend son envol avec force, détermination et une pointe d'humour: Madame Adèle. La gagnante du GSN 2020 "Slam National des Héros" nous explique dans l'entretien qui suit pourquoi, comment elle en est venue au slam... et elle parle de la place des mots dans notre société. Bref, vous allez vous régaler. Ce portrait en annonce de nombreux autres que vous pourrez découvrir tout au long du mois de Juin! Place à la Poésie et aux découvertes... Bonne lecture


PS: nous avons demandé à Lucie Joy (arrivée 2ème à ce grand tournoi virtuel) une petite dédicace à la lauréate...


"Les poète.sse.s de France ont bien de la chance d’être représenté.e.s par Madame Adèle en 2021 ! T’as la classe, ta poésie et ton audace nous font du bien, merci et le meilleur pour toi !" Lucie Joy

Madame Adèle (C)

Enchanté Adèle et bravo pour le Grand Slam National (GSN)!


Enchantée Philippe... Merci beaucoup.


On va revenir sur ce qu'il vient de se passer, mais on va commencer par le début: ce qui fait que les mots en toi sont devenus importants... Sais-tu d'où ça vient?


Vaste programme. Je ne sais pas s’il y a un début ! J’écris depuis que je sais tenir un stylo… même si on me dit souvent que je tiens très mal mes stylos. En rangeant chez mes parents, j’ai retrouvé des poèmes que j’avais écrits à cinq ou six ans, avec des lettres mal formées, des fautes d’orthographes rigolotes et qui relèvent plus du dessin d’enfant que du poème. Ado, écrire ça a pu être une manière cathartique d’évacuer des choses, mes angoisses, mes doutes, mes colères… Et puis c’est devenu une arme, pour revendiquer, dénoncer ce qui me choque, ce qui m’indigne ou partager ce qui m’émeut. Il n’y a pas de début clair, tout comme il n’y a pas une seule manière ni une seule raison d’écrire, ça serait trop facile.


Les mots ont toutes les raisons du monde d'exister ?


Oui, c’est ça ! J’ai souvent l’impression de naviguer entre plusieurs envies de dire, une intime, personnelle, et une plus politique, militante. Je ne sais pas si t’as écouté mon texte "Nouvelles règles", que j’avais fait en demi-finale lors du GSN. Ce texte parle, d’une part, d’un sujet qui me touche étroitement et qui est encore trop tabou, les règles douloureuses, un sujet qui sort des tripes, littéralement – d’ailleurs j’ai passé tout le GSN pliée en deux de douleur entre les rounds ou shootée aux médocs ! Drôle de coïncidence ! – et d’autre part, c’est un texte qui parle des violences policières, d’Adama Traoré, de Steve, et donc de sujets plus politiques, plus extérieurs à moi et qui me révoltent. Quand j’écris je combine les deux. Et les menstruations deviennent "Benalla dans l’estomac".


Là on parle écriture, mais à quel moment as-tu eu envie de dire tes mots ? A quel moment c'est devenu du slam ?

Madame Adèle (C)

J’ai toujours écrit de la prose, des nouvelles, de la poésie, des bouts de roman qui gisent au fond d’un tiroir poussiéreux ! Et des courts-métrages ou des épisodes de série car je suis scénariste à côté ! Mais pas de slam. Je ne connaissais pas cet univers. J’écrivais des textes voués à être lus, pas entendus… mais en même temps je lisais et travaillais mes textes à voix-haute. J’ai transformé mon deux-pièces en gueuloir de Flaubert, pardon les voisins, pour travailler les sonorités, le rythme, la ponctuation, etc. Puis j’ai fait deux trois scènes slam à Troyes avec l’asso La Déclam’. Un soir, on s’est retrouvés à trois générations sur scène: mon grand-père, mon père et moi ! Le MC s’est moqué gentiment de nous en demandant si on était venu en minibus ! Et en décembre dernier, je suis tombée sur une petite annonce dans le journal local d’Ivry, qui parlait d’une scène slam à dix minutes à pied de chez moi. J’y ai été, toute tremblante, complètement flippée, avec la peur au ventre, celle qui te donne envie de vomir et de prendre tes jambes à ton cou ! Et puis j’ai été super bien accueillie au BNB par Gauthier et Bubu du Sporting Club de Poésie. Ils m’ont proposé de passer sur scène… J’ai accepté malgré ma peur et j’ai gagné la scène ! Depuis, je participe à toutes les scènes qu’ils organisent à Paris et Ivry. De fil en aiguille, j’ai rencontré d’autres slameurs et slameuses qui m’ont conseillé des autres soirées slam aussi. Par exemple, le lundi je vais au Babel Café. Mais pour répondre plus simplement à ta question, je slame depuis décembre 2019.


C'est tout récent en fait...


Oui ! Mais ça voulait sortir depuis longtemps !


On va revenir sur le passé... D'abord, pour toi, le mot sert à plein de choses et il existe à la fois pour être lu et dit ? Ca va ensemble ?


J'aime bien jouer avec les sonorités, le rythme, la ponctuation aussi, les retours à la ligne, les coupures parfois entre deux syllabes, les pauses… peut-être parce que je suis vaguement musicienne à côté! Enfin, musicienne amatrice… J’ai fait dix ans de piano, un peu de guitare, d’alto, de charango et je chantais dans une autre vie !


Madame Adèle en 2016. Photo: Ray Tessier (C)

Tu as dit aussi, qu'à un moment, vous vous êtes retrouvés tous les trois sur scène, toi, ton père et ton grand-père. Ca veut dire qu'eux aussi écrivent en fait ?


Mon grand-père écrit des poèmes oui. On n’a pas du tout le même style, mais on s’admire beaucoup l’un l’autre ! Lui il va écrire en alexandrins, en octosyllabes, sous une forme plus classique, avec des rimes riches et plein de mots soutenus, rares, parfois un peu vieillots, mais toujours justes et forts ! Mon père est musicien, il fait de la chanson électro et quand il vient en scène slam, il fait ses chansons a capella. On a trois manières de slamer différentes mais on est solidaires les uns des autres.


Super...


Oui, c'était assez rigolo !


Tu es donc déjà un peu baignée dedans... Depuis toujours, tu écris, en gros. Mais les générations précédentes écrivaient aussi ?


Plus ou moins. Je viens d’une famille de musiciens. Ça écrivait des notes, ça jouait, ça improvisait et ça djamait à la maison jusqu’à pas d’heures quand j’étais petite…


Pendant combien de temps es-tu allée aux scènes slam de Troyes?


J'ai vécu à Troyes jusqu’à mes 18 ans et c'est venu après. C’était quand ça tombait par hasard à un moment où je rentrais à Troyes, c’était pas régulier. Je n’ai pas fait beaucoup de scènes, peut-être deux ou trois ces dix dernières années !


Donc, c'est vraiment venu récemment et plutôt à Paris du coup...

Comme je te disais, je suis scénariste… C’est venu en écrivant un court-métrage, que je vais aussi réaliser, dans lequel il y a des slameurs et des slameuses. J’ai commencé à écrire des slams provisoires pour les personnages en attendant de travailler avec un slameur ou une slameuse. Sauf qu’au fil du développement avec la prod, j’ai pris de plus en plus de plaisir à écrire ces slams. J’en ai écrit des dizaines, qui ne tenaient pas dans le court-métrage d’ailleurs et qui n’avaient plus rien à voir avec le film ! Je ne savais plus si c’était le personnage ou si c’était moi qui voulait slamer à tout prix… ! Quand on écrit, on se met toujours un peu dans la peau du personnage. Mais là ma protagoniste m’a collé à la peau et n’est jamais partie ! Elle m’a montré ce que je voulais faire: slamer. Merci à elle !


Et vous en êtes où de ce projet?


L'histoire se passe en Guyane. On devait partir là-bas au début du confinement pour faire des repérages de tournage, mais avec le coronavirus, le confinement, tout ça, c’est tombé à l'eau. La prod' a annulé les billets d'avion et on ne sait pas trop quand on pourra partir.


Quel est ton métier principal aujourd'hui ?


J’ai une double vie ! Le jour, je travaille sur des sujets de société dans une institution et la nuit je suis scénariste, rapeuse, slameuse !


Tu préfères vivre la nuit ou le jour ?


Les deux se complètent ! Les dossiers sur lesquels je travaille me permettent de payer mon loyer, mais aussi de m’informer et de mieux comprendre plein de sujets, par exemple sur les violences policières, les violences faites aux femmes et les réformes ultra-libérales de ces dernières années… Ca m’ouvre les yeux, je me dis ah il se passe ça, ça pourrait faire un bon sujet de slam. Je n’ai pas besoin de ce boulot pour m’indigner, mais ça me donne d’autres perspectives, ça me permet de voir plus large et de m’intéresser à des sujets que je connaissais pas.


Ca tombe très bien, parce que ce que je voulais te poser la question suivante: quel est le pouvoir des mots ? Ont-ils un pouvoir particulier ? Dont éventuellement à terme celui de changer des choses ?


Je ne sais pas si les mots ont un pouvoir, mais en tous cas, ils ont un rôle, une responsabilité. Quand tu dis quelque chose tu as une responsabilité. On parle de violences policières, de l’affaire Adama Traoré, de tout ce qui s'est dit suite à la déclaration de Camélia Jordana ces derniers jours. C'est pas anodin de dire : "oui, il y a des gens qui ont peur devant les flics". Et il faut le dire. Je pense que slamer, c'est avoir cette responsabilité de dire des choses, de faire passer des messages plus ou moins subtilement, même si on n'est pas là pour faire des leçons de morale !


Parce qu'effectivement, ton slam, quand il n'est pas personnel, est plutôt engagé... C'est un slam qui manie des idées, avec beaucoup de talent et d'humour, d'ailleurs, c'est pas un slam qui est là pour rien. Ton slam est militant: tu n'as pas peur de gueuler...

C'est un slam à mon image... Je n’ai pas peur d’aller en manif, je me suis faite gazer plusieurs fois ces dernières années… et mes mots portent ça. Dans le clip de "Confiné·es", les images de fin, par exemple, c'est moi qui les ai filmées lors d’une manif aux côtés des soignants l’an dernier. Quand je dis dans le texte, "on a rien fait pendant 20 ans mais on applaudit à 20h", je sais de quoi je parle. J’ai manifesté dans la rue à leurs côtés quand ils voulaient plus de moyens humains et matériels et qu’ils se faisaient gazer par la police… avant qu’on leur donne des médailles et qu’on les traite de héros et héroïnes en blouse blanche, sans toutefois leur donner plus de moyens ! Depuis, j’ai pris un peu mes distances avec les lacrymos.


Tu t'es protégée... On va en arriver au GSN. C'était le 1er auquel tu participais par la force des choses?


Oui.


Tu t'es mise au slam en décembre dernier, mais avant tu suivais quand même ?


Absolument pas. Je suivais vaguement ce que faisait la Déclam' et les Cadavreski à Troyes.


Oui, j'adore ce qu'ils font ! (pour en savoir plus, lisez donc ceci)


Il sont géniaux. Je les ai vus en concert plusieurs fois... Mais niveau slam, c'est tout. Je ne savais même pas ce qu'était le GSN, je débarque !


Il était très particulier cette année, parce que tout s'est fait en mode confiné... Comment tu l'as vécu ?

C'était assez rigolo. Avant le confinement, je faisais des scènes slam dans des bars... Quand le confinement a commencé, j'ai vu qu'il y avait des scènes virtuelles, notamment au Babel, mais ça ne me disait pas trop de participer, l’écran me rebutait un peu. Quand je slame, c’est pour partager avec des gens, croiser des regards, vivre un moment avec d’autres. En plus, il y a toute la question de l’image. Sur scène tu ne te vois pas. Sur ton écran, tu prends toute la place et ça peut être très perturbant quand tu n’aimes pas ton image. Je m'étais donc dit: j’attendrai la fin du confinement pour refaire du slam. Et Gauthier du Sporting Club de Poésie m'a appelée pour me parler du GSN et me proposer de représenter le Sporting Club de Poésie. Il a insisté un peu et il a bien fait ! J’étais sceptique au début, mais j'ai fait des réunions avec l'équipe, j’ai reconnu quelques slameurs et slameuses que j’avais déjà croisés à Paris… donc je me suis dit qu’au pire, même si je me foirais complètement, je passerais un bon moment à les écouter.


Les textes que tu as passés existaient déjà avant ou tu les as écris exprès pour ?


Les deux: je les ai écrits avant de savoir que le GSN existait, mais je les ai réécris légèrement, ou parfois presque intégralement à l'occasion. D'une manière générale, j'aime bien retravailler mes textes. Écrire c'est réécrire. Tu fais un texte, tu laisses reposer et puis deux mois après, tu t'y replonges et tu te dis : ah tiens, là ça sonne mieux comme ça. Là, je pourrais virer telle phrase qui est de trop et laisser un silence ici ou rajouter tel autre truc... C’est un long processus et c’est rapide en même temps. Je fais beaucoup de petits textes sur l’actualité, des vidéos de trente secondes, une minute, que je poste sur les réseaux. Souvent, je fais ça en une demi-journée, j’écris, j’enregistre, je poste. C’est de l’instantané. A côté de ça, les textes plus longs, je les écris, je les réécris, je les peaufine au fil des scènes, au fil des réactions des gens quand je les performe, et selon ma propre évolution aussi. Par exemple, le texte qui m’a fait gagner le GSN, "Vulves", je l’ai commencé sur un coin de table au BNB à Ivry en décembre dernier. Comme je te racontais, c’était ma première scène en région parisienne, j’étais venue avec un seul texte. J’avais fait un carton au premier round… puis à la pause, Gauthier vient me voir en me demandant si je faisais bien un deuxième texte au 2ème round, comme tout le monde. Là je me décompose en mode "ah merde, on fait deux textes !?"... Et au lieu de décliner, j’ai profité de la pause clope pour griffonner un début de texte qui est ensuite devenu "Vulves". Ca n’était qu’un brouillon à l’époque, mais ça a fait rire tout le monde et ça a super bien marché ! Alors je l’ai réécrit, jusqu’à ce qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui.


Le mot est une matière que tu malaxes ?

Madame Adèle et son musicien, François

Oui, les textes, ça se retravaille, en fonction de toi et en fonction de leur réception aussi. Parfois, le public adore une phrase que tu comptais faire sauter, donc tu la gardes ! Et parfois tu te rend compte qu’il y a des longueurs, des redondances, des mots qui sont de trop, et tu les supprimes. En ce moment, je travaille avec un musicien pour transformer mes slams en raps. Quand tu écoutes la prod et que tu essaies de poser ton texte dessus, tu vois tout de suite les choses qui marchent et celles qui ne fonctionnent pas. Souvent, il faut réécrire, alléger. Donc oui, les mots c’est une matière qui se modifie, qui se malaxe. C’est fluide tout ça. Les mots, c’est des Lego. Ça se construit de plein de façons différentes. Le seul truc qui ne change pas, c’est ce que tu veux dire, le fond, le message que tu portes.


Pour revenir à l'écriture elle-même, tu écris plutôt d'une manière posée, à table, ou dans les transports, dans les cafés, ou n'importe où, n'importe quand, peu importe ? As-tu des habitudes et des techniques ?


Alors j'écris n'importe où, n'importe quand, n'importe comment... en pyjama, sur une banquette, dans mon lit en pleine nuit à la lampe torche, dans un coin de métro en essayant de ne pas trop raturer avec les secousses parce que sinon j’arrive pas à me relire… J’aime bien alterner le papier et l’ordinateur parce que je trouve qu'on n'a pas la même vision de ce qu'on écrit. J’aime passer de l'un à l'autre. J'écris sur papier, ensuite, je retranscris sur l'ordi, sauf qu'en retranscrivant, je modifie la moitié des choses. Ensuite, sur l'ordi, je réfléchis avec le texte devant moi etc. Ensuite, je réimprime. Et je recorrige derrière, je re-modifie. Je joue au ping-pong avec les mots et les supports.


C'est super intéressant. On va conclure... Bravo encore pour le Grand Slam National de cette année. Comment vois-tu l'avenir des choses par rapport au slam pour toi ?

Je ne pense pas que le GSN change grand-chose pour moi, même si c’était une super aventure. Je vais continuer à écrire et à me perfectionner, parce que tu vois, j'ai peut-être gagné ce Grand Slam, mais il y a des tas de textes qui m'ont émue, je pense aux volcans de Lucie Joy (arrivée 2nde - NDLR), je pense au Lulu de Marnie, où je me suis dit, Woww c'est incroyable. Et franchement, je pense que j'ai encore beaucoup, beaucoup à apprendre. Donc je vais continuer à slamer et à écouter les autres slamer. Hier soir, j'étais à la scène aérienne du Babel par exemple, y’avait des super textes. Et puis, en terme de projets, je vais davantage travailler sur des raps. Là, après "Confiné.es", on bosse sur une deuxième instru. Et puis on en a potentiellement une 3ème, une 4ème en route...


Il faut dire des choses par le slam, le rap ou peu importe, il faut dire. Il faut utiliser les mots !


Les utiliser, les réutiliser, les revendiquer, les faire chanter, les faire danser… oui !


Merci!


Propos recueillis par #PG9





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(une magnifique nouvelle série est en préparation!)




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