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[Théâtre] Le Collectif Marthe, “le Monde renversé” et l’âge des sorcières

Dernière mise à jour : 19 avr. 2020

La création théâtrale contemporaine est un vrai enjeu. Pour renouveler le répertoire, il faut des artistes qui osent affronter la création dans son absolu: partir de “rien” pour arriver, peut-être à “quelque chose” de libre et neuf. C’est ce qu’ont tenté quatre jeunes comédiennes fraîchement sorties de l’ École de la Comédie de Saint-Étienne, à l’origine du Collectif Marthe, bientôt rejointes par un auteur - dramaturge, sorti lui de l’ENSATT Lyon, puis encore par d’autres, pour les costumes, la construction, les effets spéciaux, les lumières, “l’oeil extérieur”... et ainsi de suite. Comme par magie, leur premier spectacle, “Le Monde renversé” a été un coup de maître. Comment ce groupe plein d’envies, mais surtout de talent, a-t-il eu accès à l’élixir de la création? Quel est son secret? Les sorcières, Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui, qui en sont à l’origine, nous expliquent tout! Bonne lecture


Bonjour ! Comment va le Collectif Marthe ?


Bonjour Philippe... Le collectif Marthe va très bien. La saison a commencé au festival des libertés du Théâtre National Wallonie-Bruxelles et se poursuit avec une tournée en France en novembre.


Vous êtes apparues comme une étincelle dans le monde du spectacle vivant, ce que vous avez fait est hallucinant. Combien de temps avez-vous mis pour travailler sur le projet “Le Monde renversé” ?


On s'est réunies, on venait de finir notre école à la Comédie de Saint-Etienne, on avait envie de faire un spectacle... La figure de la sorcière est apparue, on a commencé à faire des lectures autour de cette figure-là. Ca a duré environ un an et demi. Des personnes nous ont progressivement rejointes. Un dramaturge nous a secondées, Guillaume Cayet, le spectacle s’est donc écrit à 5. Après, tout s'est précipité quand on a été programmées au Théâtre de l'Usine à Genève. On a demandé à Maurin Olles d’être un œil extérieur pour nous aider à préparer les 3 dates de prévues.


Vous étiez tous de la Comédie de Saint-Etienne ?


Guillaume vient de l'ENSATT, Maurin et nous 4, de la Comédie de Saint-Etienne. Les deux établissements sont assez proches, on se connaissait toutes et tous en amont. Clémentine Pradier a fait la création lumière, Cécile et Célia Kretschmar, les nez en silicone et les silhouettes, Alexis Forestier, la construction. Après un an et demi à deux ans de recherche et d’écriture, on était bien entourées au final...


Cette recherche explique la profondeur du propos... Vous avez donc créé la pièce à Genève et l'avez reprise dans la foulée au Théâtre de la Cite Universitaire Internationale à Paris ?


On devait jouer 3 fois à Genève. Mais, en parallèle, on a gagné le concours “Cluster”, de “Prémisses Production”, une structure qui fonctionne comme une production déléguée: elle accompagne les jeunes compagnies, les aide à trouver des dates et des fonds pour leurs projets. Ca nous a conduit à reprendre “Le Monde renversé” au Théâtre de la Cite Internationale et à avoir une tournée incroyable! Parce que c'est un métier de s'occuper de diffusion et Prémisses le fait très bien.


Vous avez réussi à fédérer autour de vous plein d'énergies positives.


Oui. C'est sans doute dû au regain du féminisme et à l’importance de la sorcière dans son histoire. Dans les 70's, les féministes américaines ont repris cette figure en disant: “The Witch’ (la sorcière), historiquement diabolisée, on veut en faire une force et qu’elle participe à l'empowerment des femmes”. Depuis quelques années, le féminisme est très présent et cela fait de nouveau émerger le personnage. Les Éditions Cambourakis ont créé une collection “Sorcière”, pas mal de bouquin sortent sur le thème...


Que raconte “le Monde renversé”?

C'est un spectacle écrit par nous 5 pour nous 4. Notre point de départ, c'est nous aujourd'hui, dans nos vies et corps quotidiens de femmes. Le livre, théorique, de Silvia Federici, “Caliban et la sorcière”, a guidé toute notre recherche pour la construction dramaturgique de la pièce. Silvia Federici est une historienne, féministe marxiste, qui retrace la grande chasse aux sorcières et la mise en place du système capitaliste dans lequel on est aujourd'hui. Son travail est très chronologique. Il fallait parvenir à créer des passerelles entre cet ouvrage théorique et nos vies de femmes aujourd'hui, entre la grande Histoire, politique, et la petite histoire intime, la nôtre. Le spectacle parle à la fois d'Histoire avec un grand H et de l'intime, du quotidien. On a crée un personnage, Marthe, qui traverse tous les âges. Elle naît vers 12oo et meurt avec la dernière sorcière brûlée. Elle nous permet de traverser les différentes articulations historiques, des enclosures, l’accumulation primitive... pour illustrer la mise en place un système d'extermination et d’exploitation. Marthe traverse donc le Moyen Age et une partie de la renaissance. Nos petites scènes contemporaines à nous viennent ponctuer cette grande trame historique.


En basculant du passé à aujourd'hui, vous vous projetez sur l'avenir?


On voudrait montrer les liens qui existent entre cette période-là, qui est quand même assez éloignée de la nôtre, et aujourd'hui. Pour essayer de comprendre les rapports de domination qui sont existants et la construction du patriarcat. On ne peut de toutes façons pas comprendre le présent sans étudier son passé. Il fallait donc revenir sur ce passé pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui.


Vous partez de la base. Des sources.

On remarque en lisant le livre de Federici que la naissance du système patriarcal part de très loin. Federici remonte dans son ouvrage" Caliban et la sorcière"au Moyen âge, des enclosures, du rapport à la propriété privée, pour parler de la paupérisation de la société qui va amener à la famine etc puis la grande chasse aux sorcières... Je fais des raccourcis! En fait, le travail de Silvia Federici est formidable. Elle dit : “pourquoi la chasse aux sorcières a existé ?”. C'était un système, elle reprend le principe d'accumulation primitive théorisée par Marx (principe ayant conduit à la naissance du système capitaliste de deux façons: par la réquisition des terres paysannes et par la colonisation du "Nouveau Monde"), pour le compléter. Marx aurait en effet oublié une constituante primordiale du principe d’accumulation primitive: la procréation des femmes et la dépossession de celles-ci de leurs savoirs (médicinale, abortifs…).


Toutes ces belles dates en novembre, c'est grâce à Prémisses ?


Quand on a passé le concours de Cluster, en septembre de l'année passée au Théâtre de la Cité Internationale, beaucoup de programmatrices et de programmateurs étaient là. Ils nous ont suivis, sont venus voir le travail et ont été intéressés. C’est bien que toutes ces personnes aient pu venir. Ca a permis ça.


J'étais épaté du nombre de retours qu'il y a eu sur le spectacle à ce moment-là!

C'est certainement dû aux sorcières, aux succès en librairie... Il y a vraiment eu tout un foisonnement autour de ça. Quand on a commencé notre travail de recherche sur le sujet, personne n'en parlait et c'est au moment où on l'a monté au Théâtre de l'Usine qu'on s'est dit mais en fait, ça commence à devenir super médiatique! Il faut faire attention de ne pas être un peu à la mode, il faut qu'on soit vigilantes au faite de rester un peu dérangeantes, à ce que tout le monde ne soit pas du même avis en sortant.


Vous aimez provoquer le débat?


C'est intéressant d’interpeller une salle. On n'est pas à la Messe pour que tout le monde soit d'accord! Il faut rester dérangeantes. Il y a une scène finale qui suscite énormément de réactions. C’est bien, ça créée des débats.


Vous ne voulez pas être dans un conformisme intellectuel ?


Pas trop.


Bravo. Sinon, quels sont vos projets? Le Monde renversé va vivre puisque ce n'est que le début. Comment voyez-vous les choses ?

On travaille sur un 2ème spectacle qu'on veut garder collectif avec exactement la même équipe, donc avec Guillaume à la dramaturgie, Cécile et Célia pour les silhouettes, Maurin qui restera un oeil extérieur. On garde toute cette équipe-là et le même principe d'écriture, c'est à dire à 5. Ensuite, on va s'entourer peut-être d'autres personnes pour penser l'espace. On veut continuer à développer notre petite méthodologie d'écriture où tout le monde apporte sa patte à l'édifice. Quant au sujet, rien n'est sûr. On a envie de travailler sur le rapport à la violence, mais on est en pleine réflexion.


Vous restez sur des thématiques liées aux femmes ?


Oui, en partie. On va rester là-dessus, mais on ne veut pas non plus être enfermées par ce sujet. Cela dit, c'est un sujet qui nous intéresse. On a eu des lectures plutôt féministes et engagées, on ne va pas pouvoir lâcher ça non plus. C'est un prisme de lecture qui restera certainement.


Qui pourra s'atténuer ou s'ouvrir à d'autres choses ?


Oui, c'est sûr qu'on pourra s'ouvrir à d'autres choses, mais une fois qu'on réfléchit avec ce prisme des questions liées au genre, c'est dur de pouvoir faire autrement.


Bravo. Un mot à dire sur la création artistique en général aujourd'hui ?

C'est très dur pour les jeunes compagnies de travailler dans la bienveillance, d'avoir des lieux qui nous accueillent chaleureusement, où le résultat n'est pas jugé tout de suite... Des lieux de recherche, d'accompagnement où le 1er spectacle n'est pas automatiquement jugé. La marchandisation de la culture existe. Il faut faire attention à ça, aussi. Certes, l'émergence est à la mode, trouver le talent de demain, découvrir la nouvelle personne qui va tourner partout... mais il faut faire attention parce que c'est oppressant pour les jeunes compagnies de ressentir ça, ça ne laisse pas beaucoup de marges de recherche, on est tout de suite dans le résultat.


Il faut un contrat sur la durée.


Oui, c'est plus intéressant pour une jeune compagnie d’avoir deux ans, trois ans dans un lieu, pour faire au moins deux projets, pas un seul sur lequel elle est jugée.


Et vous avez un lieu qui vous suit ?


On a beaucoup de chance. On est 3 ans au Théâtre de la Cité internationale, donc on a encore un autre projet épaulé par eux et par d'autres personnes qui se sont rajoutées. C'est vraiment un dispositif intéressant pour les jeunes compagnies.


Le Théâtre Antoine Vitez / Ivry fait ça très bien aussi... Nous allons d’ailleurs consacrer deux articles à des projets qu’ils soutiennent très bientôt!


Oui, il n’ y en a pas beaucoup, quelques uns en France. C'est vraiment essentiel.


Propos recueillis par #PG9







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