Après avoir vu "SURVIVANTS (Chronique d'un Hôpital de jour)", j'ai eu envie de mieux connaître la personne à l'origine du projet. Il se trouve que j'avais eu l'occasion de travailler sur le film "Son frère" de Patrice Chéreau et je retrouvais dans cette pièce de nombreuses sensations fortes et -profondément- humaines ressenties à l'Hôpital Beaujon de Clichy où nous avions tourné un mois entier. Par l'intermédiaire de l'équipe du Théâtre de la Rue de Belleville (Nantes), où "SURVIVANTS" se joue actuellement, j'ai pu échanger avec Laurent Mazé... Bonne lecture! - PS: rassurez-vous, vous allez beaucoup rire en voyant le spectacle...
Un service de suivi de greffe à l'hôpital de jour. 4 patients. 2 médecins. 6 destins, 6 parcours de vie qui se croisent dans cet espace-transit. SURVIVANTS est la chronique touchante, grinçante, émouvante, des relations entre staff médical et patients, des espoirs et des désillusions de chacun.e. Ils et elles sont tous survivants de leur passé, de leurs rêves, de leurs vies fantasmées.
Bonjour Laurent. Peut-on écrire sur la douleur si ce n'est pas le fruit d'une expérience personnelle ?
Bonjour Philippe. Effectivement, quand on pose la question on se dit immédiatement non. Ca paraît difficile d'écrire sur la douleur des autres. Je pense que c'est difficile à retranscrire. Je pense qu'on part de la sienne pour parler de la douleur des autres. Après, dans le répertoire, il y a eu des gens qui ont écrit pour la douleur des autres et qui l'ont très bien fait. Je pense que c'est d'abord une réponse personnelle, je crois que ça paraît compliqué, ça peut-être que c'est voisin un peu ça fait écho à l'appropriation. On parle souvent de l'appropriation culturelle déjà pour certaines choses et du coup est-ce qu'on peut s'approprier la douleur d'un autre et la raconter ? Je ne sais pas. Je n'en suis pas sûr. Effectivement, moi je suis parti de la mienne pour parler de la douleur de l'hôpital, des patients, des soignants, des internes... Je pense, oui.
Parce que "Survivants" est le fruit d'une observation de l'intérieur, personnelle, c'est un bout de ce que vous avez vécu vous-même ?
Oui, tout à fait. En fait, paradoxalement, avant la greffe, il y a eu la dialyse. La dialyse c'était autre chose, un autre rythme et tout, la dialyse paradoxalement, c'est plus safe psychologiquement. C'est à dire qu'on fait le traitement tous les 3 jours et qu'en gros on est en attente d'une greffe ou pas d'ailleurs parfois. La dialyse il y a moins de suspense. On ne cherche pas à repérer ce qui ne marche pas. Dans le spectacle, dans le monologue de Charlotte, à un moment elle dit : "pourquoi ce pessimisme des médecins, on dirait qu'ils attendent la mauvaise nouvelle !". C'était la sensation que j'avais. Evidemment, c'est pour voir si tout va bien mais potentiellement, une prise de sang, c'est des problèmes. Et puis il y a l'idée de greffe, l'idée qu'il faut que ça tienne... Du coup, je ne vais pas dire que c'est né d'une observation: je ne me suis pas mis tout de suite en mode observation dès les premiers jours. Le truc, tout de suite à l'hôpital de jour, c'est l'ennui. C'est vraiment très ennuyeux. En tous cas, je l'ai vécu comme ça. Ta vie est en suspens. Tu vas à l'hôpital tous les deux ou trois jours, ça dépend des résultats, des examens. Il n'y a pas seulement les prises de sang en néphrologie, il y a aussi, des échos, tu vas faire un petit tour en cardio pour voir le retentissement de la greffe, etc. Donc, l'Hôpital, tu le vois en long en large et en travers. Et il y a l'attente en fait. Là, tu découvres vraiment que l'hôpital est surchargé. Le 1er point d'entrée à l'Hôpital, c'est les Urgences. N'importe quel quidam qui va aux urgences voit bien que... On attend trop. Mais en néphrologie, c'est simple, je crois que les effectifs augmentent de 4% par an. En suivi d'insuffisance rénale et greffe, donc en gros, c'est fantastique, ça se développe, mais aussi ça surcharge en fait. Je me souviens, c'est un peu par promo, c'est pas l'ENA, mais presque! Moi, j'ai été greffé le 10/09/2014, tu as la promo de septembre 2014. On se suit, tu croises les mêmes personnes. Il y en a avec qui tu as plaisir à discuter, d'autres que tu ne veux plus entendre au bout de 8 jours. C'est ça aussi en tant qu'humain, tu te confrontes à de la cohabitation forcée autour d'une ancienne maladie, mais en vérité d'une maladie toujours, parce qu'on est en sursis. Une greffe on n'est pas obligés de la garder toute notre vie.
Du coup, tu as une galerie de personnages, d'un peu de partout, de toute la société, c'est ça qui est assez étonnant en fait. Dans ton milieu, dans l'entre-soi, il y a des gens que tu croises moins en fait. Et la maladie les réunit et en même temps chacun est dans son couloir. Et en gros, il y a une cohabitation, c'est drôle en fait, avec une remise de bulletins de notes de prises de sang, de moi ça va, lui ça va pas et donc, rapidement, au bout de 8-15 jours, on voit, on n'est pas parfaitement étanche, on voit pour qui ça ne va pas. On voit les gens qui tirent une gueule pendable quand ils sortent du 1er Rendez-Vous. Parce que souvent, il y avait un 1er RVS, je crois que les 1ers résultats tombaient à 10h, on était revus après pour adapter le traitement, il y avait les résultats et puis on était revus à entre 13h et 13h30 pour parce que les internes font des prescriptions, mais il y a des vérifications des prescriptions, je pense que je ne sais pas comment ça marche précisément mais les internes, c'est validé par les praticiens hospitaliers, les prescriptions qu'ils donnent. Donc, dans les 1ers jours, en fait les résultats c'est très variable. Il faut ajuster. Donc, quand tu as un patient non observant, comme celui joué par Joe Fuegoo, c'est le bordel en fait... C'est un casse tête. Donc l'observation est venue peu à peu. Même a posteriori. C'est quand je suis parti de l'hôpital de jour que je me suis dit : « tiens, ça pourrait être intéressant ». Parce que, nous les artistes, on veut tout raconter. C'est ça ! On a besoin d'expulser. Et puis au delà de l'affaire personnelle, c'est vraiment l'idée de dresser un tableau. De dresser un tableau de la société. Pas de la société française en entier, c'est pas... Mais, la femme qui habite loin qui a un fils, ça c'est romancé le fils, mais elle racontait cette femme-là que personne ne l'aidait à la maison, donc après je me suis documenté sur les jeunes, je crois qu'il y a une quantité de jeunes assez impressionnante en France, sans formation, qui squattent à la maison. Qui ne font plus rien. Charlotte, le personnage est le plus proche du mien. C'est quelqu'un qui socialement est d'une profession intellectuelle supérieure et qui refuse d'être traitée comme les autres. C'est "moi j'ai tout compris, je peux gérer". C'était ça un peu au début. C'est l'idée.
Justement... A partir de tout ça comment malaxez-vous les choses, la douleur, l'observation... comment et pourquoi décidez vous de le raconter et de le partager ?
Comment je fais ? Au début déjà on pense aux artistes, aux comédiens. C'est venu assez vite avec qui je vais travailler. Donc il y a le profil, tous les comédiens que vous avez vus hier soir, ont une formation, il y en a en théâtre classique et tout, mais aussi d'improvisation théâtrale. C'est là l'enjeu de l'écriture. Pour monter le spectacle, il y a eu 5 semaines de résidence l'année dernière. La première semaine, c'est de la recherche complète. C'est à dire que j'ai les personnages en tête et à partir d'exercices d'improvisations libres (je leur demande de déambuler dans des couloirs, de faire des bouts d'entretien, de rester dans une salle d'attente pendant 30mn avec un son de télévision...) C'est vraiment, tu cherches la musique des personnages. Tu as un chutier énorme, mais tu t'en fous. L'idée c'est d'improviser. Tu cherches... Sur chaque patient, déjà, tu dis ce que tu cherches, ce que tu as imaginé pour chacun.
Vous aviez dressé les profils de chacun...
Le "panel" est issu de rencontres à l'hôpital et puis aussi d'un travail de cohésion par rapport à la maladie et aux soignants. Il y a eu aussi un travail sur les internes, c'était un enjeu capital. Je ne suis pas médecin, je suis profane aussi, mais l'avantage de ces choses-là quand tu es traité de très près pour un mal, c'est que tu as une connaissance qui se rapproche de celle des médecins en fait. Une maîtrise. Après, ça dépend de chacun, mais en un coup d'oeil sur les prises de sang, tu vois ce qui marche, ce qui ne marche pas. Tu comprends. Alors moi je posais pas mal de questions et puis j'avais des bouts de conversation entre les internes, notamment à l'hôpital au début. Pour la greffe, j'étais 15 jours à l'hôpital, donc j'assistais à des bouts de conversation : "on va lui baisser ça, les globules blancs, ça part en couille...". Et donc, il y a eu ce travail sur la posture des médecins, et en même temps cette posture n'est pas unique. Moi j'avais un interne, qui est devenu mon médecin, qui me suit, c'est ce qui est drôle. C'était un interne assez goguenard, assez détendu, je me suis dit avec Léo on va chercher un truc comme ça. Assez dans le système. « Oui, c'est bon, ça va ». Respectueux et tout, mais dans son job. Pas en suspension. Il y en a qui savent plus ou moins regarder, marquer des temps de silence. Et puis après, il y a eu l'autre interne. Là, je l'ai plus romancée. L'idée était de travailler la crise de la vocation. Pourquoi on est médecin ? J'ai vu et lu pas mal de choses sur les vocations. Des articles sur les filiations des familles de médecin... Il faut savoir aussi qu'on avait un médecin généraliste qui opère autour de Dinan qui venait voir certaines répétitions. C'est quelqu'un que je connais, un ami, on travaille l'occasion de graviter autour de la création improvisée en Ile et Vilaine et du coup, avec lui ça a permis d'être guidé aussi. Je lui montrais des scènes et il disait déjà, il disait il ne faut blesser personne. Si tu as des médecins dans la salle qui hurlent, attention. Parce que quand même à la fois le point des patients et celui des soignants. Ca peut être un peu à charge le manque d'empathie et du coup c'est le système qui craque, c'est ça l'idée... En ayant ses retours, j'ai affiné, et à un moment tu pars en écriture. Quand tu as les scènes, tu les fais travailler et tu leur livres des bouts de texte. Et puis un texte entier qu'il faut confronter au plateau aussi. Attends ça on va enlever, ça on va rajouter... et tu obtiens un résultat final.
Les 5 semaines de résidence étaient en plusieurs phases ?
Il y a eu 5 semaines au plateau. Moi, j'ai écrit à côté, en solo. Pour la deuxième session, il y a eu une reprise de rôle, ça nous a pris une semaine. Mais 5 semaines de création à l'origine.
Ca s'est passé où ?
La création à Rennes, la reprise à Nantes.
Le texte lui-même est donc le fruit de ce travail de plateau avec les comédiens où vous leur aviez donné des instructions, ils ont proposé des choses et vous avez malaxé tout ça pour en arriver à la version finale en gros...
Oui
Sous le regard de professionnels de la santé
Observation pas quotidienne sur toute la résidence, c'était 2-3 fois, il est venu voir le résultat du travail.
Les grandes directions qu'ils vous ont données c'était attention à ne pas dériver dans à garder cette sensibilité aussi des soignants, c'est ça ?
C'était un souci déjà pour moi, ça m'a été confirmé quand le médecin venait, il disait attention à ne pas blesser. Pour moi c'était un sujet très délicat. L'idée était vraiment de faire un spectacle très choral qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponse. Un truc avec des endroits d'impossibilité en fait: les médecins restent des médecins, il n'y a pas le temps de gérer les aspects psychologiques de ce bouleversement dans nos vies. On sent la pression qu'ils subissent. Donc, la première partie du spectacle est vraiment le point de vue des patients et au fur et à mesure on dérive vers les soignants, notamment à travers le personnage de Léo. On voit où ça craque, où lui prend en charge le discours, le monologue où il dit vraiment tout ce qu'il a sur le cœur. Et notamment, c'est intéressant au prisme de l'actualité.
(A suivre, parce que nous avons parlé d'autres choses quant au processus de création et au répertoire de la compagnie "Points Sensibles"...)
Propos recueillis par #PG9
DE RETOUR AU THEATRE DE LA RUE DE BELLEVILLE (Nantes)
du 24 au 27 Février 2022
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