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[Plonger dans l’âme de...] François Ripoche. Musicien solidaire

Parce que les choses arrivent rarement par hasard, Culture Etc aime comprendre leur enracinement. Le saxophoniste François Ripoche a réuni autour de lui une équipe d’artistes et de personnes touchées par la précarité des jeunes migrants isolés. Ce collectif prit le (magnifique) nom de Philomelos pour organiser en 2017 à Nantes une soirée au Lieu Unique dont tout l’argent récolté allait être reversé à des associations qui oeuvrent à l’année pour apporter soins, logement, nourriture, soutien éducatif, administratif... L’événement revient cette année le 13 mai à partir de 19h à Stéréolux - Nantes avec une affiche en or pour une soirée riche en mélanges artistiques. Vous trouverez toutes les informations précises sur le programme et le déroulement ici:



Mais qu’est-ce qui a provoqué le désir de s’engager de cette manière? D’où vient la prise de conscience d’une urgence et de la nécessité de participer activement à la solidarité? Nous avons échangé avec le musicien sur son parcours et sa manière de créer. Bonne route en musique et RVs le 13 mai à Stéréolux (mise à jour: Concert Complet)



Bonjour François! Vous parlez régulièrement dans vos interview de la dimension collective du Jazz. Le Jazz est un moment de partage, ça n'est pas quelque chose d'individuel ?


Bonjour Philippe. C'est collectif pour les musiciens entre eux, vraiment et forcément avec le public par conséquence. Quand je dis de partage, d’ailleurs, ça n'est pas qu'au moment du concert. Quand on écrit la musique, quand on pense à un lieu où on va jouer... c'est beaucoup plus large. Moi, ça m'intéresse de jouer dans des bars, par exemple. Ca n'est pas ce qui nous fait gagner notre vie, mais c'est ce qui fait être plus proche des gens et j'aime bien voir quelqu'un de 20 ans à la fin d’un concert qui me dit “j'étais sûr que j'aimais pas le jazz et puis en fait j'aime bien”. Lui et ses potes n'étaient pas venus exprès, ils étaient venus d'abord pour boire un coup et ils se rendent compte que finalement une énergie circule et ça les touche. Ca, c'est fréquent et ça me plaît. Quand on joue dans une salle spécifique avec une billetterie et une réservation, les gens qui viennent, c'est déjà un public acquis, que j'aime bien aussi, mais il faut que le public se régénère. On ne peut pas jouer que pour des gens qui aimaient ça il y a 30 ans. C'est sans doute mon côté pédago vu que je donne des cours. Il y a plein de gens qui disent “je n'aime pas le jazz” parce qu’ils ne l’ont pas vécu dans sa chaleur. J'y pense souvent, je me dis tiens il faut faire gaffe à ça.


Vous voulez rendre accessible, faire aimer ce que vous faites?


Attention, ça peut être dangereux. L'objectif des choses n'est pas d'être aimé des autres, c'est d'être concentré sur une matière première et de pouvoir la partager par contre. Et donc de réfléchir à quelle manière on peut la partager, tout en étant intransigeant sur la matière première bien entendu.


Vous pratiquez le saxophone à titre personnel, combien de temps par jour. Combien de temps travaillez-vous l’instrument, soit avec d'autres, soit tout seul ?

Là, en ce moment beaucoup moins, donc c'est difficile pour moi de faire un bilan. Disons que de l'âge de 20 ans à 35 ans, ça a été très rigoureux et très sérieux tous les jours. 4, 6 heures, rarement moins de 3h, des fois de 7h. Ensuite, ça a été par période. En tournée, tu ne peux pas jouer pareil ou tu donnes des cours, et puis, après j'ai eu des enfants. Là, je suis dans quelque chose d'un peu différent. C'est à dire que je bosse l'écriture au piano, je fais toujours un peu de batterie, je fais du saxophone bien sûr tout le temps rigoureusement, mais beaucoup moins, entre 1h30 et 3h par jour... Mais par contre, je vais réfléchir à la musique que je veux jouer, à la manière. C'est un autre travail. Je ne vais pas dire que je n'ai plus besoin de travailler, les grands musiciens ont travaillé 8h par jour toute leur vie. Mais, je me suis ouvert à d'autres choses, à d’autres pratiques. Je travaille avec des danseurs, je fais un ciné concert où je ne joue que de la batterie, quand je vais en tournée, là je vais emmener mon saxophone, mais des fois je ne l'emmène pas, parce qu'il n' y a pas la place. Des choses concrètes! Mais je suis dans la musique 10h/ jour.


Dans la musique et dans la création au sens large...


Oui, j'essaie. De toutes façons, je ne peux pas être bien dans ma tête si je n'ai pas ça. Mais ça ne se limite donc pas au saxophone. Ca s'est limité au sax pendant 15 ans, vraiment, comme un sportif peut ne pratiquer que le football. Maintenant, je m'intéresse plus à l'Art en général. Je prends le temps de lire aussi. Avant, j'avais peur de faire autre chose que du saxophone, donc je ne faisais que ça. Maintenant, je ne suis pas gêné de m'asseoir et de prendre un livre. En ce moment, je lis la bio de Patti Smith. Des trucs que j'assume de faire qui sont autres et qui m'enrichissent tout autant.


Qui vous donnent des idées pour faire d'autres choses ?


Oui, évidemment. Tu t'enrichis, tu te nourris. J'aime bien lire, j'adore ça, j'aime bien marcher dans la campagne... Je fais plein de trucs. Je vis à Saint-Sébastien-sur-Loire. Là, j'arrive de courir pendant 1h30 au bord de la Loire. Je fais ça deux fois par semaine oui. Du sport !


On ne s'oxygène pas que dans la création et par l'art...


J'ai 50 balais, j'ai arrêté de fumer il y a 5-6 ans. Ce sont des caps en fait. J'ai fait beaucoup de sport quand j'étais minot. Ce sont des périodes de vie.


Et donc, un jour, de par toutes ces curiosités, par tout ce que vous faites, on vous a invité sur un festival sur l'Ile de Groix...


Un festival principalement de documentaires, avec aussi un peu de fictions, du monde entier, mais insulaire. C'était fantastique. J'en ai vu 4 par jour pendant 3 jours


Vous faites aussi des ciné concert. Quelle est votre approche du cinéma?

J'adore ca. J’ai créé 7 ciné-concerts! Donc la relation à l'image, j'ai passé énormément de temps. J'ai fait “Tabou” de Murnau, un film qui dure 1h30, je l'ai tourné pas mal en solo. J'ai fait un film de Mizoguchi avec Francis et ses peintres et des chanteuses japonaises. Je m'y intéresse énormément. Et, justement, ils m'avaient invité à jouer le “Tabou” de Murnau à Groix, ça se passe dans des îles. Ca s'est très bien passé humainement et après, ils m'ont invité dans le jury. Mais sans avoir un regard plus spécifique c'est ça qui était super. Ils ne m'ont pas demandé d'avoir un regard sur la bande son en tant que musicien. Ils m'ont demandé d'avoir un regard tout court. J'ai adoré. Les délibérations, j'étais avec des spécialistes. Les gens du documentaire, du cinéma, c'était vachement enrichissant.


Et là-bas, vous avez basculé dans l'envie de vous investir pour les jeunes migrants.


J'ai vu un documentaire sur Lampedusa, très beau, très triste, très violent. Lampedusa, cette île au sud de l'Italie où les migrants viennent défoncer leur barque malgré eux parce que les courants passent là. Les gens qui vivent sur cette île subissent de voir des corps, des débris sur les plages. Ils sont assez impuissants face à ces drames, ils font ce qu’ils peuvent. C'est dur. Il y a une dame qui récolte des lettres, des choses, elle a fait un musée bouleversant.

Ca m'a beaucoup remué et, en rentrant de ce festival, je tombe sur un article sur 300 jeunes migrants à Nantes. J’ai fait la relation avec ce que je venais de vivre à Groix. Le lendemain, j'étais au Lieu Unique, je leur en ai parlé. Je suis allé après à la Mairie de Nantes, au département, j'ai fait une programmation tout seul et je me suis dit, je ne vais pas m'en sortir, donc j'ai monté un collectif. Soit des gens pros du milieu culturel, soit des gens que j'ai trouvés sur facebook qui disaient tiens là, il y aurait besoin d'un lit et de deux frigos pour une famille qui arrive, des gens qui s'investissaient de cette manière-là, que je ne connaissais pas. J'ai appelé les deux types de personnes, c'était de très belles rencontres et puis c'est beaucoup, beaucoup d'énergie, donc cette année il y en a qui ont arrêté, d'autres qui sont venus. C'est aussi ce qui est bien dans Philomélos, c'est les rencontres de ces gens-là en fait. Il y a une administratrice d'école de musique à la retraite. Il y a l’ancienne directrice de Fip qui est à la retraite maintenant, le responsable de la comm' des Rendez-vous de l'Erdre, l'ancien patron du bar de jazz le Melocotton, une institutrice... Des gens d'environnements assez différents, c'est chouette, c'est enrichissant, chacun s'investit à la mesure de ses compétences et du temps dont il dispose. Parce qu’il fait beaucoup de temps pour monter ça. Pour cette édition, j'ai eu 3 semaines exactement où je n'ai absolument rien fait d'autre parce que j'ai eu des désistements d'artistes, plein de choses à régler pour l’organisation... Mais ça y est, on est bon, les affiches sont sorties hier, on commence à respirer...


La programmation est magnifique d'ailleurs !

Ca va être cool. On essaie de faire très trucs variés et aussi des one-shot. Tu vois que les gens se disent tiens on va à cette soirée. Helena Noguéra va chanter des bossas avec ce groupe Geoffroy Tamisier, Vitor Garbeletto, un excellent guitariste brésilien, ça c'est une fois et jamais deux. Enfin, peut-être que suite à ça, ils vont monter un groupe. Ambra Senatore qui va jouer avec le duo violoncelle-harpe, c'est moi qui leur ai demandé, j'ai demandé au duo est-ce que vous accepteriez la présence d'une danseuse contemporaine... Ils ont trouvé l'idée super. Et à côté de ça des grosses machines : Malted Milk, le contraste quoi. Plusieurs formes que ça soit varié pour les gens.


Il faut des locomotives et pleins de choses qui se greffent. Et c'est l'occasion de parler des initiatives qui sont faites par plein d'associations sur l'agglomération donc en soutien aux jeunes migrants.


Voilà. La première vocation, c'est d'aider ces jeunes, donc récolter des fonds, c'est très clair. On est tous bénévoles et l'argent on le file aux associations qui ont la compétence toute l'année. Qui s'occupent soit du scolaire, soit des problèmes administratifs, soit du logement, qui ont des compétences. Faites de bénévoles ou de salariés. On profite de ce moment pour promouvoir aussi ces assos: à Nantes il y a ça, ça et ca si vous voulez donner un coup de main physiquement ou financièrement. On met en lumière avec nos moyens ces assos, que les gens voient vraiment ce qu'elles font et puis la 3ème chose avec en toute humilité ce soir-là. On est à Stéréolux, salle de rock musiques actuelles et bien, il y aura aussi du jazz, de la musique classique, de la danse contemporaine, du rythm and blues, de l'impro totale avec Katerine, de la bossa nova... c'est à dire on va mélanger pour que les gens se mélangent aussi.


Le principe, c'est le mélange en fait...


Artistique oui.


Le mélange mais avec des compétences c'est à dire que les choses ne se mélangent pas n'importe comment.

Non, elles ne se mélangent pas n'importe comment. Louis Sclavis son métier, c'est d'improviser. Toute sa vie il a improvisé, c'est un grand improvisateur. Ce sont des gens compétents qui viennent et engagés. Il vient de Lyon, il ne pose aucune question. Tu fais ça toi ? Oui, je fais ça. Je viens et puis c'est tout. Ambra Senatore est d'origine italienne, c'est pareil. Il n'y a pas de décision à dire attends il faut que je regarde mon agenda. Après, je choisis la date du lundi, c'est pas pour rien non plus, c'est pour ne pas mettre les artistes dans une situation conflictuelle avec autre chose. Le Lundi peu de monde joue. On n'a pas de concerts. Donc en mettant ça un lundi, on est sûr de ne pas croiser des problèmes de tournée.


Vous disiez que vous auriez éventuellement souhaité que ça dure plusieurs jours... Où en êtes-vous par rapport à l'évolution du projet ?


En fait, l’évolution cette année, le gros truc nouveau, qui n'est pas mis en lumière parce qu'on ne le souhaite pas mais qui est important, c'est grâce au département et à la ville de Nantes, je suis allé voir, j'ai un peu d'argent pour payer un super danseur, Gabriel Um, qui est plus que danseur qui est un humain de haut niveau très bon danseur que j'ai rencontré parce qu'on a improvisé tous les deux. Lui, il va le Jeudi après midi pendant 5 jeudis, il fait de la danse avec les jeunes. Sans objectif de monter avec les jeunes le 13. L'objectif, c'est que ces jeunes on fasse quelque chose pour eux d'assez cool, cette année on fait quelque chose aussi avec eux et je trouve ça. Bien sûr qu'ils ont besoin de manger, de fringues, d'avoir des papiers, ils ont des urgences, mais ils sont aussi jeunes et comme tous les gens normaux, ils ont besoin d'avoir une activité artistique sportive et donc, là, ils vont danser pendant 2 heures avec Gabriel, c'est cool. J'y suis allé une fois ça se passe très bien.


Mais ils ne vont pas se produire le 13 ?


On n'a pas mis cette pression-là non. Au début, je me suis dit ça, mais en fait, je me suis dit attention, ça peut les mettre dans une situation difficile, il y a aussi celui qui a envie d'aller danser tous les jeudis, mais qui n'a pas envie de monter sur scène, du coup il ne ferra pas le projet, ou au contraire, celui qui vient pas répéter mais qui ne vient que le jour du spectacle. Là, il n'y a pas de confusion, on fait la danse pour la danse, comme si on faisait un match de hand tous les jeudis quoi. C'est pareil.


C'est un développement possible pour Philomélos?


Je ne sais pas trop, mais en tous cas cette année on a fait ça. Et j’en suis hyper fier . Après j'aurais adoré faire des cycles dans les cinémas, elle était d'accord à fond la directrice du Katorza, mais ça tombe pendant le festival de Cannes, elle est là-bas et un autre argument qui moi m'avait complètement échappé, c'est que quand on fait ce genre de truc, malheureusement tous ceux qui sont là sont des gens déjà acquis à la cause. L'intérêt de Philomélos, c'est que des gens vont venir pour Malted Milk et découvrir les assos pour les jeunes migrants le même soir et d'autres qui vont venir voir Katerine, d'autres qui vont venir voir Héléna Noguera, d'autres Louis Sclavis... et du coup ils vont venir. On défend aussi une fête. Ce soir-là, c'est une fête de musique beaucoup plus qu'une soirée engagée. Toutes les assos ne seront pas là physiquement, on mettra leurs coordonnés, mais il ne faut pas tout faire le même soir. C'est une fête. Il faut que les gens sachent exactement où va leur argent, mais ça reste une fête.


C'est le principe. J'ai toujours vu le truc culturel comme ça. C'est à Jazz sur Lie que j'ai appris ça le plus. Se dire un jour, nous on veut faire du Jazz dans un petit village de 100 habitants avec des gens qui disent le Jazz c'est pour les intellos, et puis on va faire venir nos voisins et ça va bien se passer. Ca a été une grosse énergie, c'est ce qui s'est passé. Oui, la notion de partage, je crois que les artistes doivent être concernés. Ne pas faire que se pointer avec leur instrument pour jouer.


Mais c'est pas seulement les artistes! C'est la société en général qui, au lieu d'acter les séparations de chapelles, doit chercher à les marier et à les faire se retrouver.


Oui, c'est vrai.


Un des prochains ITWs à venir, c'est avec Julien Delli Fiori, pilier de Fip, qu’il a dirigée plusieurs années. On a beaucoup parlé ensemble de la nécessité de mettre ensemble toutes les esthétiques... Comme ce que vous faites avec ce magnifique projet Philomélos! Bravo


Propos recueillis par #PG9








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