Le RAP est aujourd’hui un des styles musicaux les plus écoutés au monde, mais c’est pourtant un de ceux auxquels les médias accorde le moins de place. Culture Etc compris. Il fallait donc remédier à cela... Comme toujours, les choses se sont mises en place via le compte Twitter. Nous échangeons en effet depuis un an et demi avec un groupe basé à Brest, Frère X 34, qui, après un EP en 2014, est actuellement en plein enregistrement de son 1er album. Le parcours des 4 bretons est passionnant et le travail déjà réalisé est de haut vol. La preuve avec ce qui suit... Parole à Matt! Bonne lecture
Bonjour Matt. Enchanté. Comment ça va à Brest ?
Bonjour Philippe. Là il fait très beau, très chaud... Donc, ça va nickel. Je suis en studio avec mon graphiste et le DJ. On prépare le 1er album du groupe. Quand on dit on prépare l'album, c'est tout de A à Z : la jaquette, la partie graphique, la partie composition, la partie enregistrement, l'écriture... Tout de A à Z.
C'est pour ça que tu es avec ton graphiste ?
Oui. Mais du coup, le graphiste, le DJ et même l'arrangeur de certains morceaux, c'est la même personne !
Et toi, Matt, toi, tu fais quoi ?
Moi, je suis MC et General Manager du groupe.
C'est toi qui pilote ?
On pilote tous un peu, mais c'est moi qui passe mon numéro de téléphone en gros.
La preuve en ce moment! Si on parle un peu de votre parcours d'après ce que j'ai compris, il est très marqué par le culot.
Oui, grave. Complètement même. Tous les plus gros trucs qu'on a fait, c'est au culot. La 1ère grosse date par exemple en tant que pro on va dire, la 1ère partie d'IAM à la Carène...
Royal pour une 1ère date !
On avait déjà joué dans plein de petits lieux depuis pas mal de temps, mais c'était la 1ère date dans une vraie salle de concert avec des vraies conditions... C'était au culot parce qu'on a démarché cette date là du fond de notre lit, au téléphone, encore un peu endormis. On voulait juste savoir s'il y avait moyen d'assurer la 1ère partie d'IAM. Et du coup ça s'est fait ! Pareil pour la 1ère partie de Sniper Officiel au Liberté à Rennes. Pareil. Gros culot, j'ai appelé le booker et puis ça s'est fait pareil. La 1ère du coup, parce qu'on en a fait 3 avec Sniper. Aussi simplement que ça.
Mais tu dois quand même avoir un argument !
Pour Sniper, l'argument choc, c'était la 1ère partie d'IAM. Tu imagines... Et qu'on avait pas mal tourné déjà, on avait pas mal de dates derrière, ça ne laissait pas forcément indifférent. Pour IAM, je n'avais aucun argument. Rien du tout. On avait juste tourné un petit peu, on connaissait vaguement le programmateur de la Carène, mais vraiment vite fait. En fait, on l'avait dépanné sur une date : il lui manquait un artiste pour un plateau et on a accepté une semaine avant. Ca l'a bien sorti de la panade, donc, je pense qu'il nous a renvoyé l'ascenseur...
Il vous a renvoyé l'ascenseur, peut-être, mais il vous avait surtout déjà vus et entendus sur scène puisque vous aviez joué chez lui! Il vous connaissait. Et, ce que vous faites c'est bien. Je pense que votre 1er argument, c'est la qualité de votre travail.
C'est gentil. Nous on pense que c'est surtout du culot et un appel au bon moment... mais... Il y a sûrement un peu de professionnel quand même... Merci !
Il y a donc eu ces premières parties choc. Et vous avez beaucoup joué sinon, parce que votre logique au début c'était de n'avoir peur de rien, de tourner partout...
Notre date, on était Jo et moi, les deux MCs... c'était en 2009 ! C'était notre 1er concert entre guillemets, devant des gens. On a été piqués direct. On a kiffé de ouf le live et on s'est dit, maintenant, on prend tout de A à Z, c'est notre truc quoi. Notre 1er amour dans la musique, c'est la scène... On a tourné, tourné, tourné. Partout ! Et là on s'est dit que ça serait peut-être bien de sortir un nouveau projet. Ce qu'on prépare, c'est le 2ème projet, mais c'est le 1er album. On a sorti un EP en 2014 avec une autre équipe et là on a notre équipe à nous, définitive, on est 100% indépendants on est 4. Et on veut concrétiser ça. On veut aller au bout.
Vous êtes tous de Brest ?
On est trois de Brest, un de Saint-Brieuc... mais qui habite à Brest maintenant, le beat-maker.
On est en 2019, la toute 1ère scène c'était 2009. Ca fait déjà 10 ans ! Le plaisir de la scène est toujours intact ?
Oui, complètement. C'est même mieux maintenant, parce qu'on est autonomes ensemble. On est 4 dans l'équipe, on se déplace à 4, on est 4 dans les loges, on se déplace vraiment en équipe, donc le kiff pour la scène il est même encore plus important qu'avant, parce que là on bouge vraiment. Quand on fait un Liberté qui est blindé à craquer, 5,000 personnes c'est juste exceptionnel. Quand on va à Nantes, pareil... Le kiff est encore plus grand !
Est-ce que vous bossez vos sets, votre présence scénique ?
Tout le temps. Quand on a une date de prévue, on s'y met peut-être minimum un mois avant et une fois par semaine on charbonne 2 ou 3 heures par session et pour qu'on soit carré de chez carré. En ce moment, on bosse surtout les transitions, entre les morceaux, avec du coup Tonton Ja qui est là avec moi. Jo et moi on maîtrise nos textes. On les connaît sur le bout des doigts quasiment, donc on bosse pas vraiment là-dessus, mais surtout l'aisance sur scène, les placements... Après, ça dépend des répets' aussi. Parce qu'on est suivis par le Run Ar Puns à Chateaulin ça arrive qu'on fasse des résidences, du coup c'est plus poussé, on va vraiment bosser les emplacements scéniques, les enchaînements, les fondus, tous ces trucs-là. Mais quand on est tous les 4 entre nous, on bosse surtout les transitions, pour vraiment maîtriser le set.
Le Run Ar Puns ? Quand tu dis qu'ils vous suivent, qu'est ce que ça veut dire?
Le Run à Puns à Chateaulin. C'est un gros café concert qui est là depuis... Ils ont fêté leurs 40 piges ? Je crois. C'est un gros café concert qui a une sacrée réput' dans la région. Ils suivent beaucoup de groupes, dont nous. On a un accompagnement scénique avec eux. Par exemple, le 16 mai on est en concert chez eux. C'est une action culturelle qu'ils font avec des lycéens. Donc il y a 150 lycéens qui vont venir nous voir en concert. En fait déjà, ils nous font jouer chez eux, on fait des résidences avec eux. Si là demain on est programmés sur une grosse date, on peut les appeler et caler 3 jours de pré-prod chez eux pour préparer le truc. C'est un bon point pour nous parce qu'on a beaucoup de conseils avec eux et puis c'est des pros on peut vraiment bosser, faire un boulot très approfondi.
Ce soutien-là, vous l'avez obtenu comment ?
Grâce à un tremplin qu'ils organisent eux qui s'appelle le 1-2-3 Run. Il y a une sélection sur écoute en aval. Ils pré-sélectionnent 3 groupes. Et après ils font une date un soir pour voir ce qu'il se passe en live et après ils choisissent un ou deux groupes, peut-être même les 3, je ne sais plus. Ils choisissent des groupes après pour voir comment les aider. Nous, grâce à ça, on a pu bénéficier de cet accompagnement qui est très utile. Qui nous a été très bénéfique pour Nantes et Rennes dernièrement. Là, ça fait un an tout pile qu'on est avec eux.
Mais vous aviez déjà 9 ans les pattes avant...
Oui. C'est ça. 9 ans dans les pattes sans vraiment de conseil, de suivi pro non plus. Juste notre expérience personnelle de la scène, mais rien d'autre vraiment dans le bagage. Là, on a vraiment pu avoir une expérience. Déjà on a eu la chance de bosser dans le milieu pro avec Yuma Prod pour les 1ères parties de Sniper 3 fois de suite. C'est un bon point, mais ça n'était que notre expérience personnelle. Là Run nous donne beaucoup de conseils, ils nous briefent. C'est hyper utile.
Quand tu as découvert la scène, qu'est-ce qui t'a plu particulièrement ?
Là, je peux pas parler au nom de Jo, même si je sais à peu près ce que c'est. Ce qui nous a plu, c'est de confronter ce qu'on faisait à des gens extérieurs. Parce qu'on était enfermés dans notre bulle, dans nos chambres, on rappait avec 2-3 potes et on n'avait pas l'occasion de montrer ce qu'on faisait. C'était un peu tabou en plus. Le fait de venir sur scène, de confronter ça à des gens qui ne nous connaissent pas, d'avoir leur retour, c'est hyper important. Qu'ils aiment ou pas, peu importe. C'est vrai que ça nous a fait vraiment fait kiffer. Maintenant, la scène, c'est tout un délire. Moi, par exemple, quand je me lève le matin et que le soir on est en concert, je suis dedans dès le réveil. Il y a tout ce qui va autour, le trajet entre nous, on mange ensemble, on passe la journée ensemble. C'est quelque chose qui m'anime à fond. Qui me booste à fond.
Comment tu choisis les thèmes sur lesquels tu écris et comment écris-tu ?
Justement on est en plein dedans. En fait nous on fonctionne comme ça depuis qu'on est 4 dans l'équipe ça va faire un peu plus de 3 ans. Le beat maker Bigg Ben fait des instrus il nous les envoie soit il nous parle d'un thème du coup il verrait bien ce genre de délire sur le morceau et nous on va essayer de gratter là-dessus, soit il nous envoie une boucle sans rien nous dire, nous on l'écoute, Jo et moi on va beaucoup se parler, il va me dire que ça lui fait penser à tel ou tel truc, moi à tel ou tel truc, on va essayer de trancher... On va gratter dessus. Ca vient surtout avec l'instru en fait. Il arrive en 1er et après on défend, on voit. Mais c'est rare que, enfin ça arrive aussi, qu'on dise au beat-maker qu'on a envie d'écrire sur ce genre de truc et qu'on a besoin de ce genre d'instru pour pouvoir le faire.
C'est la musique qui nourrit votre écriture et c 'est pas l'inverse.
Complètement.
Est-ce que parfois tu slames, tu dis des choses sans musique ? Est-ce que ça te brancherait ?
Non. Pas du tout.
Ca ne t'intéresse pas ?
Pas du tout. Déjà, c'est une autre forme d'écriture. C'est un autre délire complètement. Ecrire sans faire de rimes c'est hyper compliqué. Si je retournais en 3ème et qu'on me demandait de faire une rédac, il faudrait que ça rime, parce que ça n'a pas du tout de saveur sinon... Je pense que je le ferais en zic quoi. J'ai tellement l'habitude de gratter sur des instrus... Tout passe par la musique. Toutes les émotions passent par la musique, on peut tout faire passer par la musique.On écrit sans rime, sans rien, y'a pas de ton, c'est compliqué. J'y pense, j'aimerais bien écrire des scénarios de court-métrage, des petits films, des petits trucs, j'aimerais bien passer par là. Je pense qu'un jour, je m'essaierai au truc mais pour l'instant, c'est pas gagné.
Donc, vous écrivez avec Jo, tous les deux si j'ai bien compris
Oui, c'est mon ami d'enfance que je connais depuis 20 ans, je l'ai connu avant de faire du rap, on a fait du rap ensemble, on a fait notre première scène ensemble, on a écrit pratiquement tous nos morceaux ensemble... J'ai besoin autant de lui, que j'ai besoin d'instru pour écrire...
C'est pour ça que le groupe s'appelle “Frère”? Pourquoi 34 ?
C'est ça. Alors, le 3 c'est son chiffre préféré à lui et moi c'est le 4.
Là vous êtes en pleine écriture et vous commencez l'enregistrement de l'album qui, justement, va s'appeler 34... Tout est censé être prêt dans combien de temps ?
On a commencé l'écriture hier. J'ai écrit les 4 premières mesures de l'album qui est idéalement prévu le 16 mai pour le concert au Run. C'est l'idéal. Après, si ça sort un peu plus tard, c'est pas super grave non plus, mais on ne veut surtout pas le bâcler. Enfin, c'est pas grave... C'est surtout qu'on se met un challenge. On a calculé, on a 11 semaines. On doit rendre à peu près en moyenne deux morceaux par semaine, c'est chaud patate, mais ça va le faire. On a notre technique: on taffe tous les 4 vraiment ensemble, on est entre potes, tous chez Tonton. C'est chez lui le stud... Donc on est tous entassés chez lui tous les jours tous les après-midis et on gratte. On fait le taff.
Pour conclure, ton regard sur le rap aujourd'hui en France ?
Le RAP devient très rare. Pour moi, il n'y a plus vraiment de rappeurs qui rappent. Après... Il y a des mecs comme Nekfeu, ou tous les groupes avec qui on tourne, que j'aime bien. Il y a les anciens qui reviennent. Justement, ils reviennent, parce que le RAP aujourd'hui c'est compliqué.
Il a pris une couleur qui te plaît moins?
Oui, ça me parle beaucoup moins. Le style d'instru me touche beaucoup moins, les sujets c'est pareil... C'est pas vraiment du rap, on est passé de RAP à un truc chelou. C'est devenu trop variété, trop vendeur de disque, trop familial... Trop...
Pas assez engagé ?
J'en parlais justement tout à l'heure avec ma sœur, avant par exemple, quand NTM ou Passi ou IAM disait “Nique ta mère”, on savait pourquoi, ils l'expliquaient. C'était pas gratuit. Maintenant, il y a un Nique ta mère qui est lâché, on ne sait pas pourquoi il le sort, on ne sait pas ce qu'il revendique, on ne sait pas pourquoi il est énervé... Quand je vois mes neveux qui écoutent ça, ma filleule qui écoute du RAP chelou, je me dis waow... C'est chaud. Ca va être chaud de grandir là-dessus.
Effectivement vos textes sont précis dans les attaques, on comprend pour quoi vous les écrivez.
Oui. Chaque attaque est meilleure quand elle est visée de toutes façons... On sera toujours meilleurs aux fléchettes si on vise la cible. Si on ne la vise pas... ça rentrera pas dedans !
Propos recueillis par #PG9
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