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[Plonger dans l'âme de...] Denis Do, réalisateur de “Funan”

Dans notre article avec Clémence Bragard, programmatrice du Festival National du Film d’Animation (Rennes, 24 - 28 Avril 2019), nous terminions sur une action que le monde du dessin animé français va mener prochainement avec les exploitants de salle pour mettre en lumière le fait qu’un film d’animation n’est pas nécessairement destiné (uniquement) aux enfants. Voire même, parfois, pas du tout.



Il y a très exactement 44 ans, le 17 Avril 1975, les khmers rouges entrent dans Phnom Penh et déclenchent un des épisodes les plus tragiques de l’Histoire du XXème siècle. Denis Do n’a pas connu ce drame: il est né dix ans plus tard en France. Mais ses parents et son grand-frère ont tout subi. Les fantômes de l’histoire ont donc hanté son enfance et, un jour, il a voulu réellement comprendre ce qu’il s’était passé pour mieux connaître ses racines. Il a demandé à sa mère de tout lui raconter. “Funan” est un grand film de fiction inspiré de faits réels dont le retentissement dans les festivals est immense. Dans l’échange qui suit, le réalisateur nous livre avec une profonde sincérité son regard sur le monde, sur les humains... et sur la place de l’art. Bravo et Merci Denis



Bonjour Denis ! Quand l'organisation du Festival m'a dit que nous allions nous parler, j'étais hyper heureux. “Funan” et tout ce que je sais de votre parcours ne peuvent que donner envie de mieux vous connaître. On va commencer par une question d'ordre très large qui devrait plaire à votre âme de philosophe, c'est la suivante: quel est votre rapport au temps (qui passe) ?


Bonjour Philippe. Philosophe, carrément ? Je crois que le temps n'existe pas et que l'être n'existe pas non plus. On n'est pas, nous ne sommes pas. Nous ne faisons que devenir. C'est pour ça, je pense, que j'ai envie de faire du cinéma et de raconter des histoires. Raconter une histoire, c'est, en général, suivre des personnages sur leur devenir et pas sur le fait d'être. Tous les films, toutes les histoires, parlent de trajectoire. Même s'il y a évidemment des cas isolés, toutes les histoires abordent l'évolution de personnages d'un instant A à un instant B, c'est pour ça que ça n'est que du devenir en fait...


Comment travaille-t-on sur la modélisation de ce devenir en tant qu'auteur ?

"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c). Etude de personnage

Chacun a ses méthodes. Moi, je pars souvent du point de départ. Il est déterminant parce qu'il va permettre de définir tout le reste. Le point d'arrivée, en général, je le connais aussi. Et souvent, même en le connaissant, j'essaie de pousser à l'extrême, en imaginant l'inverse. Par exemple, si le personnage est gentil, qu'il finira méchant. C'est souvent une trajectoire de ce style-là. Je pousse vers l'extrême et des éléments interviennent en plein milieu, participent à cette évolution-là, amènent d'autres choses... L'explication est un peu brute, parce que je n'aime pas la notion de gentil et de méchant, mais tout le parcours sert une modulation entre les deux, justement : la trajectoire n'est pas forcément droite, il peut y avoir des retours en arrière, des pas sur le côté... C'est souvent le fruit de rencontres, c'est le rapport à la vie. Nos conditionnements sont principalement issus de l'influence de notre entourage et c'est déterminant en terme de crédibilité pour le parcours d'un personnage. Nous sommes tous conditionnés en fait. L'évolution des personnages est conditionnée par celle des autres. Un film, n'importe quelle histoire, met en avant l'influence des actions des autres, ce genre de choses. On évolue difficilement, voire pas du tout, dans l'entre soi, quand on est tout seul, fermé, quand on ne rencontre personne. Ca peut-être des personnages antagonistes, l'antagonisme fait partie de l'entourage, pas seulement les alliés, les gens de tous les camps font évoluer. L'évolution, c'est de l'action/ réaction en fait.


La brutalité d'une action peut changer le cours de l'histoire...


Alors là est-ce qu'on rentre dans le cadre de “Funan” ou est-ce qu'on reste général ?


Comme on veut...

"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c)

La brutalité, dramaturgiquement, c'est intéressant. On tire vraiment vers l'extrême. Une tension se crée dans la psychologie des personnages et on en arrive très rapidement à des situations qui mettent en avant l'instinct. Enfin, ce qu'on appelle l'instinct, les instincts primaires de survie etc. Mais, pour faire évoluer un personnage, il n'y a pas forcément besoin d’aller jusque là. Exemple : on se balade dans le métro quelqu'un nous tient la porte, ça nous met de bonne humeur, c'est peut-être une bonne journée qui commence, on sourit. Voilà. Ce sont des interactions qui déterminent le parcours sur la suite. Dans “Funan”, personne ne tient de portes, des situations plus ou moins extrêmes font se réveiller des instincts primaires liés à la survie. Je trouvais ça intéressant à traiter, parce que, pousser des personnages vers des situations comme ça, ça permettait de briser petit en petit des codes de sociétés, la morale par exemple, ce qu'on a l'habitude de déterminer comme étant socialement correct ou pas et de faire fondre un peu tout ça, de mettre à mal nos habitudes. On a souvent besoin de juger pour savoir comment on est ancrés dans nos rapports à la société. Quand elle devient extrême, tout devient assez flou, plus compliqué. C'était ce qui était intéressant et qui met vraiment en valeur ce que nous, humains, avons tendance à occulter de nous même. J'aime bien dire : de notre médiocrité. On fait semblant d'être bons, on fait semblant de bien se comporter, mais ça n'est pas que ça en fait, l'humain. C'est un panel bien plus large de réactions. Je trouvais intéressant de travailler là-dessus.


Tout ce que vous venez de dire nous renvoie profondément à la société actuelle.


Oui. C'est normal. Comme tous nos contemporains, nous sommes des acteurs des sociétés actuelles et, du coup, nos réflexions découlent forcément de ça.


Vous dites que c'est dans le conflit que l'humain se révèle...

"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c)

Quand je dis “humain”, j'aime préciser ce que je dis du qualificatif. Par exemple, quand on dit de quelqu'un “cette personne est emplie d'humanité”, pour moi ce qualifiant-là n'est pas bon dans ce genre de contexte. On devrait plutôt dire cette personne est douée de générosité ou de bonté. Pour moi, l'humanité, comme qualifiant, est un peu biaisé ici, parce que l'humain à mes yeux, n'est ni fondamentalement bon, ni fondamentalement mauvais. J'essaie de prendre un point de vue en dehors de l'anthropocentrisme, très en dehors de ça même. Il n'y a rien de sacré en fait à mes yeux, l'humain en soi n'est pas spécialement sacré, nous ne sommes que poussières, nous ne faisons que passer. Et c'est toute la complexité humaine. On a du mal, par exemple, avec tout ce qu'on s'évertue à enfouir en nous mêmes, nos instincts primaires, nos besoins, nos peurs, nos craintes. Tout s'exacerbe parfois, parce que l'instinct de survie est très fort. On l'a mis de côté dans nos sociétés développées où on vit dans une forme d'abondance, on ne se rend pas compte à quel point c'est une force motrice puissante. En fait, notre instinct est là, malgré tout, c'est juste qu'on a oublié par quels filtres il passe. Par exemple, les gens qui se mettent à accumuler plein de choses, je pense que c'est aussi un des moteurs qui crée les inégalités de ce monde, ces personnes à la tête des pays qui aiment le pouvoir, s'y accrochent ou en jouissent, tout ça, pour moi, ce sont des biais psychologiques et biologiques émanant de l'instinct de survie. On peut s'élever par rapport à tout ça, il faut réfléchir, mais il y a moyen de s'élever. Et, de manière basique on ne le fait pas forcément. Voilà, dans un contexte extrême, dans des conflits où sur l'instant présent il faut trouver des solutions, la morale est mise de côté. La bonté, la générosité, tout ça disparaît... Une certaine forme de pragmatisme prend le pas simplement. C'est assez logique aussi, non ? Ca pourrait se résumer à cette question : pour survivre, qu'est-ce qu'on est prêts à faire ? Pour rester dans le monde de la fiction, dans “Walking Dead” -rien à voir avec “Funan”-, que sont-ils prêts à faire tous ces personnages pour s'en sortir ? On s'aperçoit au final que notre ennemi c'est aussi nous-mêmes. Pas forcément tous les humains contre les humains, non, nous-même contre nous-même. L'entre soi. C'est toujours l'entre soi, le problème.

"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c)

C'est de tout cela dont votre film parle sans forcément toujours le dire...


C'est le socle qui permet de soulever ce questionnement. Au delà du pitch, ma mère qui essaie de retrouver son fils qui lui a été arraché lors de la révolution khmer rouge, il y a un grand thème que je trouve plutôt cinématographique, c'est la persistance et la perpétuation de la vie dans son insignifiance. C'est le grand thème du film.


“Dans son insignifiance”?


Oui, parce qu'au final, nous ne sommes pas grand chose à l'échelle de l'univers. On fait beaucoup de bruit pour bien peu de choses. Pendant une interview à Annecy, j'étais assez gêné d'entendre “ce film est nécessaire”... La nécessité d'un film me questionne. Comment on fait pour juger ça ? Ca signifie : “il faut que les gens sachent pour ne plus reproduire tout ça”. Or je pense que, même quand on sait, on reproduit l'horreur. C'est malheureusement, basiquement, comme ça. On est donc vraiment peu de choses. Je n'ai pas forcément un espoir très positif, ni négatif d'ailleurs, je pense qu'il faut arrêter de nous placer sur un piédestal, de trop croire en nous. Il n'y a pas grand chose à attendre des humains. La preuve, c'est qu'à chaque fois qu'une idéologie ou une religion place l'humain en son centre, elle se met à définir ce qu'il doit être... et la catastrophe démarre. Il n'y a rien à définir en réalité, je ne pense pas qu'il soit possible de définir l'humain. On est beaucoup trop complexes. Beaucoup trop multiples aussi.


Pour aller dans le sens de ce que vous disiez au tout début, le temps n'existe pas, la mémoire n'existe pas non plus?

"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c)

Quelque part, je crois que la mémoire est une construction humaine. Elle n'existe pas, parce qu'elle n'est contemplable que par nous, les humains, et, comme l'humain est de passage, la mémoire est de passage elle aussi. Il n'y a rien de fondamentalement universel dans ma tête, dans ce que je perçois du monde, et, comme il n'y a rien de fondamentalement universel, rien ne doit s'imposer à tous, simplement. Sauf peut-être la diversité. Il n'y a que ça qui pour moi a une certaine valeur. J'ai, d’autre part, beaucoup de mal avec le sacré. Le film ne sacralise rien justement. Tous les actes héroïques qu'on pourrait trouver, qu'on aurait pu rendre flamboyants, faire en sorte que les gens soient admiratifs de tout ça, s'éteignent tous. C'est la réalité de notre condition. Par exemple quand dans les médias on encense un acte héroïque, c'est un acte héroïque parmi des millions d'actes manqués… C'est le focus sur ce qu'on n'est pas et les yeux fermés sur ce qu'on est. Et puis on reproduit nos erreurs surtout. On reproduit l'horreur. Le but de la mémoire serait d'intégrer, de digérer des informations historiques, pour nous apprendre à ne pas “reproduire les mêmes erreurs”. C'est tellement galvaudé comme expression ! Galvaudé pour rien au final parce qu'on passe notre temps à reproduire... Ca fait des milliers d'années que l'écriture existe, donc a priori qu'on est capables d'enregistrer des informations sur nos histoires, mais ça n'a rien arrêté, ça continue. Les gens crèvent en méditerranée, il y a des famines dans le monde, les guerres continuent... On ne change pas. On est fondamentalement ce qu'on est, c'est à dire quelque chose d'indéfinissable. Je ne pense pas qu'il y ait d'amélioration à espérer. L'amélioration elle-même est un jugement moral. Et tout ça est perpétuellement en changement, donc...


Dans le même interview d'ailleurs vous dites que de toutes façons, l'homme n'est qu'un animal comme les autres.


Exactement. C'est toujours pour un petit peu être contre l'anthropocentrisme. Il n'y a rien à espérer de nous. On espère rien d'un animal lambda, on n'attend pas des chiens... même cette phrase je la démarre, je ne sais même pas la finir. Parce que, clairement, on n'attend rien des chiens. Je pense qu'il ne faut rien attendre des humains. Il faut vraiment faire face à ça. Tout simplement. Le film n'est pas mû par une quelle conque attente de l'exploit, aucun exploit ne va s’y produire. On est misérablement condamnés à rester ce qu'on est. Et la survie n'est pas forcément un exploit non plus, parce qu'elle nous maintient aussi dans ce qu'on est. Quand je dis ça, quand j'explique tout ça, il ne faut pas forcément y voir quelque chose de négatif, de pessimiste. Je ne suis pas du tout pessimiste, je ne suis pas non plus optimiste. C'est un regard neutre. Factuel.


Vous ne pouvez pas être pessimiste, cher Denis, dans la mesure où vous avez fait ce film et pour faire un film comme celui-là, il faut croire en quelque chose. Vous avez passé 9 ans sur “Funan”, on ne peut pas faire un film comme celui-là, travailler aussi longtemps sur un thème aussi difficile sans être un minimum optimiste, non ?


Alors, je vais vous expliquer ce qu'il y a derrière “Funan”. Il y a plusieurs choses. Déjà, il y a un rapport très fort à des questionnements très personnels sur les racines de tout ça. C'était le moteur principal au tout début. Je l'ai un peu oublié par la suite, mais ça s'est réveillé à nouveau à la fin. Ca été très important parce que ça fait partie des biais de conditionnements qui font ce qu'on est et moi, ça fait partie des questionnements qui déterminent ce que je suis aujourd'hui. J'avais donc besoin de passer par là. J'assume depuis récemment de parler de cette façon là. C'était un acte complètement égoïste, comme, je le crois fondamentalement, toute envie de création, tout acte de création à ses débuts. Je ne me suis pas dit, je vais faire ce film pour partager cette histoire avec les gens, pour qu'ils s'en rappellent, “parce que c'est un film nécessaire”. Non. J'étais à des années lumières de ça. Parce que, justement, j'avais ce rapport très personnel avec le récit et on ne se dit pas du jour au lendemain “l'histoire de mes parents va révolutionner les choses, les gens vont tout comprendre”. C'est super présomptueux. J'étais surtout dans un rapport très personnel. Intime et égoïste.


Et puis, une fois le film fini, ça n'a aucun sens de le contempler tout seul ! Il faut le montrer, voilà. Du coup, le film existe en tant que film. L'autre moteur n'est pas vraiment de l'optimisme, mais on va dire une forme d'amour, un centre d'intérêt. Lors du développement, de la fabrication, ce qui me maintenait vraiment, ce qui me motivait, c'était le sens. Le sens qu'on pouvait mettre dans ce qu'on faisait. J'ai eu bien évidemment envie qu'esthétiquement le film soit attrayant, mais pour moi le beau n'a pas de sens, aucune raison d'exister, si il n'y a pas de sens derrière. Si l'image n'évoque rien. Ça ne sert à rien de faire du beau. Dès qu'on a un rapport avec le dessin, l'animation, très souvent on parle de technique, de rendu, d'esthétique. Ca me dérangeait de n'avoir que ça. Il fallait que toutes les images du film, tous les plans du film, aient une charge sémantique. Pour moi, c'est ça « l'art », je n'ai pas d'autre mot en tête. Le beau ne se suffit pas à lui-même, faire du beau juste pour beau, c'est un acte manqué. Il fallait tout ça. J’ai tenu absolument à faire le story board moi-même, je voulais réfléchir à tous les plans, les assumer, pouvoir les expliquer. C'était très important pour moi. Avoir ce rapport là avec la fabrication de ce film. Ca n'était certainement pas quelque chose à déléguer et, ça, c'était un moteur essentiel.


Ca nous amène à un élément important dans votre questionnement sur le cinéma en général, vous dites “si on ne pense pas le hors-champ, on ne fait pas du cinéma”... Or le propre de l'animation, sauf erreur, c'est que le hors-champ n'existe pas, tandis que le propre du cinéma, c'est que, une fois la caméra posée quelque part, le champ et le hors champ existent...

"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c) Etape de travail

Exactement. C'est l'énorme frustration que j'ai par rapport à l'animation en général et aux méthodes qu'on emploie pour fabriquer des films. D'enregistrer les sons en studio, de les fabriquer par exemple. Pour moi la faiblesse de l'animation, c'est le dessin, l'image en fait. Ceux qui font de l'animation 2D généralement, en pratiquant le dessin, on est conditionnés à certaines manières de dessiner, de mettre en scène. Quand on attrape un scénario et qu'on doit le mettre en images, en story board, on a un conditionnement qui fait que naturellement on met en place un décor, des personnages et voilà. Le problème, c'est que la fabrication du son n'intervient qu'à la fin. C'est extrêmement frustrant pour tout le monde, pour ceux qui travaillent en son notamment bien sûr, et, surtout, les délais de fabrication du son sont assez courts en corrélation avec la fabrication de l'image. En bout de chaîne, le temps est incompressible, les gens sont sous pression, ils travaillent directement sur ce qu'ils voient. Et ce qu'ils voient, c'est le cadre. Or, quand on fait du cinéma, il faut absolument penser le hors champ, c'est ce que je disais. Sans hors champ, on ne fait pas du cinéma. Pourquoi ? Parce qu'un film, c'est un monde, un monde entier, et le cadre n'est qu'une fenêtre. Si on se trompe et que le cadre devient le monde, c'est problématique.


C'est comme le cercle d'amis facebook. Le cadre, c'est le cercle 1, mais il y a le deuxième cercle, le 3ème etc... En animation, on atteint au mieux le second cercle en fait. Et encore, il faut l'anticiper. Il faut anticiper tout ce qu'on imagine comme étant le hors-champ et du coup, on ne peut pas anticiper le 3ème cercle parce que c'est beaucoup trop loin. Parfois on n'y pense même pas. Alors qu'en prises de vue réelles, on n'a pas besoin d'anticiper le 2ème cercle, il est naturellement pris en compte. La caméra est posée et une perche enregistre tout. Du coup, ce qu'on anticipe, c'est le 3ème cercle et on peut faire des choix beaucoup plus libres. Par exemple, si on a des personnages à l'écran, que deux d’entre eux sortent, on reste cadrés pareil, mais en terme de son, on suit les deux personnages qui sont partis. Qu'est-ce que ça produit en terme de perception? En animation, spontanément, on ne le fait pas. On n’y pense pas forcément. Et on se prive aussi de ce qui est improvisation, c'est trop compliqué. Et puis, lors de la prise de son en studio, les comédiens sont limités en terme d'espace pour mimer leur scène. Il suffit que le comédien ou la comédienne bouge trop et des frottements perturbent l'enregistrement. Tout ça, c'est assez frustrant. On se prive d'accidents, d'improvisation. On se prive du naturel et de l'organique. L'animation pour moi, c'est trop mécanique: on est obligés de tout anticiper. La question devient: pourquoi ne pas faire de la prise de vue réelle? Personnellement, je n'ai pas envie de me priver du dessin. C'est un vrai plaisir d'approcher la représentation, la mise en images par le dessin... Je pense qu'il y a moyen de concilier la nécessaire maîtrise de l'image avec l'organique de la mise en scène et je pense que la solution c'est le son. Donner plus de place au son et le penser avant l'image.


Vous expliquez aussi que, quand Louis Garrel et Bérénice Bréjo ont fait le son, ils vous ont fait changer des choses derrière...


Oui, ça c'est pas exceptionnel. Ca arrive sur plein de films. Mais, c'est juste que ça devrait remettre en question ce qu'on appelle le doublage. Le doublage, c'est, quand un film est fait, les mouvements des lèvres existent et des comédiens viennent poser leur voix en essayant de raccorder tout ça. Typiquement, ce que Bérénice et Louis ont fait, ça se passe sur quasiment tous les films, j'appelle ça de la création de personnages. On décrit des personnages à l'écrit pour se les approprier. Sur cette description, on peut expliquer leur parcours, leur personnalité, les didascalies ça aide évidemment durant le scénario, mais les mots ont leur limite. Et ces limites-là sont franchies par un aspect indicible dans l'interprétation. Avec sa sensibilité, chaque comédien devient tel ou tel personnage et la première personne qui parle s'approprie une phrase, une personnalité, une psychologie. Elle influence du coup l'autre personnage qui doit lui répondre et qui n'avait pas forcément prévu de répondre comme ça. Ce sont des petits accidents, mais encore trop limités. On pourrait en avoir beaucoup plus si on prenait le temps de bien travailler le son, si on laissait plus d'espace d'expression aux comédiens. On a quand même des petites surprises qui font que nécessairement ça influence le montage. Si un comédienne ou un comédien décide de marquer un silence qui n'a pas été indiqué, si le son est pertinent, nécessairement ça influe le personnage dans ce qu'il est, dans ce qu'il devient, mais ça change aussi le montage: il faut rajouter du temps. C'est pour ça que j'aime bien appeler ça de la création de personnage. Je pense que on est dans des rapports de 50 / 50 entre ce qui est écrit et ce que les comédiens apportent.


Dans le cinéma d'animation, sauf erreur, tout naît obligatoirement d'un certain imaginaire puisque les images ne viennent pas du monde réel. Est-ce que c'est un avantage un inconvénient? Ou est-ce que je dis n'importe quoi ?


"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c) étape de travail

Tout dépend de ce qu'on peut raconter... Un film comme “Funan” est ancré sur des bases historiques, alors toutes les images vont découler de recherches photographiques ou de croquis. Si on doit inventer tout un univers, ça peut partir de 0. Mais je pense que rien ne part réellement de zéro parce qu'on a tous des biais, des influences, des références... Et puis je veux dire, dans la mise en scène, dans la construction et dans le cadrage, là on élabore des choses, on construit des choses, mais dans le rapport à la réalité, on a besoin de se nourrir du monde réel. Je pense que, dans mon cas, c'est encore pus prégnant. J'ai quand même envie de faire des films qui reflètent un peu notre réalité à nous, même si l’histoire se passe dans le passé voire dans le futur.


Vous dites aussi quelque chose de très intéressant dans votre démarche, c'est que dès que vous avez une idée vous vous demandez ce qui se passerait si vous aviez eu l'idée inverse.

Ca rejoint ce que je disais sur l'élaboration du parcours des personnages. Si le personnage commence en étant, comme je disais tout à l'heure, gentil, est-ce qu'il serait pertinent que ce personnage-là devienne méchant ? C'est tirer vers les extrêmes pour ensuite pouvoir farfouiller dans toute une panoplie qui a été déployée entre ces deux extrêmes. C'est pareil pour des situations, pour la mise en scène. Quand je parlais de réfléchir à l'exact opposé, je parlais de l'entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh. Comment la mettre en scène? Choisir entre la guerre, la violence et le silence de la mort. Une idée n'est qu'une idée, rien ne doit être monolithique et gravé dans le marbre, c'est pour ça qu'on appelle cette phase le développement. Tout est amené à changer, à bouger, il faut vraiment rester ouvert à explorer le plus de pistes possible. Ma méthode est de tirer vers les extrêmes pour décortiquer et choisir.


Ce que vous visez est, peut-être, comme ce dernier plan du film, équilibré: 50% de ciel, 50% de sol. Tout le parcours, la trajectoire, n'est au fond qu'une question d'équilibre, soit on est d'un côté, soit on est de l'autre, des fois on est d'un côté des fois on est de l'autre...


C'est super bien que vous ayez perçu ça. Je n'avais pas réfléchi ce plan de cette manière-là, mais ça pourrait y répondre. La base était pour illustrer cette notion de l'insignifiance et de la perpétuation de la vie entre le ciel et la terre, on rentre dans un cadre presque métaphysique à la fin du film, entre le ciel et la terre, il y a vie dans toute son insignifiance. Il y a juste un mère et son enfant, ils sont tout petits à l'écran et vraiment au milieu de tout. C’est un équilibre, mais les êtres sont fragiles.


"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c)

En préparant ce qu'on allait se dire, je me suis retrouvé à plein de moment devant la question de l'équilibre et du ying et du yang.


En fait, j'ai des origines chinoises aussi. Il ne faut pas l'omettre. Les gens ne parlent que de mes origines cambodgiennes, mais en fait c'est plus compliqué que ça. J'ai des origines chinoises et à tous les moments du film, on a des éléments mis en valeur, des éléments liés à la cosmologie chinoise. Le bois, le feu... Le bruit du métal est d'ailleurs très utilisé pour symboliser la fin d'un cycle, la mort... Et la terre. Ca a beaucoup influencé la notion de dualité, évidemment, mais dans la notion de dualité ce qui m'intéressait c'était l'entre deux. Et ces moments de passage de l'autre côte. C'est pour ça que les personnages sont vraiment dans un contexte extrême poussés vers des limites, on a une mère qui, pour survivre, est prête à vendre sa fille à un khmer rouge. Des situations complexes, difficiles à juger. La remarque que vous faites sur la fin du film, l’équilibre et le fil tendu, avec la vie qui se tient dessus, ça magnifie un peu cette idée-là.


Un mot de conclusion ?


Sur ce fil de l'équilibre, il y a une notion qui nous parle à tous et vers laquelle on a tous envie de tendre, c'est la Paix. La Paix avec soi-même, avec ce qui nous entoure.



Vendredi 26 Avril, 21h, projection de “Funan” en présence de Denis Do au TNB - Rennes dans le cadre du Festival National du Film d’Animation https://www.t-n-b.fr/programmation/funan





Merci à Jean-François Lecorre de “Vivement Lundi” pour la passion communicative et à Bérangère Boutevin de l’AFCA pour les mises en contact.


Propos recueillis par #PG9


"Funan" de Denis Do. Les Films d'Ici (c)

Sur le Festival...


[Festival] #Rennes 24-28/04/2019, Festival National du Film d’Animation. Entretien avec Clémence Bragard, programmatrice (Culture Etc, 14/04/2019) https://www.facebook.com/notes/culture-etc/festival-rennes-24-2804-festival-national-du-film-danimation-entretien-avec-cl%C3%A9m/2292353471018879/






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