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[Plonger dans l’âme de...] Anne Peko. Un long chemin vers Barbara

C’est le spectacle plein de tendresse, de références, de clins d’oeil d’une comédienne qui chante à une femme qui chante. “Ma Cantate à Barbara” est un aller-retour humble et en même temps très personnel à Barbara, un hommage libre imaginé et interprété par Anne Peko.



Après l’avoir vu et apprécié, Culture Etc a voulu mieux cerner le personnage. Vous allez découvrir ci-après le fruit de notre dialogue, riche, qui vous permettra de suivre le parcours atypique d’une artiste franco-polonaise née à Abidjan... Bonne lecture



Bonjour Anne. Pouvez-vous nous parler de votre enfance à Abidjan?


Bonjour Philippe. L'Afrique de l'Ouest était en plein essor. Mes parents y sont arrivés, après la guerre, bien après. Mon père a eu l'opportunité d'un poste là-bas, il a quitté la France. Il venait d'épouser ma mère qui est polonaise. Je suis donc à moitié polonaise. Ma vie commence par un mélange culturel. Je suis née à Abidjan et ai un magnifique souvenir de mes 15 premières années parce que c'est la mer, la mer, la mer, le ciel, les rivages, les ports de pêche, la rue, les africains. Quelque chose de très naturel. Quelque chose qui me parait utopique maintenant, mais qui ne l'était pas du tout à ce moment-là. J'étais dans une réalité où les communautés se mélangeaient avec joie et légèreté, un doux bonheur. Il n'y avait pas de violence. Il y avait la pauvreté et le sourire. Un peu comme dans la chanson d'Aznavour “Emmenez-moi”.



J'ai conservé le goût de tout ça, de ce mélange-là et cela m'a construite. M'a donné une certaine force et un enracinement. Au collège, je portais l'uniforme. Une robe bleu clair plissée. Les africains, les européens, on était tous pareils, on avait tous la même tenue et j'ai vraiment aimé ça. Ca masquait la différence et ca faisait ressortir encore plus la personnalité de chacun. Etre comme les autres tout en ayant ma singularité. Il me semble que la personnalité de chacun ressortait plus, justement grâce à cet uniforme. Cela nous construisait. Ca n'était pas l'uniformisation de maintenant. Je pense que ça a coloré mon caractère, mon identité. Aimer les autres. Partager. Se mélanger tout en étant très personnelle, en gardant son petit jardin secret. Il y avait vraiment de belles fêtes, de beaux partages. On jouait dans la rue, l'ambiance était joyeuse, et néanmoins, j'étais hyper sensible à ce paradoxe riches-pauvres. Je sentais qu’un danger pouvait surgir sans savoir lequel. J'ai toujours eu ce sentiment que quelque chose de grave allait arriver. J'ai toujours porté ça. Je voyais l'écart se creuser. Mais tout ça a forgé aussi peut-être ce que je suis. Et puis, à 3 ans, j'ai entendu une petite ritournelle à la radio. C'était Barbara.


Jusqu'à quel âge avez-vous vécu là-bas ?


Jusqu'à 15 ans. Avec des allers-retours réguliers en France, parce qu'on revenait quand-même pendant l'été. Pas tous les ans, on n’en avait pas les moyens. On prenait les paquebots et les cargos, parce que ma mère ne pouvait pas prendre l'avion. J'ai des souvenirs extraordinaires de ces traversées de l'Atlantique. 11 jours pour aller, 11 jours pour revenir... C'était une autre époque! On voyait des choses formidables, donc j'ai un rapport très, très fort à la mer.


Oui, ça a dû profondément vous marquer, évidemment.


Le voyage, les départs, les retours avec l'angoisse qui accompagne. Et puis des voyages dans l’intérieur de l’Afrique aussi, dans la brousse. Il y avait des dictateurs à l'époque. J'ai vécu des choses incroyables. De vraies aventures parfois très inquiétantes, angoissantes, très intenses.


En famille ou toute seule ?


J’étais gamine, donc en famille. Ca bougeait en Afrique noire. Au Ghana c'était un dictateur, ça n'était pas évident. J'ai vécu des choses assez étonnantes, comme dans les films. Je pourrais écrire un livre. Un jour, on nous a arrêtés dans la brousse, ils avaient pris ma poupée pour voir si une bombe n'était pas cachée dedans. J'étais terrorisée... mais ça nous a fait rire après!


Et la chanson est arrivée comment?


Elle est arrivée tardivement en fait. Quand je suis arrivée en France, adolescente, j'étais un peu paumée de passer d'un état un peu sauvage, un peu garçon manqué comme j'étais là-bas. Et puis, j'avais un décalage avec les autres adolescentes. Ma grand-mère polonaise, qui était artiste, m'a inscrite au conservatoire de Nice. A Abidjan, je prenais des cours de danse, j'ai continué à la pratiquer à mon retour et cela pendant plus de 20 ans.., j'ai toujours été dans l'expression du corps et de la voix. J'aimais ça. Je me cherchais à mon retour d'Afrique (qui avait été une vraie déchirure pour moi) et l'expression artistique m'a aidé. Plus tard, arrivée à Paris, j'ai fait des études théâtrales à la faculté, j’ai passé une licence... J’ai eu l'occasion de faire un stage avec des acteurs polonais de l'équipe de Grotowski, et ça a été le déclic... Puis j'ai commencé à faire du théâtre professionnellement. Il se trouve que dans différents spectacles où j'étais engagée, je chantais. Mais c'est surtout l’un d’entre eux dans lequel je chantais en yiddish, “Rêves de Kafka”, mis en scène par Philippe Adrien en 1985, qui m'a donné vraiment envie de chanter. La rencontre avec un livre de Jacques Lacarrière sur Marie d'Egypte, une anachorète qui a vécu dans le désert, aussi... Il se termine par une séquence éblouissante de chant. Je lisais ça sur l'île de Jersey face à la mer, là aussi il y a un déclic... Et puis je m'étais mise au saxophone, à la musique, aux cours de chant. Tout cela s'est imposé à moi naturellement.



Et l'écriture ? Parce que de ce vous dites, tout ce que vous racontez des choses qui ont pu vous imprégner au cour de votre vie effectivement, c'est plein d'émotions, d'histoires qu'on a envie de raconter.


Je suis un vrai escargot dans ce domaine. J'ai écrit quelques nouvelles que je n'ai pas encore éditées. Ecrire demande de faire le vide. Je suis trop mobilisée par mes spectacles, par les formations, mes ateliers chansons (j’aime transmettre) ou mises en scène diverses. J'ai écrit et composé quelques chansons que je chantais dans mes premiers spectacles... Je me suis plus positionnée par la suite comme interprète. Mais j'envisage de faire un spectacle avec mes propre chansons un jour. Dont une ou deux sur des souvenirs d'Afrique.


Vous écrivez depuis toujours ou seulement depuis votre retour en France ?


C'est venu tardivement. Petite fille, j'avais mon journal, des choses comme ça. J'allais en Angleterre, en Pologne, j'écrivais des petits carnets de voyage on va dire. Mais je n'ai pas encore franchi le vrai pas... J'ai des petits rendez vous de ci ce là avec l'écriture mais ça n'est jamais régulier. Je sens que c'est au bord!


Qu'est-ce qui vous manque pour franchir ce pas-là ?


Je pense que je ne suis pas loin. J'ai tant de choses à raconter. Je suis au bord de quelque chose... Les valises sont prêtes. je n'ai juste pas encore acheté le billet et j'hésite sur la destination. Disons, être prête à plonger dans l'exercice de l'écriture. Assumer mon style, mes faiblesses littéraires... M'accorder du temps, j'en aurais besoin, et surtout que cela devienne une nécessité et une envie forte. Je ressens ce besoin en moi soit d'un tour du monde ou d'un tour d'écriture. Quelque chose de cet ordre là... D'ouvrir une vanne qui était peut être en arrêt et sortir des choses autrement que par l'expression chantée ou parlée. Mais chanter ou jouer en public me comble, alors peut-être que ça a ralentit ces dernières années mon envie d'écrire. Je pense que j'écrirai plus en voyageant, en étant ailleurs... cela me libérera peut-être. Cela fait presque un an que je me produis dans un théâtre, le Théâtre des Variétés. Cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Même si je me renouvelle, j'ai l'impression d’être allée au bout d'une aventure avec “Ma cantate à Barbara”... je l'ai posé, épanoui. Peut-être qu'après cette année, je peux m'accorder du temps pour écrire...


Comme marquer un palier, une étape ?


Oui, c'est juste que je n'ai jamais pris le temps de le faire. Je pense que j'ai plein de choses à raconter. J'ai énormément d'imagination, que je transmets à travers mes spectacles ou les pratiques amateures. Cette imagination, je voudrais m'en servir pour l'écriture. Pour l'instant j'écris de très courtes nouvelles. Soit c'est un échauffement, soit c'est un format que j'aime. Il y a un peu des deux. C'est un univers particulier.


Barbara dit d'elle qu'elle est “une femme qui chante”, diriez vous de vous que vous êtes une comédienne qui chante ?


Oui, j'assume cette étiquette. Totalement. Beaucoup plus qu'avant. Quand je venais du théâtre que je me suis mise à chanter, ça n'était pas dans l'air du temps, on était comédienne ou chanteuse. Je me suis toujours foutue des étiquettes, des familles dans ce métier. J'ai un parcours très personnel, atypique. Tout ça me fait moi, ce que je suis. A un moment donné, on est à la mode comme par hasard, ce qu'on fait a du sens pour tout le monde. Parce qu'il y a plein de comédiens qui chantent. Il y a plus de comédiens qui chantent que de chanteurs qui jouent la comédie du reste. Je pense que pour un interprète, chanter est une aventure tentante et comme un prolongement de son art.


Ce sont deux métiers proches, mais très différents.


C'est aussi que j'ai travaillé ma voix, la technique vocale, le chant. J'enseigne moi-même. Je pense que je peux dire que je suis une chanteuse. Mais, cependant, dans tous mes spectacles, il y a un souci de théâtralité, un fil rouge, une expression, des images, c'est scénarisé. J'aime bien ça. Plutôt que de me mettre derrière un micro et chanter uniquement, j'aime raconter une histoire. Je suis plus à l'aise ainsi! Peut-être qu'un jour je ferai un spectacle comme une rockeuse qui chante derrière un micro, sans m'embarrasser du fil rouge. Ca m'amuserait beaucoup.


Ca vous aide pour le partage ? Ca apporte quelque chose de particulier qui vous plaît ?


Je n'en sais rien. J'ai toujours fait comme ça... je le répète, je suis plus à l'aise ainsi et je viens du théâtre. Il ya un souci de construction au théâtre. J'ai l'impression que je vais donner quelque chose de plus au spectateur, un peu plus de moi-même. Je me sens plus sincère pour reprendre votre terme au début. Plus honnête, plus juste, plus en accord avec moi-même. En tous cas, c'est comme ça que je me vois, je n'en sais rien. Peut-être ai-je plus confiance en l'interprète ou le metteur en scène qu'en la chanteuse! Je doute. Il me faut les deux pour inviter les gens à me rejoindre. Et pourtant à l'arrivée c'est la simplicité qui paie. Il y a des chansons où il n'y a rien à rajouter, elles parlent d'elles mêmes. C'est juste que j'aime la construction d'un tour de chant, mélanger les univers divers...


Comme un voyage ? Un peu comme “Ma cantate à Barbara”.


Oui, il s'agit de prendre les gens par la main et de les emmener ailleurs ou en tous cas vers vous. Une histoire permet cela ou le regard que je porte sur la chanson de l'artiste que je défends... Moi, quand je vais voir un spectacle, j'ai envie qu'on m'embarque dans quelque chose. Et quand vous êtes interprète d'artistes immenses comme Brel, Barbara ou Piaf, inventer une histoire permet de créer une distance et de mieux me rapprocher d'eux... Je me sens plus vraie. C'est très personnel ce que je dis.


Mais je suis d'accord avec vous. C'est notamment la richesse de “Ma cantate à Barbara”, vous racontez une histoire qui lui rend hommage et dans laquelle vous êtes vous-même.


Je suis moi-même mais cette distance me permet de mieux me rapprocher délicatement d'elle. Je l'espère en tous cas. J'ai le souci constant d'être très respectueuse de l'interprète que je défends. Ca n'est pas uniquement un hommage comme ça. J'y mets une patte très personnelle et c'est ça qui est le plus fragile. Trouver l'équilibre, l'angle.


Ce spectacle existe depuis un certain temps ? Vous avez mis longtemps à le concevoir, à l'imaginer ?


Non. Je n'ai pas mis du tout longtemps. Par contre, il s'est patiné. Il a mûri. Maintenant, j'ai une liberté que je n'avais pas forcément au début. Mais les trouvailles, elles sont venues de suite. Chanter “Nantes” à la 3ème personne, des choses comme ça. J'ai trouvé pratiquement la courbe tout de suite. Après, il y a des choses qui se sont affirmées, parce que j'étais moins sûre de moi au départ. J'étais peut-être trop proche de Barbara, je me suis libérée d'elle au fur et à mesure. Je m'amuse beaucoup plus maintenant. Mais ça, c'est le temps qui permet ça. C'est pour ça, je trouve, que faire durer un spectacle, c'est très important. Donner le temps à la création d'épanouir des choses. Ca ne va pas du tout avec la vie qu'on mène. De plus en plus, j'ai besoin de temps. En tous cas, pour ce Barbara. Je me suis autorisée du temps.


Comme un parfum ?


Oui, quand on le trouve. Le temps. En plus, le parfum ne se diffuse pas de la même façon en fonction des climats, de la température, de plein de choses. C'est pour ça qu'il faut laisser. Je me suis autorisée à prendre le temps de patiner “Ma cantate à Barbara”. Et puis, on ne crée pas un spectacle comme ça après un autre, ça n'est pas possible ! Même si on a des idées, il faut leur laisser le temps de prendre forme, de les réaliser et de les épanouir. Pourtant, j'adore les choses éphémères, que l'on ne revoit plus et que l'on ne fait plus. Mais quand on est acteur, c'est toujours nouveau chaque soir, on peut se mettre dans cette disposition de comme si c'était une fois unique et éphémère... C'est la magie et la particularité de notre métier et de la scène. On donne chaque soir. Et puis, il ne faut pas oublier qu'un spectacle, c'est un coût aussi. Il y a un engagement financier énorme. Ca n'est pas facile. Poser un spectacle, rencontrer le public. Les gens sortent beaucoup moins qu'avant. Ils ne sortent pas pareil. On n'est pas dans les années fastes où tout le monde sortait. C'est très difficile dans une ville comme Paris. Donc il faut du temps pour rencontrer le public.


Donc “Rêves de Kafka” a provoqué cette envie d'aller plus loin dans le chant ?


J'ai chanté avant. Je travaillais en province dans une compagnie, Le Galion, dans laquelle je chantais. Philippe Adrien, un grand metteur en scène qui a été très important dans mon parcours, nous avait plongé dans “Rêves de Kafka”, dans un univers sensoriel un peu onirique, celui du rêve. Chez Kafka, les choses sont à l'envers, les chaises en l'air, tout est un peu déplacé, décalé. On n'est pas dans l'ordre, ni la symétrie. Adrien nous avait embarqué dans une aventure théâtrale fabuleuse, étonnante, douloureuse à la fois, perturbante, intense et belle. Un des voyages les plus originaux et singuliers de ma carrière. Dans ce spectacle, je chantais en yiddish. J'avais travaillé avec Oscar Cisto, j'avais adoré ces chants. C'était un vrai travail collectif où l'on jouait parmi les spectateurs. Je ressentais une belle émotion à chanter. Ma voix sortait fluide et je la rencontrais à travers ces sons yiddish. Ca m'a rappelé, quelques années avant, quand j'avais travaillé avec les polonais de chez Grotowski. Je me sens appartenir à cette école. J'ai fait des stages avec eux, des acteurs extraordinaires qui travaillaient sur le corps et la voix. Au tout départ, c'est Grotowski, vraiment. Tout vient de là. Ce sont mes fondamentaux, c'est tout ce que je transmets à mes élèves : tout ce que je fais sur scène vient de là. Après, il y a eu un spectacle comme "Rêves de Kafka". J'ai eu envie d'explorer cet outil, la voix, à travers mes propres spectacles de cabaret, de m'exprimer pendant un certain temps plus par la voix que par le jeu dramatique.


Au départ, vous étiez quand même plutôt comédienne ?


Oui. Mais je n'ai pas eu à un moment donné de rôles intéressants. Je m'ennuyais et n'étant pas sollicitée comme comédienne, j'ai crée mon premier spectacle dans lequel je chantais... Et puis j'ai continué à faire mes propres créations. Tout comme pas mal d'acteurs, du reste.


Vous avez bien eu raison ! Et donc vous avez rendu hommage à plusieurs artistes par la chanson.


J'ai eu besoin de faire une pause avec le travail en compagnie, avec mon tout premier spectacle, et j'ai au final coupé avec le monde du théâtre pendant quelques années. J'ai crée pendant une quinzaine d'années des spectacles qui ont étonnamment marché... J'ai fait le Printemps de Bourges, dès que j'ai commencé, j'ai été remarquée par les directeurs de ce festival et d'autres salles à Paris. C'est parti très vite pour moi, j’ai créé ma boîte de production, j'ai continué à travailler, à tourner, en faisant ce que j’aimais. Mon spectacle sur Piaf, “Madame”, a tourné 600 fois dans le monde entier!


Bravo!


J'étais une des premières à faire un spectacle sur Piaf. J'ai collaboré avec Michel Rivgauche (auteur de “La Foule”, “Les mots d’amour”, “Mon vieux Lucien”) sur ce projet. J'ai eu toute la presse parisienne le soir de la première au théâtre Silvia Monfort en octobre 93 pour le 30 ème anniversaire de sa disparition. Et que d'articles élogieux! J'aime beaucoup ce spectacle. Il m'arrive de le reprendre parfois pour un hommage. Il a beaucoup tourné du temps des belles années culturelles florissantes à l'étranger avec les Instituts Français, Centres Culturels... etc. J'ai aussi pas mal chanté sur les bateaux de croisière, ce qui m'a permis de faire de beaux voyages.


Si on devait donner un parfum aux spectacles sur Barbara ou sur Piaf, quels seraient-ils ?


Je ne sais pas. Peut-être Barbara ça serait “Cuir de Russie” de Chanel. C'est un parfum que je ne mets plus du tout, mais à un moment donné, je l'ai aimé. Il est assez capiteux, mais c'est surtout pour le côté Russie que je pense à lui et à ses origines à elle. Et puis il évoque le voyage. “Ma cantate à Barbara”, c'est ce que je propose de faire avec elle. Alors les choses s'entremêlent. Et je ne suis pas très parfum, moi. J'aime les fleurs.


Une fleur alors... A quoi associeriez-vous chacun des deux parcours que vous avez pu faire avec Piaf et Barbara ?


Je ne sais pas. Piaf, je dirais le coquelicot, je ne sais pas pourquoi, c'est comme ça. C'est venu spontanément, alors on garde. Et puis, peut-être Barbara, ce serait une rose noire ou une tubéreuse. C'est une fleur blanche assez entêtante.


Vous êtes-vous rencontrées ?


Non. Je l'ai vue en 89 à Mogador et c'est tout. Je ne suis absolument pas une aficionados au départ. Curieusement. C'est peut-être ça ma force, de l’avoir découverte sur le tard.



Pourtant, à 3 ans, vous avez entendu une petite chanson...


Oui. Quand j'avais 3 ans, elle est venue chanter dans un cabaret près de chez moi à Abidjan, “le Refuge”. Elle était amoureuse du Consul de France, un diplomate, qui lui avait trouvé ce plan. Elle est restée quelques mois à chanter dans ce cabaret. J'entendais donc cette petite ritournelle du “Quand reviendras-tu”. Peut-être après qu'elle soit venue, d’ailleurs, parce qu'en fait je crois qu'elle a écrit cette chanson après qu'ils se soient séparés, mais peu importe, c'est cette période-là. C'est un peu flou pour moi.


Vous l'entendiez en vrai ou à la radio ou...


A la radio. Je ne suis pas allée dans ce cabaret. J'avais 3 ans ! Quand j'ai lu son livre posthume “Il était un piano noir”, ce sont des souvenirs qui sont remontés et j'ai réalisé l'importance de son vécu dans ma ville natale. Mon père était dans la pêche, il travaillait avec les portugais et on écoutait plutôt Amalia Rodriguez et Edith Piaf, mais les gens parlaient de Barbara. Et, je me souviens, ma grand-mère polonaise écoutait Barbara. Barbara, comme Barbara Streisand, elle les adorait toutes les deux. Tout ça ça se mélange dans ma tête, mais quand j'ai lu le livre, je me suis re-souvenu. Des choses m'avaient marqué. Je me souviens en tous cas que les gens de ce port de pêche allaient dans ce cabaret, le Refuge. Donc on entendait parler de Barbara à la maison et il y avait cette petite chanson qui est la toute première que j'ai entendu d'elle.


Ca n'était pas l'Institut Français, c'était un cabaret ?


Le cabaret “Le refuge” était tenu par Jo Attia, un truand qui avait fait de la résistance. C'était particulier en Afrique, à l'époque, il y avait des choses marrantes. Voilà, c'est un très vieux souvenir qui a posé la première pièce du puzzle de “Ma cantate à Barbara”! C'est curieux, il y a aussi une page de journal de Lyon qui date de 94, où nous sommes elle et moi sur la même page. Nous chantions la même semaine à Lyon. J'ai gardé cette page-là. Je chantais Piaf à cette époque. Je la garde (elle est toute jaunie) parce que c'est un clin d'oeil magnifique. Plus tard, j'ai appris sa disparition au début d'un concert. C’était en Hongrie. J’ai reçu un fax le soir de mon anniversaire, un 25 novembre. Elle était morte la veille, le 24. Je ne connaissais aucune chanson de Barbara et j'ai chanté “l'Aigle Noir” a capella, le seul texte que les étudiants hongrois avaient en leur possession et qu'ils sont allés me chercher. Ensuite il y a eu l'aventure du spectacle “D'Amsterdam à Göttigen” que j'ai crée ou je faisais se rencontrer Brel et Barbara suite à une grande balade sur une plage du nord. C’est un clin d'oeil à “Franz”, le film qu'ils avaient tourné ensemble. La toile se tisse, le puzzle se construit. Je plonge un peu plus dans l'univers de Barbara et la découvre. Dix ans plus tard, je crée “Ma cantate à Barbara”.


Comment êtes-vous rentrée dans l'univers de Brel ?


J'aime les beaux textes, je viens du théâtre. Et chanter un homme était plus simple. Bien sûr, j'y mettais une autre énergie, celle d’une femme, plus de tendresse et de mystère... Et comme les 2 univers de Brel et de Barbara se mêlaient, ca a été presque plus simple pour moi. J'aime Shakespeare, la poésie, la musique des mots et je suis impressionnée par tous ces grands Brel, Nougaro, Brassens, Barbara... ils ont nourri mon enfance, mon adolescence. Je me suis lancé un vrai défi en les interprétant. Le premier, le plus difficile, a été avec Piaf. Je pense que chanter Piaf m'a ouvert la voix dans le ventre. J'ai mesuré que c'est le corps qui chante et ce que veut dire mettre du corps dans sa voix. J'ai senti la caisse de résonance, la ceinture abdominale, l'ouverture, l'espace, les harmoniques... Ca a été une vraie découverte et une vraie libération. Je me suis autorisée après à chanter les autres... mais rien n'était gagné. On rencontre toujours une nouvelle difficulté! Nougaro, par exemple, est un de mes artistes préférés...


Aujourd'hui quels sont vos projets ? De quoi rêveriez-vous ?


Tout d'abord, une belle tournée avec “Ma cantate à Barbara”, le succès du CD, qui vient juste de sortir chez EPM... Et puis un tour du monde! J'ai une vieille envie, un vieux rêve: faire un Kurt Weill. J'adore, c'est magnifique musicalement, riche au niveau des mélodies. Je ne sais pas si je le ferai, j'ai commencé à travailler dessus, à répéter. Mais, encore une fois je cherche un scénariste, quelqu'un qui me mette en scène, ça n'est pas moi qui vais le faire. Je veux que quelqu'un m'aide. Mais après, il faut un budget... J'ai très envie de ça. J'ai créé un spectacle aussi qui s'appelle “Kafé paradise”, sur le jazz. J'aimerais beaucoup le reprendre. Je ne l'ai joué qu'une fois à un festival de jazz, et c'est pareil, j'ai envie d'un scénario autour de ça. J'ai aussi un très beau spectacle sur la poésie de la mer que j'ai créé il y a quelques années, que je voudrais reprendre, en faisant un Opus 2. Mais bon, j'ai envie de tout ça, mais quelqu'un arrive demain et m'engage comme comédienne sur son projet, si ce projet me plaît, je serai ravie ! Peut-être que c'est quelque chose de complètement nouveau dont j'ai envie. Un truc drôle, du clown. Un spectacle fantaisiste aussi, pour toucher une autre corde plus légère! J'ai beaucoup donné ces dernières années. Je vais me poser un peu et voir venir. Trouver une autre dynamique.


Pour conclure sur Barbara, ce qui me touche peut-être le plus chez elle, c'est son histoire personnelle. Comment elle a tout sublimé par l'Art. Je pense que l'Art et le travail m'ont énormément aidée à traverser des drames personnels... A un moment donné les choses s'apaisent. On a moins besoin de remplir et de faire autre chose, mais de laisser, que les choses viennent à soi. Viennent à moi.


Propos recueillis par #PG9






#Paris --> 6/01/2019: “Ma Cantate à Barbara” au Théâtre des Variétés.

Ven, Sam: 19h30 - Dim: 15h30








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