Andréa Bescond le dit mieux que personne: “le cinéma, ça sert à ça”. “Les Chatouilles”, qu’elle a co-écrit et co-réalisé avec Eric Metayer, est un film drôle, simple, évident, nécessaire, humain, brûlant de désir de vivre et en guerre contre la pédophilie. Il sort en salles Mercredi 14 Novembre et porte en lui l’espoir que les choses changent enfin. C’est son histoire, mais aussi celle de beaucoup d’enfants, beaucoup plus qu’elle ne le pensait avant de monter sur scène pour la raconter. Une guerre est déclarée avec pour objectif de donner aux enfants un avenir dégagé autant que possible de la déchirure inoubliable du viol et du silence des adultes. L’autrice-actrice-réalisatrice se livre à corps perdu dans ce combat. A corps perdu? Non. Gagné, triomphant, radieux, comme une danse libératrice, même si c’est celle de la colère. Merci, Andréa, pour votre générosité, votre engagement, votre détermination et votre enthousiasme. Et Vive le Cinéma!
Bonjour Andrea. Je suis enchanté de vous parler. Le travail que vous faites depuis des années au Théâtre et maintenant au Cinéma est absolument, profondément, formidablement humain et émouvant. Bravo !
Bonjour Philippe. Merci !
On va tout de suite rentrer dans le vif du sujet. En montant sur scène, vous avez saisi que votre mésaventure, que vous pensiez singulière et personnelle était au fond très répandue...
Oui. Je me suis rendue compte du fléau. J'avais l'impression d'être un peu seule au monde et je me suis rendue compte que pas du tout. Même si finalement j'aurais préféré. Quelque part, ça m'a rassuré de me dire que je n'étais pas seule et que tout ce que j'avais écrit instinctivement sur la haine de soi était en fait quelque chose qui était un peu courant chez les gens qui avaient vécu la même chose que moi.
C’est grâce au théâtre ?
Par le théâtre, oui. Plein de gens m'attendaient à la fin de la représentation, m'écrivaient sur les réseaux sociaux et me disaient “en fait vous racontez mon histoire. C'est mon histoire ça!” Enormément.
Quand il y a eu le procès, toute la mécanique, à ce moment-là, vous ne vous en étiez pas rendue compte ?
Non. Absolument pas. Ce moment-là, c'est une fuite en avant. Je porte plainte puisque je n'ai pas le choix. J'ai une immense crise de conscience, j'ai peur pour d'autres enfants, je me dis c'est pas possible. Donc, j'y vais. Je ne suis pas prête psychologiquement et je fais ça parce que, vraiment, je me sens forcée de le faire. J'y vais mais je n'entame même pas de psychothérapie derrière. C'est une fuite en avant avec la danse, l'alcool, la drogue, les voyages. Je n'ai pas vécu comme Odette. Je n'ai pas commencé par une psychanalyse, moi. C'est arrivé beaucoup plus tard.
Justement pour en arriver au film, le film commence par une psychanalyse...
Oui. Avec Eric, c'est le message qu'on voulait envoyer. C'est quand même beaucoup plus simple d'être réparé avant d'aller porter plainte, de pouvoir structurer ses propos, structurer les souvenirs qui nous assaillent... C'est beaucoup mieux d'être accompagné par des gens dont c'est le métier, qui écoutent, aident à retrouver les bons mots pour nommer la violence qu'on a subie.
“Les chatouilles”, le film, tire donc les leçons de votre vie et de l'expérience de la pièce de théâtre. Du coup, c'est l'aboutissement de tout ça ?
Oui, tout à fait. C'est effectivement ça. On a beaucoup réfléchi. On sait aussi qu'il y a une responsabilité en tant que cinéaste, parce que, forcément, le film va être vu, enfin on espère ! Il va toucher beaucoup plus que le théâtre. Le cinéma, c'est plus large. Il y a donc une responsabilité dans ce qu'on veut amener comme message, même si on n'a pas pour but de faire un film pédagogique. Mais, quand même, ce qu'on y dit est important, surtout sur ce sujet assez peu évoqué, où on est aux prémices d'une éventuelle libération de la parole et d'une éventuelle ouverture de la société. On ne peut pas faire n'importe quoi. Avec Eric, d'abord parce qu'on avait envie de se distancier de mon histoire, on ne voulait pas mettre les choses dans l'ordre dans lequel je les ai vécues. C'était trop complexe, trop casse gueule, trop... Ca n'est pas le bon chemin. Moi, je m'en sors tant bien que mal, mais vraiment la meilleure manière de s'en sortir, c'est quand même de procéder comme dans le film. Elle va d’abord révéler son secret à une psy qui l'aide à structurer sa pensée et toute l’histoire se déroule... Commencer comme ça, c'est quand même, plus simple.
Vous, vous avez fait l'inverse !
Moi, ça a été l'anarchie totale. Je m'en suis rendu compte, je me suis souvenu, je me suis tue encore des années puis j'ai dit à ma famille, j'ai porté plainte... Mais, j'étais pas prête, j'étais pas bien. Deux ans après il y a eu ce procès, il est parti en prison, je pensais que j'allais aller mieux. Pas du tout. J'allais encore plus mal. Et puis, j'ai rencontré Eric Métayer, ça allait déjà beaucoup mieux. Et, au fur et à mesure après, je me suis lancée dans l'écriture de cette histoire et ça, ça m'a fait un bien fou. Encore plus tard je suis allée enfin faire une psychanalyse. Donc, voyez, ça a mis quelques années tout ça.
Ce que je trouve absolument formidable de votre part, c'est d'aller au bout de la réflexion, de la partager, de partager les conclusions dans un esprit bienveillant, citoyen...
On sert à ça en tant qu'être humain! Je crois que la bienveillance est la motivation première à la vie. Je me réveille en me disant, bon comment je peux être une meilleure personne aujourd'hui. C'est pas facile, je n'y arrive pas tous les jours, je vous rassure...
Vous avez écrit la pièce de théâtre seule, Eric est arrivé à la mise en scène, mais, pour le film, vous avez tout fait à deux. Pourquoi ?
Parce que ça s'imposait. Parce que cette histoire aujourd'hui est autant la sienne que la mienne, c'est un peu étrange ce que je dis. En tous cas l'outil cinématographique est vraiment à nous deux. On s'est évidemment largement inspirés de ma vie. Etre à deux, c'est une façon de penser plus efficace puisqu'on est assez complémentaires avec Eric. C'est extrêmement rassurant. On prend une idée, on la décortique, on l'utilise ou on la jette, on prend les décisions à deux, on cherche. Chercher à deux, c'est extra. On peut se lancer une idée, voir l'autre creuser cette idée et en faire un truc on se dit mais p... j'aurais pas pensé à ça, tu as raison, c'est génial, on y va. Voilà, c'est ça. Il y en a un qui est à l'origine de l'idée et l'autre qui la sublime. C'est extra ! Quand même trouver une âme sœur en terme de création, de créativité, c'est fantastique. Totalement jouissif.
Ce que vous dites me renvoie à une question que je voulais vous poser à la fin en conclusion, mais tant pis - ou tant mieux-, je vous la pose maintenant. Je me disais que peut-être, au fond, la seule vérité, c'est qu'au final on est tout seuls. Là, vous montrez le contraire...
Je crois qu'évidemment, on est seuls. La dernière fois qu'on va respirer, on sera seul malgré tout. Encore que. Mais je crois qu'on s'en sort grâce à l'autre. Il y a une volonté qui nous est propre. Si on a une volonté de vie, ça nous est propre. C'est tout seul qu'on décide de s'en sortir ou pas, franchement, c'est tout seul, il n'y a que soi avec soi. Cette histoire de retrouver l'enfant en soi, c'est soi avec soi... mais c'est aussi grâce à l'autre. C'est tout un paradoxe. L'impulsion vient de soi même. Après, c'est ma perception des choses et je parle en mon nom, je pense que l'impulsion vient de soi totalement, mais qu'après il faut reprendre confiance en l'autre. Il me semble que ça n'est que comme ça qu'on peut s'en sortir.
Reprendre confiance en l'autre ? Pouvez-vous détailler s'il vous plait ?
Dans notre rapport à un passé en commun avec Odette, évidemment, il n'y a plus de confiance en l'autre. Un adulte vous maltraite, les autres qui n'en parlent pas, personne ne voit, personne n'entend. On est tout seul avec soi et notre perception de la nature humaine est complément détériorée. Voilà. Il faut réussir à reprendre confiance en l'autre quand on a été brisé. Se dire Ok, l'impulsion vient de moi et en même temps peut être que là, finalement, des personnes bienveillantes vont m'aider à me sortir de ce marasme.
Alors, du coup, effectivement, on démarre tout seul, on devient deux et puis on devient des milliers ?
Il ne faut pas trop synthétiser ! C'est tellement complexe. Quand je parle de confiance, c'est dans un sens large. Confiance en l'amour, reprendre foi en l'Humanité aussi...
Et confiance en l'Art aussi...
Oui. Je crois que l'Art est un exutoire, ça aide. C'est une pierre à l'édifice. Tout est une pierre à l'édifice, en fait, quand on a vécu ce type de trauma. C'est une pierre à l'édifice de porter plainte, c'est une pierre à l'édifice de faire un procès, c'est une pierre à l'édifice d'écrire ou de danser, de faire du sport, d’exulter sa colère, sa rage, de l'extérioriser d'une manière ou d'une autre, c'est une pierre à l'édifice d'être aimée, de se construire.... Petit à petit, toutes ces petites pierres font ce mur de la reconstruction et de la réparation qui fait un espèce de chemin vers une vie meilleure. C'est plein de petits détails. C'est une pierre à l'édifice d'être écoutée par un thérapeute ou un psychologue ou un psychiatre, peu importe. mais encore une fois, ça ramène à l'autre. C'est soi et l'autre. C'est entre humains en fait.
Ok. Là le film commence à être vu et applaudi partout (vraiment partout!)...
Oui, mais maintenant il faut que les gens aillent au cinéma le 14 novembre. Pour l'instant, on a des avants-premières, le film est extrêmement bien reçu, oui la presse nous suit, oui. OUI ! Mais ça ne fait pas le succès d'un film. Je suis prudente. J'attends de voir si les gens auront le courage de se confronter au sujet, mais pour autant on leur dit haut et fort: “n'ayez pas peur!” Mais est-ce que quand ils vont se retrouver au cinéma, ils ne vont pas aller voir un autre film parce que ouh la la... “Les chatouilles”... On se dit, je sais que j'y vais, pendant 1h40 je vais me prendre une gifle, et en même temps il paraît que ça parle d'espoir, donc oui on va voir... Ca bouscule quand même, c'est pas anodin. Est-ce que les gens ont envie de ça ? Je crois que les gens sont prêts. Franchement. Je crois qu'ils vont avoir le courage... Je l'espère vraiment, franchement. J'ai confiance. Je ne peux pas vous dire que je suis défaitiste, non, de toutes façons c'est pas ma nature. Mais maintenant j'attends de voir s'ils vont se bouger s'ils vont être en salle, si... En plus le pire, c'est que, une fois en salle, le pari est gagné ! Je sais ce que le film leur procure. Je sais ce que le film aujourd'hui procure au public, je sais qu'il sort de là en disant : “P... je me sens en vie, j'ai envie d'embrasser mes mômes, les gens que j'aime, j'ai envie de me dire je suis vivant, envie d'avancer, de faire le point avec moi-même... Prendre les choses qu'apporte le film!” Aujourd'hui, je n'ai plus peur de le dire parce que je le vérifie chaque jour aux avants-premières donc... C'est pour ça je dis : n'ayez pas peur, allez-y, je vous jure que vous ne serez pas déçus et que ça va vous apporter plein de choses. Sans prétention.
Ce qui m'a fait prendre contact avec vous, d’ailleurs, objectivement, c'est ce que je lisais partout sur les réseaux sociaux: des retours hypers positifs, bienveillants et en même temps une énorme force du réel. Un film qui parle de choses réelles...
Oui, parce qu'on ne va pas se mentir, on parle vraiment du sujet, on ne l'évite pas ce traumatisme. On voulait faire un film sincère...
Si je fais parallèle avec un autre film, qui s'appelle “La Guerre est déclarée”?
Ah oui ! Oh la la. C'est un choc ça pour moi. Oui, parce que la guerre est déclarée pareil. Tu peux pas être que en empathie. Si ça m'arrivait, si ça arrivait à mes enfants... Moi, je n'avais pas d'enfant encore quand je l'ai vu. J'étais bouleversée. Je crois que du coup je le reverrais. J'ai envie de le revoir. C'est pour ça que j'aime le cinéma, pour des sensations comme ça. J'aime le cinéma pour vibrer, pour aussi avoir mal, pour me confronter à ce que c'est que la vie ! Pour me dire que justement, on est en vie là, maintenant, et qu'on ne va pas se laisser emmerder. On sait pas ce qui nous arrive derrière... Donc, allons-y, parlons, parlons des choses, profitons de l'instant présent au mieux. Effectivement, “la guerre est déclarée”, c'est un film qui fait mal et en même temps tellement de bien. On sort de là, on chiale et en même temps on est vachement heureux. Ca sert à ça le cinéma.
Un mot de conclusion éventuellement ? Est-ce que la pièce va continuer?
Oui, la pièce va continuer. Je fais des dernières en février et on va faire reprendre la pièce par une autre actrice dans la foulée. On s'aperçoit que le texte a besoin d'être entendu sans moi et tant mieux. Sans moi parce qu'à un moment, il faut que j'arrête ! J'en ai fait 400 des représentations... Il faut que je raconte une autre histoire. Parce que je suis artiste et j'ai besoin aussi de faire autre chose. Voilà. Si j'ai un mot, c'est un mot de Paul Valéry qui dit : “vivre, c'est se transformer dans l'incomplet”. C'est une phrase qui me plaît bien. Ne pas s'appesantir sur les choses qui nous manquent et dire Ok, c'est pas grave, j'y vais.
Propos recueillis par #PG9
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